Deux des personnages les plus complexes du Livre de Chemouël sont Doëg l’Edomite et A’hitofel. Tous deux étaient des Talmidé ‘Hakhamim hors pair, qui pendant de longues années, ont joué un rôle déterminant dans la direction du royaume et de la nation, et dans le même temps, nos Sages les décrivent en termes très durs comme des hommes mauvais. Cela va jusqu’au point que la Michna dans Sanhédrin déclare qu’ils figurent parmi les très rares personnes à n’avoir aucune part dans le Monde à Venir.[1] Tous deux sont devenus des ennemis jurés du Roi David[2] et ont cherché à le détruire.

Nos Sages expliquent qu’en dépit de leurs connaissances en Torah, ils avaient de mauvaises intentions dès le départ lorsqu’ils commencèrent à étudier la Torah, et en conséquence, la Torah ne fit pas d’eux de meilleurs êtres humains ; au contraire, ils utilisèrent la Torah à des fins répréhensibles. C’est un exemple de la Guémara illustrant comment la Torah peut être une potion de vie pour celui qui l’utilise correctement, mais aussi une potion de mort pour celui qui en fait un emploi incorrect. Il peut s’avérer instructif d’analyser un aspect de leur incapacité à appliquer leur étude de la Torah correctement et comment cette attitude a conduit à une perspective biaisée de leur part.

Le Midrach Cho’har Tov, citant les termes de David dans les Téhilim, explique comment David a critiqué l’approche de Doëg par rapport à son prochain.[3]

« David a dit à Doëg : "Toi qui es puissant, riche et la tête du Sanhédrin, tu t’engages dans le mal et profères du mal ? Si un homme voit son prochain au bord d’un puits et l’y pousse à l’intérieur…est-ce de la puissance ? Au contraire, un homme est considéré comme puissant lorsqu’il saisit la main (de l’autre homme) pour l’empêcher de tomber, ou s’il aide l’homme tombé dans le puits à s’en extraire. Mais lorsque tu as vu que Chaoul était furieux contre moi, tu as persisté à me diaboliser." Pourquoi tirer ton honneur du mal, ô puissant combattant. Est-ce ainsi qu’un homme fait la bonté de D.ieu tout au long du jour ?[4]…Comment peux-tu, toi qui étudies la bonté de D.ieu - c’est-à-dire la Torah - t’engager dans de telles choses ?...

Ce qui est frappant dans ces termes, c’est que David insiste sur l’idée que la Torah nous enseigne la bonté de D.ieu, et en conséquence, lorsqu’on étudie la Torah, on devrait vouloir imiter cette bonté. Or, Doëg, qui avant d’immenses connaissances en Torah, n’a pas intériorisé le fait que Hachem est infiniment bon, que la Torah est une Torah de bonté et que ceux qui l’étudient doivent mettre à profit leurs connaissances pour prodiguer du bien aux autres. Au lieu de cela, il a utilisé ses connaissances en Torah pour faire du mal et pour proférer du Lachon Hara (médisance) et réaliser d’autres actions en totale contradiction avec la Torah.

C’est un exemple de la manière dont en dépit de ses connaissances en Torah, Doëg ne pouvait percevoir que Hachem est un D.ieu de bonté. Visiblement, A’hitofel souffrait du même défaut.

La même incapacité à comprendre la bonté de Hachem et la Torah se retrouve chez A’hitofel. Les commentateurs relèvent qu’A’hitofel avait développé une haine profonde envers le roi David après sa faute après sa faute avec Batchéva, qui était sa petite-fille.[5] Cela a été le catalyseur dans son rôle dans la révolte d’Avchalom contre David. Comme nous l’avons mentionné, la faute de David a été bien plus subtile qu’elle n’aurait apparu aux yeux des observateurs, et nous savons que David s’est immédiatement repenti pour tout méfait qu’il avait commis. En conséquence, la question se pose : pourquoi A’hitofel n’a-t-il pas accepté que David se repente et lui pardonne ?

Le Michbétsot Zahav[6] explique qu’il est évident qu’A’hitofel, en dépit de son immense savoir en Torah, ne pouvait saisir le pouvoir réel de la Téchouva (repentir), et le pardon qui s’ensuit, et que David méritait d’être pardonné pour sa faute. Il prouve ce défaut chez A’hitofel par les actions de ce dernier à la fin de son existence. A’hitofel conseilla à Avchalom de tenter de mettre à mort David immédiatement. Or, Avchalom n’écouta pas le conseil d’A’hitofel, bien que ses conseils fussent connus pour être toujours pertinents. En conséquence, Avchalom perdit la bataille suivante qui se solda par son décès. Dès lors qu’Avchalom ignora le conseil d’A’hitofel, ce dernier sut que la rébellion serait un échec. De ce fait, il retourna chez lui et mit fin à ses jours. D’après le Michbétsot Zahav, la raison pour laquelle il s’est tué tient à ce qu’il sentait que David l’aurait mis à mort au titre de Mored Bamalkhout (quelqu’un qui se rebelle contre le roi) et il préféra donc se suicider. Or, le Michbétsot Zahav se demande comment A’hitofel était si convaincu que David l’aurait tué, compte tenu du fait qu’il connaissait la nature compatissante du roi David. En effet, David pardonna à tous ceux qui s’étaient associés à la révolte d’Avchalom ; dans ce cas, pourquoi A’hitofel était-il intimement convaincu que David ne lui accorderait pas son pardon ? L’une de ses réponses repose sur l’idée susmentionnée selon laquelle A’hitofel ne pouvait saisir les concepts de repentir et de pardon. En conséquence, tout comme il n’avait pu pardonner David pour sa faute avec Batchéva, il pensa à tort que David ne pourrait le pardonner pour le rôle qu’il joua dans la rébellion.

Il semblerait que le défaut d’A’hitofel fût similaire à celui de Doëg : tous deux étudiaient la Torah, mais n’avaient pas intériorisé l’idée de la bonté divine, et un aspect-clé de cette bonté, le cadeau de la Téchouva. On sait que d’autres religions monothéistes insistent fortement sur la crainte de D.ieu (telles qu’elles La perçoivent) et ignorent le concept d’amour de D.ieu et le fait que l’on peut avoir une relation profonde et positive avec un D.ieu aimant. Les exemples de Doëg et A’hitofel nous rappellent que l’étude de la Torah est destinée à nous enseigner à reconnaître la bonté de D.ieu et à L’imiter en prodiguant de la bonté à notre prochain.


[1] Sanhédrin, 90a.

[2] Bien que nos Sages (Sanhédrin 106b) affirment qu’ils ne s’étaient jamais réellement rencontrés. Doëg était le Av Beth Din (Président du tribunal rabbinique) à l’époque du Roi Chaoul et a joué un rôle déterminant en influençant Chaoul à considérer David comme un danger mortel à son règne. A’hitofel était le conseiller de David, mais il s’associa à la révolte du fils de David, Avchalom, et tenta de convaincre ce dernier de tenter de tuer David.

[3] Cho‘her Tov, 52:6-7.

[4] Téhilim, chapitre 52.

[5] Sanhédrin, 69b.

[6] Michbetsot Zahav, Chemouël II, p.419-421.