Certains récits sont si inspirants et si puissants qu’ils sont pour toujours gravés dans mon esprit.
« Rabbanite, me presse-t-on souvent, racontez le récit de Roch Hachana. »

Cette histoire s’est déroulée il y a plus de 70 ans dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Mon père, le Rav et Tsaddik Avraham Halévi Jungreis, était confronté au défi d’observer la fête de Roch Hachana dans cet enfer sur terre.

Quelle est l’essence de Roch Hachana si ce n’est l’appel imposant du Chofar ? Chaque Juif est tenu de l’écouter. Les parents conduisent même leurs jeunes enfants à la synagogue pour ce moment de sainteté, lorsque les sons du Chofar se répercutent dans tout ce lieu saint.

Mais à Bergen-Belsen, il n’y avait aucun Chofar. Que des démons. Mais les démons de Bergen-Belsen ne réalisaient pas à qui ils avaient affaire. Aucun pouvoir au monde ne peut faire taire notre Chofar - le Chofar de la Torah, le Chofar de la foi, le Chofar du Machia’h.

Tout au long de notre longue et douloureuse histoire, chaque nation haïssant les Juifs et qui a tenté de nous exterminer a échoué. Nous avons triomphé avec le Chofar en main, attendant cet appel final marquant notre Délivrance.

A Bergen-Belsen, mon père et d’autres Rabbanim organisèrent une réunion secrète et conclurent qu’il fallait se procurer un Chofar. Ils étaient déterminés : Roch Hachana ne passerait pas sans les sonneries du Chofar.

Un plan fut conçu : au prix de grands sacrifices, nous avons rassemblé des cigarettes - une monnaie puissante dans les camps de concentration - et avons trouvé quelqu’un qui avait accès à la pile de déchets où se trouvaient nos objets saints, pour y récupérer un Chofar.

Et lorsque Roch Hachana arriva, on sonna du Chofar. Le son électrisa toutes les personnes présentes. Tous ceux qui l’entendirent tremblèrent et éclatèrent en sanglots. Un camp de Juifs polonais était adjacent au nôtre. Les Nazis non seulement nous séparaient par des barbelés électrifiés, mais également par nationalité. Nos frères polonais s’approchèrent en courant pour mieux entendre cet appel qui appartient exclusivement au peuple juif.

Les Nazis accoururent également pour nous frapper avec leurs matraques et leurs fouets, mais pas avant que la bénédiction soit prononcée et que nous nous écriâmes tous : « Amen ! »

Nous saignions et nos blessures étaient profondes et à vif, mais nous restâmes debout. Nous étions Juifs et aucun fouet ne pouvait faire taire notre prière. Aucune menace - même pas les chambres à gaz - pouvait nous inciter à renoncer à notre Chofar et à abandonner notre foi.

De nombreuses années plus tard, je donnais une conférence dans un village de Samarie, Nevé Aliza. C’était la fin de l’été, juste avant Roch Hachana, et je ressentis le besoin de raconter l’histoire du Chofar de Bergen-Belsen. Une fois mon récit fini, une femme dans l’assistance se leva.

« Je sais exactement de quoi vous parlez, me dit-elle, car mon père était le rabbin du district polonais. Vous l’ignorez peut-être, mais votre Chofar a été introduit illégalement dans notre camp, au fond d’une grande poubelle remplie de soupe, et mon père a sonné du Chofar pour nous. »

Je l’observais, momentanément sans voix.

« Et ce n’est pas tout, poursuit-elle. J’ai le Chofar chez moi, ici à Nevé Aliza. Lorsque nous avons été libérés, nous avons à nouveau sonné du Chofar et mon père l’a emporté avec lui. Je l’ai aujourd’hui ici, en Erets Israël. »

Sur ces paroles, elle accourut chez elle et revint quelques minutes plus tard avec le Chofar en main. Elle le tenait avec une précaution infinie, bien plus que si elle avait tenu des bijoux d’une valeur de plusieurs millions de dollars. Nous pleurâmes et nous étreignîmes.

Nous étions là, deux petites filles de Bergen-Belsen dans les collines d’Israël. Et ce petit Chofar de Bergen-Belsen se trouvait également en Erets Israël - dans les mains du peuple juif qu’Hitler avait été déterminé à exterminer.

Le monde entier a déclaré notre mort. Des millions de membres de notre peuple ont été massacrés, mais le Chofar, le symbole de la piété juive, a triomphé des flammes. Et D.ieu m’a accordé l’immense privilège de redécouvrir ce Chofar dans les anciennes collines de Samarie, sur lesquelles notre peuple est miraculeusement revenu après plus de 2000 ans d’errances, d’obscurité, d’oppression, et de Shoah.

L’appel du Chofar est éternel. Son attirance magnétique ne peut être expliquée. Ce n’est pas musical. Ceux qui manquent de discernement pourraient décrire son son comme primitif. Mais lorsque le peuple juif entend son cri, il lui est familier. Il nous réveille. Nous avons entendu ce cri auparavant et nous nous en souvenons. Nous l’avons entendu au Sinaï lorsqu’il a pénétré dans nos âmes et il est pour toujours gravé dans notre mémoire collective, au fin fond de notre cœur, dans notre Néchma, notre âme même.

Notre génération a été bénie de voir ce dont nos grands-pères et grands-mères n’avaient que rêvé. Le peuple juif est rentré à la maison. Nous avons entendu le grand-rabbin de l’armée israélienne sonner du Chofar au Kotel, à ‘Hévron et au Kéver Ra’hel après de longs siècles d’exil. Sa sonnerie reste aussi percutante et inspirante qu’elle l’était au Sinaï.

Depuis Bergen-Belsen jusqu’en Erets Israël et de retour au Sinaï. N’est-ce pas une raison suffisante pour que chaque Juif se lève et proclame : « Hinéni - me voici, prêt à servir mon D.ieu ! »

Puisse le son du Chofar qui nous convoquera pour accueillir le Machia’h se fasse entendre rapidement, de nos jours.

Avec un cœur empli de prières, de bénédictions, et d’affection, je souhaite à mes lecteurs et à tout le Klal Israël une Ktiva Vé’hatima Tova.