Le nom Essav vient de עָשׂוּי - celui qui est fait / fini. Essav naquit avec un corps développé. Il était déjà poilu comme un adulte. Selon le Targoum Yerouchalmi, même sa dentition était complète. Ce développement est-il un avantage ou un préjudice ? Selon le Saba de Kelem – rav Sim’ha Zissel Ziv zatsal –, la déchéance de Essav réside précisément en cela !

L’homme est [selon la Torah…] l’être vivant suprême. Le monde n’a été créé que pour le servir. Ses capacités physiques sont certes restreintes par rapport aux animaux, mais il possède en échange l’intellect, l’outil suprême qui lui permet de dominer toute la création. Néanmoins, son développement physique présente un phénomène très original : alors que tout animal qui nait sait en quelques heures, voire quelques jours, marcher et combler ses besoins, l’homme met de longs mois pour faire ses premiers pas. Puis durant des années, il est incapable de subvenir lui-même à ses besoins. Pourquoi Hachem a-t-Il créé l’homme avec un handicap si aigu ? La réponse à cette question est du domaine de la Kabala. Toutefois, le Saba de Kelem propose une réponse rationnelle : l’homme apprend ainsi à apprendre !

L’intellect n’est pas qu’un outil de survie pour l’homme – à l’instar de l’agilité du chat, ou du tissage de toile de l’araignée. L’homme n’a pas été créé uniquement pour survivre, mais pour s’élever, parvenir à dompter son instinct, se parfaire, se rapprocher d’Hachem. L’intellect est l’outil par lequel l’homme atteint ce but. Il n’est de ce fait pas naturellement développé, car c’est à l’homme de choisir de l’aiguiser. Pour que l’homme s’habitue dès son jeune âge à développer son intellect, Hachem l’a créé limité physiquement. Ainsi, l’enfant observe les comportements des grands, désire profondément leur ressembler, et développe des stratégies pour les imiter. Outre l’acquisition de la performance proprement dite, l’enfant se convainc à chaque nouvel essai de sa capacité d’évoluer, de se concentrer et se travailler sur un point jusqu’à ce qu’il modifie son être, réalise aujourd’hui naturellement des actions qui lui semblaient pourtant si lointaines hier.

Tout enfant se sent naturellement inférieur à l’adulte. Or, il désire se faire une place dans le monde, être lui aussi un grand. Instinctivement, il va se mettre à imiter l’adulte. Une petite fille va jouer à la poupée et s’imaginer être une maman, un petit garçon va saisir un objet rond et s’imaginer conduire une voiture. Cette force innée va lui faire découvrir l’agréable goût d’apprendre. A force de se projeter dans la peau de quelqu’un de mieux, et de trouver en lui les moyens de concrétiser ses rêves, l’enfant va s’inculquer qu’il peut se surpasser. Quand il grandira et réalisera les valeurs réelles de la vie, il les désirera de nouveau, et saura trouver en lui les outils nécessaires pour les acquérir.

Quand la Torah décrit les évolutions de Yaacov et Essav, elle ne se contente pas de dire que l’un était Tsadik et l’autre Racha. Elle nous dévoile plutôt les essences fondamentalement différentes de ces jumeaux : l’un était ‘homme des champs’, ou comme le dit le Targoum, un גְבַר נַחְשִׁירְכָן - un homme qui aime l’oisiveté – alors que Yaacov était un יֹשֵׁב אֹהָלִים - un homme assis dans les tentes – qui étudie.

Selon le Saba de Kelem, cette différence se fit précisément parce que Essav était fait/fini, jouissait d’un développement physique et probablement mental bien avancé. Le revers de la médaille fut de ne pas avoir découvert le plaisir d’apprendre. En ajoutant à cela une forte attirance pour le matériel, on obtient un Edom; jusqu’à la fin de sa vie, Essav demeure un indigène qui se jette sur de la “bouffe” pour combler un désir immédiat, sans même prendre le temps de savoir de quel aliment il s’agit.  

Yaacov en revanche est un assoiffé de connaissance. Malgré la sagesse de son père Its’hak, il va étudier chez Chem et Ever, afin d’écouter les enseignements des rescapés de l’ère de Noa’h. Puis, avant d’aller chez Lavan, il repasse 14 ans dans la Yechiva de Ever pour consolider ses connaissances. Et avant de migrer en Egypte, à la fin de sa vie, il envoie Yéhouda pour qu’il construise à Goshen un Beit Midrach – une maison d’étude.