Les années précédant la création de l’Etat d’Israël, lorsque les Britanniques régnaient en Palestine, la terre fut mise à feu et à sang. Les jeunes gens venus des quatre coins du globe luttèrent en faveur d’Israël pour faire tomber le mandat britannique, et leur reprendre la terre. Les Britanniques pourchassaient les activistes clandestins qui s’étaient forgés une renommée à l’armée, et certains d’entre eux furent arrêtés et envoyés en détention dans une prison tristement célèbre, la Kichlé, ou dans la prison centrale. Il y avait des groupes de condamnés à mort jugés par une cour martiale qui les avait condamnés à la pendaison. Ils étaient au côté de ceux qui avait été condamnés « uniquement » à de longues années de détention. Ils étaient enfermés dans des conditions sous-humaines : des cellules humides et étouffantes, et dans de nombreux cas, sans droit de visite, ni de la famille, ni bien entendu, d’avocats. Un seul homme avait obtenu le droit de visite des prisonniers : Rav Arié Lévine

De là vient son surnom de « Rav des prisonniers » ou « père des prisonniers », il remplissait en effet les deux rôles, en tant que Rav et père, avec beaucoup de dévouement. Il continua à porter ce titre jusqu’à ses derniers jours. Il en témoigne aussi dans une lettre découverte après sa mort : « On sait que je me suis renforcé dans la Mitsva de visiter nos frères en détresse détenus dans la prison centrale et à Kichlé, à partir de l’an 5687, tous les Chabbath et jours de fête. Ni la pluie, ni la neige, le froid ou la chaleur ne m’ont jamais arrêté, un vrai sens du sacrifice… ».

Son grand dévouement et son grand cœur ont certainement influencé les Britanniques généralement sans cœur, et il réussit à obtenir des autorisations pour diverses demandes d’ordre religieux, pour renforcer leur moral à la baisse. Ses poches profondes, cousues par la Rabbanite dans ses habits, servaient de connexion entre les prisonniers et le monde extérieur. Les prisonniers y inséraient des lettres adressées à leurs proches, et lorsque Rabbi Arié sortait de la prison, il se rendait à chaque adresse pour distribuer les lettres, et instillait de la joie de vivre aux familles privées d’encouragement et de consolation. A ce moment-là, Rabbi Arié recevait des lettres, qu’il dissimulait dans ses poches profondes, et les distribuait ensuite aux prisonniers, ce qui améliorait significativement leur humeur.

Les prisonniers démunis, écrasés par la botte des Britanniques, considéraient Rabbi Arié, venu leur rendre visite chaque Chabbath et jour de fête, comme un véritable ange sauveur. Il les fortifiait et les encourageait, en leur donnant de l’espoir dans un lieu sans espoir. Il ne faisait aucune distinction entre les combattants pour la justice et les délinquants, entre ceux qui étaient proches de la religion et ceux qui en étaient loin. Il les aimait tous infiniment, il agissait en faveur de tous, et comprenait chacun d’entre eux et les tolérait avec un dévouement illimité.

Visite aux malades

Outre sa grande préoccupation en faveur des prisonniers de Sion, Rabbi Arié s’était institué une coutume fixe : rendre visite aux malades juifs pour les renforcer, eux qui gisaient dans les hôpitaux et souffraient de divers maux. A cette époque, un véritable danger planait sur ceux qui osaient rendre visite aux malades alités, en particulier les malades souffrant de maladies contagieuses comme la lèpre et la tuberculose. Ils étaient livrés à leur sort et oubliés. Ils déambulaient entre les murs de l’hôpital, privés d’espoir. Rabbi Arié était le seul qui osait leur rendre visite, et leur insufflait de l’espoir. Il ne craignait aucun homme, aucune maladie et aucune situation. Et il fit effectivement des prodiges grâce à sa générosité. Il arrivait, son merveilleux sourire aux lèvres, prononçait des propos rassurants, et illuminait le monde obscur de milliers de malades.

Parmi les hôpitaux où il circulait, certains étaient destinés aux malades mentaux, aux vieillards, aux malades dépendants, il les encourageait, et créait des liens de foi et d’amour. Un jour, il se promenait avec son fils dans les rues de Jérusalem et soudain, un homme qui passa dans la rue s’adressa à eux en disant à Rabbi Arié : « Tu as le bonjour de ton parent qui réside chez nous, dans l’asile psychiatrique… ». Une fois l’homme éloigné, le fils demanda à son père, abasourdi : « Qui est notre parent dans cette institution ? ». Il ne connaissait aucun parent séjournant dans un asile psychiatrique.

Rabbi Arié lui répondit qu’il était un jour venu à l’hôpital, et qu’il avait repéré un patient négligé portant des traces de violence sur son corps. Il se renseigna sur le sens de ces blessures, et découvrit que cet homme n’avait pas de famille, et que personne ne venait lui rendre visite, et pour cette raison, les directeurs de l’institution le négligeaient. Lorsque des disputes éclataient entre les patients, les directeurs se permettaient de le frapper à titre d’exemple. Ce jour-là, il s’adressa au directeur en lui offrant une plante, et lui annonça que ce malade était de sa famille, et demandait qu’on s’en occupe convenablement… Depuis lors, il venait chaque semaine à l’hôpital pour rendre visite à son pauvre « parent », qui avait obtenu le privilège d’une proximité particulière avec Rabbi Arié.

Amour des hommes qu’il rapproche de la Torah

Il forma de nombreux liens avec de grands sages juifs, mais continua à mener sa vie quotidienne parmi les hommes simples. Lorsqu’il voyait un Juif, ce n’était pas un inconnu, mais un monde en soi. Il le regardait dans les yeux et s’identifiait à sa détresse et sa souffrance, tout comme à sa joie et son bonheur. Plusieurs exemples pour illustrer ce point :

Un jour, on lui demanda : comment se permettait-il d’aider aussi ceux qui ne respectent pas la Torah et les Mitsvot ? Il aidait ainsi ceux qui commettaient une faute ? Rabbi Arié leur répondit que, vu qu’il était petit de taille, il ne voyait pas ce que son interlocuteur portait sur la tête. « Je vois directement dans le cœur… », disait-il, dévoilant ainsi innocemment sa manière d’être et sa vision de la vie.

Il reçut un jour chez lui un ministre à propos d’un sujet déterminant. Soudain, les oreilles sensibles de Rabbi Arié saisirent du bruit dans la cour. « Qui se trouve là-bas ? », demanda-t-il, mais le ministre le rassura en lui disant qu’il n’y avait personne, juste son chauffeur. Rabbi Arié s’étonna : « Personne ? Le chauffeur, c’est personne ? ». Immédiatement, Rabbi Arié le fit entrer, le fit asseoir à table, et lui offrit tout ce qu’il pouvait dans sa modeste demeure. Il papota avec lui et en oublia presque qui était ici le ministre…

Un éboueur relate qu’un jour, Rabbi Arié passa devant lui pendant qu’il balayait la rue. Il s’arrêta soudain, se tourna vers lui avec un sourire en lui disant qu’il le jalousait. « Moi ? », demanda l’éboueur, stupéfait, tout en lançant un regard furtif à la combinaison de travail sale qu’il portait, « que peut-on envier chez moi ? ». Rav Arié sourit et répondit : « Tous les jours, tu nettoies le monde du Saint béni soit-Il ! C’est si facile selon toi ? Sais-tu combien de mérites y sont attachés ? » « A partir de ce jour-là, relate l’éboueur, je me suis senti comme un roi ».

C’est le pouvoir d’un mot émis par le cœur de Rabbi Arié. C’était le secret de son existence. Plonger dans l’âme des gens, y voir le bien et compatir. Si quelqu’un d’autre avait dit la même chose à cet éboueur, il est certain que ces propos n’auraient pas eu un effet aussi puissant. Mais de la bouche d’un homme de vérité, qui, lorsqu’il prenait la parole, il était clair que chaque mot qu’il prononçait portait le sceau de l’authenticité, ces phrases prenaient un tout autre sens.

Prenez garde à mes fils démunis

Rabbi Arié Lévine occupa le poste de Machguia’h du Talmud-Torah « Ets Ha’haïm » pendant près de quarante ans. Grâce à son esprit généreux et pénétrant, il arrivait à comprendre l’esprit des nombreux élèves qui étaient sous sa surveillance, y compris des élèves issus de familles éloignées de la Torah et des Mitsvot, et à les guider dans la voie de D.ieu. On pourrait citer de très nombreux exemples de sa sensibilité extrême envers les élèves, mais contentons-nous d’un seul exemple :

L’usage, au Talmud Torah Ets ‘Haïm, était d’offrir à un enfant qui fêtait sa Bar Mitsva un livre acheté par ses camarades de classe. Mais on n’offrait pas le livre tant que Rabbi Arié n’avait pas apposé quelques mots sur la première page de l’ouvrage. De sa belle écriture, il écrivait la dédicace au nom des amis.

Rabbi Chnéor Meizlich relate : « Dans ma classe étudiait un élève, le fils de gens très pauvres, qui en raison de leur situation financière catastrophique, ne pouvait participer à l’acquisition d’un cadeau pour les garçons Bar Mitsva. Lorsque cet enfant arriva lui-même à l’âge de la Bar Mitsva, les autres élèves ne voulurent pas lui acheter de livre en cadeau. Deux jours avant la Bar Mitsva, Rabbi Arié me rencontra et me demanda : "Pourquoi ne m’as-tu pas apporté le cadeau pour untel, pour que je rédige la dédicace, la Bar Mitsva aura lieu dans deux jours !". Je lui répondis que cet élève n’avait pas participé à l’achat de cadeaux pour les autres élèves, c’est pourquoi on ne lui avait rien acheté. »

« Va chez moi, lui ordonna Rabbi Arié, et demande à ma femme de te donner les Cinq Livres du ‘Houmach qui se trouvent sur le haut de l’étagère, et apporte-les moi. » Je m’exécutai. Lorsque je lui apportai les livres, il soupira et dit : « Non, ce n’est pas ceux-là que je visais. Retourne et dis à ma femme que, sur l’étagère du haut, se trouve une série de 5 livres neufs du ‘Houmach, offerts à mon fils ‘Haïm Ya’acov pour sa Bar Mitsva. Les ‘Houmachim que tu m’as apportés ne sont pas neufs, et il ne convient pas de les offrir en cadeau de Bar Mitsva. Alors que ceux de mon fils sont neufs et il ne les a pas encore utilisés… ».

« Et en effet, on prit les livres neufs sur lesquels Rabbi Arié inscrivit une dédicace au nom de tous les élèves, et c’est ainsi que cet élève eut droit à un cadeau grâce à Rabbi Arié. Au moment de l’écriture de la dédicace, Rabbi Arié déclara : "Qui sait combien aurait souffert cet élève, en voyant les élèves de sa classe venir le réjouir les mains vides, c’est un vrai meurtre ! Et s’il n’a pas pu participer aux cadeaux des autres, est-ce de sa faute ? Que D.ieu préserve ! Il faut tout faire pour éviter d’attrister un jeune homme pauvre…". »