Le nom de l’astrophysicien Stephen Hawking ne peut être inconnu aujourd’hui, pas seulement dans le monde scientifique, mais également dans le monde intellectuel en général, quelle que soit la spécialité à laquelle on veut se référer ; il intéresse aussi bien le monde des mathématiques, le monde de la médecine – du fait de son infirmité rare – le monde de la psychologie, et maintenant, après sa mort, le monde de la philosophie, à la suite de son livre-testament : « Brèves réponses aux grandes questions ». Dans ce livre, il tente d’analyser, avec un optimisme relatif, l’avenir de l’humanité, et ses prédictions, basées, bien sûr, sur des données scientifiques essentielles, méritent notre réflexion pour deux raisons au moins : d’abord, il envisage le devenir de la planète en particulier, de l’espèce humaine en général, avec beaucoup de clairvoyance – apparemment. La deuxième raison de notre intérêt est l’absence totale de référence à une possible transcendance. Quoique nullement pessimiste, il semble personnellement étranger à toute pulsion mystique qui nous ferait dépasser la réalité concrète ; c’est à ce niveau qu’il convient de réfléchir à l’œuvre, ou plutôt à la personnalité, de Stephen Hawking.

Quelles perspectives propose-t-il à l’humanité ? Tout d’abord, il estime que « l’humanité vit ses derniers moments… » Il est évident, écrit-il, qu’un conflit nucléaire, ou une catastrophe environnementale, se produira dans le millénaire à venir… Alors, que doit faire l’humanité, qu’est-ce qui l’attend ? Hawking n’est pas un pessimiste, et il croit que l’humanité va survivre, mais plus sur cette planète qui est surpeuplée et polluée. « Il faudra, pense-t-il, coloniser l’espace, devenir explorateur et, comme l’a fait, en son temps, Christophe Colomb, il faut découvrir de nouveaux lieux à coloniser dans l’espace… Pour quitter la terre, il faudra une approche globale et concertée… » Et il décrit la façon de concevoir les années à venir : « Il ne fait aucun doute que notre monde va considérablement changer dans les cinquante ans à venir, que nous ferons des découvertes fracassantes dans tous les domaines scientifiques. Comme je suis très optimiste et que je ne vois aucune limite à l’intelligence humaine, je pense que nous allons comprendre le big bang, l’origine de la vie sur terre, et savoir s’il existe de la vie ailleurs… Les grandes questions de l’existence restent sans réponse : comment la vie sur terre a-t-elle commencé ? Qu’est-ce que la conscience ? Sommes-nous seuls dans l’univers ? Ces questions-là sont pour les générations à venir ! … Je suis sûr qu’à terme, nous trouverons le moyen de vivre ailleurs dans l’espace. La vie ne se limitera pas à une seule planète : elle est destinée à conquérir le cosmos. »

A cette étape de la réflexion, il convient, pour le Juif religieux attaché à l’Alliance avec le Créateur, et porteur de la promesse des prophètes, d’apporter la réponse à « ces grandes questions de l’existence » et il importe d’exprimer un scepticisme absolu à l’égard de ces perspectives. Remarquons que Hawking n’est nullement négatif vis-à-vis de la transcendance, mais l’on pourrait presque parler chez lui de ce qu’un critique a appelé chez Albert Camus une « transcendance horizontale » et nullement verticale, comme elle doit être dans les relations entre le Créateur et la créature. Mais la transcendance du savant s’adresse à la science et non à D.ieu.

Allons plus loin : Hawking est à l’origine de la théorie du « big bang », qui implique une création « ex nihilo », mais il n’ose pas aller trop loin. Il a bien découvert que le monde semble avoir été conçu pour parvenir à la vie intelligente, mais, prudence ! il ne faut pas le dire ! Il l’écrit clairement : « Ce que nous entendons ordinairement par vie est constitué de chaînes d’atomes de carbone associées à quelques autres atomes comme l’azote ou le phosphore. A priori, il paraît extraordinaire que l’Univers soit si finement ajusté. Est-ce une preuve qu’il a été spécialement conçu pour accueillir l’humanité ? Il faut être prudent avec de tels arguments… » Pourquoi cette prudence ? Parce qu’il serait, à ses yeux, dangereux de parler d’un D.ieu personnel, intelligent Qui dirige l’Histoire de l’humanité ! C’est cette perspective historique qui ne correspond pas aux prévisions du savant, évoquées précédemment. La « colonisation de l’espace » ne s’inscrit pas précisément dans la parole du prophète : « S’ils désirent monter dans les cieux, Je les ferai descendre de là » (Amos 9,2). La recherche scientifique, bien que connaissant ses limites, va toujours tenter de dépasser les bornes de la planète pour se fixer de nouveaux horizons. C’est cette thèse qui sous-tend les théories émises par Hawking dans ses prédictions. Mais cette démarche intellectuelle  refuse d’admettre ce qu’avait découvert Avraham Avinou : « Il y a un Maître dans l’univers ». Peut-être l’intervention d’un facteur qui transcende les données immédiates matérielles, peut-être cette intervention risque d’apparaître comme rétrograde et primitive, mais c’est cette approche du divin qui, elle seule, donne du sens à la création.

Cette proximité du divin, au niveau de l’Histoire universelle, comme au niveau de l’histoire du peuple d’Israël, aussi bien qu’au niveau de l’histoire du fidèle, de l’individu, c’est cette proximité qui apportera une réponse claire aux « grandes questions de l’existence ». Cette approche, totalement occultée par Hawking, qui ne se réfère jamais à un D.ieu Créateur, a été remarquablement traitée par l’un des plus importants philosophes contemporains, Franz Rosenzweig. Soulignant l’idée que la Création ne saurait être occultée, au contraire, la Révélation au Sinaï la confirme, et elle se réalisera dans la Rédemption. « La gloire de D.ieu, écrit-il, est disséminée dans l’univers entier, en d’innombrables étincelles… » Le but de l’acte, de l’observance de la Loi, est de rétablir une unification de ces étincelles. Cette unification repose sur un effort spirituel et elle est placée entre les mains de l’homme. « Ce qui se joue entre l’homme juif et la loi juive, ce n’est rien moins que le processus de la Rédemption, embrassant D.ieu, le monde et l’homme » (L’Etoile de la Rédemption, p. 484). Ici, nous avons non pas une réponse, mais une explication à l’énigme du monde. Ce n’est pas la technologie qui changera l’avenir de l’humanité, qui, en aucune façon, « ne vit ses derniers moments », selon l’expression de Hawking. En effet, c’est le retour au divin, le processus de la Rédemption, comme l’exprime Rosenzweig, qui rassemblera les étincelles disséminées au sein de la création, et rétablira la gloire de D.ieu sur terre. Ainsi, l’avenir est engendré par le passé, et le continue. « Passé et avenir se confondent en une réalité unique. L’engendrement de l’avenir est l’attestation de l’avenir, ce qui met en œuvre la vie éternelle… Sur les ténèbres de l’avenir brûle l’Etoile céleste de la promesse » (Ibid. p. 352). L’avenir n’est plus en cause, car il continue constamment le passé. Ici se situe la promesse de l’éternité, seule perspective qui, loin d’inquiéter, illumine l’avenir.