Le Gaon Rabbi Akiva Eiger a été l’un des géants en Torah des générations précédentes. Il a vécu il y a environ 200 ans dans la localité de Pozna en Pologne, mais sa réputation s’est étendue bien au-delà, et des quatre coins du monde juif on lui envoyait des lettres contenant des questions complexes de Halakha.

À son époque vivait un autre géant en Torah, Rabbi Ya’acov Lorberbaum, surnommé le « Gaon de Lissa », qui était lui aussi un grand de la génération, dont les ouvrages profonds sont utilisés jusqu’à aujourd’hui comme textes de référence dans tous les Baté Midrach en Israël et dans le monde.

Un jour, Rabbi Akiva Eiger reçut une lettre contenant une bonne nouvelle : le Gaon de Lissa lui écrivait qu’il comptait se rendre dans la localité de Pozna, dans le but de le rencontrer.

La joie de Rabbi Akiva Eiger ne connut pas de bornes. Il convoqua les chefs de communauté et leur demanda de se préparer à un accueil prestigieux, sans précédent, en l’honneur du Gaon qui s’apprêtait à venir en visite dans leur ville.

Toute la ville revêtit ses airs de fête le jour de la visite prévue du Gaon de Lissa. Les enfants et les adultes portaient des habits de Chabbath, les jeunes filles et les femmes avaient décoré les rues juives, et un magnifique carrosse qui servait à l’un des hommes fortunés de la communauté fut préparé spécialement en l’honneur de l’invité de marque. Tous les habitants se postèrent à l’entrée de la ville, prêts à recevoir avec l’honneur qui lui était dû l’invité prestigieux dont l’arrivée était prévue dans les heures à venir.

Mais Rabbi Akiva Eiger manquait de patience. Il était tellement ému de rencontrer cet immense érudit, et ne pensa pas un instant qu’il était lui-même considéré comme un géant en Torah, pas moins que son invité. « Que faisons-nous ici sans rien faire ? », lança-t-il joyeusement à la foule qui l’entourait, « quittons la ville et avançons-nous en direction du Gadol, pour pouvoir l’accueillir au carrefour, et nous l’accompagnerons ensuite en chants et en danses jusqu’à la ville. »

Les propos du Rav furent accueillis par des cris de joie, et c’est ainsi que tous les Juifs de la ville s’avancèrent sur la route principale, jusqu’à ce qu’ils aperçoivent une calèche avancer en direction de la ville : l’invité de marque y était assis.

Rabbi Akiva Eiger se hâta d’accourir vers son hôte, et après lui avoir chaleureusement serré la main et l’avoir béni pour sa venue dans leur ville, il lui proposa de monter dans le luxueux carrosse décoré préparé spécialement à cet effet.

Les deux Guéonim étaient assis ensemble dans la calèche, échangeant des propos de Torah, accompagnés par une foule nombreuse qui chantait et dansait avec enthousiasme.

Au bout d’un long moment, les accompagnateurs pensèrent qu’ils ne s’étaient peut-être pas donné assez de mal pour honorer les deux grands Guéonim assis dans la calèche : « Pourquoi permettons-nous à ces chevaux de tirer la charrette ?, se dirent-ils, ils ne comprennent pas le privilège dont ils jouissent. Délions les rênes et, au lieu de cela, portons nous-mêmes la calèche. »

Rabbi Akiva Eiger regarda par la fenêtre et vit ce qui se passait. Il s’émut beaucoup de voir les habitants de sa ville déployer tous les efforts possibles en l’honneur de cet invité si particulier. Il décida de se joindre à eux, et tandis qu’il profitait de l’agitation créée autour du carrosse, il en descendit et se joignit à la foule enthousiaste qui le poussait en entonnant des chants.

Rabbi Ya’acov Lorberbaum pensa exactement de la même façon ou presque : il pensait que la foule se donnait du mal pour honorer Rabbi Akiva Eiger. Il descendit du carrosse et se joignit à la foule qui rendait honneur au Gadol Hador.

Une fois arrivés en ville, les Juifs ouvrirent les portes de la calèche et s’aperçurent que personne ne s’y trouvait. Au départ, ils furent interloqués, mais rapidement l’énigme fut résolue : les deux géants en Torah furent identifiés parmi la foule, soufflant de l’effort et des perles de sueur sur leur front.

La foule fut un peu déçue de s’être donné du mal pour rien, sachant que les deux Guéonim ne se trouvaient pas dans la calèche, mais l’une des figures de proue de la communauté déclara aux personnes présentes : « Mes amis, nous n’avons pas porté une calèche vide. C’était une calèche remplie de vertus, de l’humilité exceptionnelle des deux géants en Torah de la génération, qui ont jugé chacun de leur côté qu’un tel honneur était certainement rendu à leur ami et non à lui-même. Nous avons appris une leçon fabuleuse : la grandeur de l’humilité d’hommes dignes d’être honorés plus que toute autre personne sur terre. »