A notre arrivée aux Etats-Unis en 1947, mes parents louèrent un petit appartement vétuste situé dans un sous-sol, dans le quartier d’East Flatbush à Brooklyn. Quelques semaines s’étaient écoulées seulement lorsque, soudain, je tombai malade. C’était une maladie infantile ordinaire, mais j’avais une forte fièvre et mes parents ne savaient pas où trouver un médecin.

L’une de nos voisines, tel un ange gardien, apparut à la porte. Elle appela son médecin et lui demanda de faire une visite à domicile. Elle prit soin de régler la facture et s’avéra par la suite être une amie très chère. Mes parents ne m’ont jamais laissé oublier cet acte de bonté. Chaque veille de Chabbath, lorsque ma mère préparait de délicieuses ‘Halot et gâteaux, il y avait un paquet pour cette voisine, prêt à être livré. Des années plus tard, le jour de mon mariage, on l’installa à une place d’honneur.

Rétrospectivement, on pourrait argumenter que notre voisine n’a rien fait de remarquable. Une famille de survivants de la Shoah arrive d’Europe, brisée et démunie. Leur petite fille tombe malade et ils ne savent pas à qui s’adresser. Il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas proposer votre aide. Mais mon père nous a enseignés à ne jamais prendre un acte de bonté à la légère. La gratitude est l’un des piliers sur lequel repose notre foi.

Dès le moment où nous nous réveillons le matin jusqu’au moment du coucher, nous devons proclamer les louanges à D.ieu et Lui adresser nos remerciements. Nos premiers mots expriment notre appréciation envers le Saint béni soit-Il pour avoir rendu notre âme. On ne doit prendre aucun aspect de la vie comme allant de soi - un verre d’eau, un arbre en fleurs, un arc-en-ciel - tous sont reconnus par une bénédiction adressée à D.ieu.

Nous agissons ainsi, car D.ieu nous l’a ordonné, mais les bénéfices pour nous-mêmes sont infinis. Par ce biais, nous apprenons à voir le bien dans tout ce que la plupart des gens tiennent pour acquis. Dans la prière du matin, nous énumérons tous les miracles qui, à première vue, apparaissent naturels, mais sont en réalité le plus grand cadeau de D.ieu, et nous Le remercions pour chacun d’entre eux.

L’aptitude à ouvrir nos yeux, à bouger nos membres, à éliminer les déchets dans le corps, etc. sont tous des cadeaux du Tout-Puissant. On admettra que ceux qui ne connaissent pas le mode de vie conforme à la Torah pourraient sourire, ou même en rire, mais en réalité, y a-t-il de bénédiction plus grande que celle d’un corps qui fonctionne bien ? Un trop grand nombre d’entre nous réalisent ceci uniquement après l’avoir perdu - et ensuite, c’est trop tard.

La Torah nous enseigne que l’une des raisons de nos souffrances en exil tient à ce que nous ne nous sommes pas réjouis de tout le bien que D.ieu nous a accordé (Deutéronome 28:47). A première vue, il paraît difficile de comprendre pourquoi pencher vers l’autodestruction et éviter de profiter des nombreux présents (bienfaits) de la vie, mais, par nature, les êtres humains sont mécontents. Dès qu’ils acquièrent quelque chose, ils veulent autre chose. « Celui qui possède cent, désire deux cents » est un enseignement de nos remarquables Sages.

La Torah nous prescrit un mode de vie dans lequel nous devons constamment nous focaliser sur les bénédictions qui font partie de la vie quotidienne. L’attitude de « qu’as-tu fait pour moi récemment ? » n’existe tout simplement pas dans le vocabulaire de la Torah. Toute faveur accordée, peu importe à quel moment, doit être retenue et reconnue.

Ce concept de gratitude est probablement la leçon la plus importante qu’un être humain peut intérioriser, car, une fois maîtrisée, elle garantit le bonheur et une vie chargée de sens et de joie. Les gens courent ici et là, s’inscrivant à divers programmes thérapeutiques, mais ils ne comprennent pas que le bonheur les attend au tournant, dans leur propre esprit et dans leur cœur.

« Merci » - pour un grand nombre d’entre nous, ce mot est très difficile à articuler. Cela peut apparaître paradoxal, mais, bien que la gratitude nous rende bien plus heureux, nous nous y opposons.
 

Pourquoi ?

Nos Sages nous en donnent une idée. En hébreu, le terme « Modé », merci, signifie également « admettre. » En réalité, dire « merci », c’est admettre que nous sommes dans le besoin, vulnérables, que nous ne pouvons agir seuls - et c’est quelque chose qu’il nous est difficile de concéder.

Nous détestons nous sentir redevables, en particulier si le service rendu a été important. De ce fait, plus la faveur est grande, plus notre relation est étroite, plus notre réticence est profonde de révéler notre faiblesse en énonçant ce petit mot.

Ceux qui n’ont pas de problème à dire « merci » à un serveur, un vendeur, ou un portier ont d’énormes difficultés à le dire à ceux qui sont les plus proches d’eux - à leur mère ou père, à leur mari / femme, ou à leur enseignant et rabbin / rabbanite. Dire « merci » serait admettre une progression et une amélioration grâce à ce que d’autres ont fait pour nous.

L’inaptitude à exprimer la gratitude a de nombreuses ramifications, et c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles il y a tant de gens amers. Ceux qui ne peuvent reconnaître la gentillesse trouvent toujours de quoi marmonner, ou critiquer. Ils deviennent de mauvais conjoints, des enfants exigeants, et des amis égoïstes. Ils sont convaincus que tout leur revient, et qu’ils ont droit à tous les bienfaits de la vie simplement parce qu’ils sont en vie. Peu importe à quel point ils sont gâtés, ils ne sont jamais satisfaits. Ils continuent à prendre sans ressentir le besoin de rendre, de donner.

« Qui est riche ?, demandent nos sages. Celui qui est content de son sort. » Comment s’initier à la satisfaction ? En maîtrisant l’art de la gratitude. Et comment maîtriser l’art de la gratitude ? Commencez par des petites choses et augmentez peu à peu.

En prenant quelques instants chaque jour pour nous concentrer sur les bienfaits de D.ieu en Le remerciant pour Ses nombreuses bontés par les bénédictions et les prières - et en disant « merci » à ceux qui nous sont le plus proches et précieux - nous pouvons acquérir l’attribut de gratitude. Même si la première fois, nos paroles sont récitées machinalement, le fait même de les dire va nous conditionner à exprimer notre appréciation, et ceci en soi est significatif. Un jour, nous nous lèverons et découvrirons que ce que nous avons commencé comme une simple habitude a pris un vrai sens et fait partie désormais de notre caractère.

Environ deux ans après le décès de mon mari, je décidai de déménager pour vivre plus près de mes enfants et petits-enfants. Vous pouvez imaginer la difficulté d’un tel changement pour moi. Il y avait eu tant d’amitiés, tant d’associations. Pendant 32 ans, mon mari avait été le leader spirituel de sa communauté, et il n’était pas simple de remballer tout cela et de mettre tout dans une boîte.

Au cours de toutes nos années de mariage, mon mari et moi n’avons jamais échangé de remarques virulentes. Une seule source de conflits : ses papiers. C’était un collectionneur. Il ne jetait jamais rien, et ses papiers contenant des annotations volumineuses étaient éparpillés dans toute la maison.

Mes enfants vinrent m’aider, et, tout en rangeant ses papiers, nous avions l’impression de converser avec lui. Chaque annotation renfermait un message, et le message peut-être le plus pertinent était cette phrase écrite à la main, de sa belle écriture : « Le mot le plus important à retenir : merci. »