Il y a quelques mois, je voyageai à Paris pour le mariage de mon cousin. Profitant de l'occasion, je rendis visite à ma grand-mère qui, ayant fait une mauvaise chute il y a deux ans, a dû se résoudre à vivre dans une maison de retraite.

Voulant lui faire une surprise, je ne l'ai pas prévenue de mon arrivée. À peine le pas de la porte franchi, je lui sautai au cou pour l'embrasser.

Elle me regarda et me dit : "Sarah, c'est gentil, tu es venue me voir. Mais pourquoi tu n'es pas à Londres ?" Sarah, c'est ma cousine…

Tout d'un coup, je pris conscience qu'elle ne me reconnaissait pas. "Mamie, c'est moi, Léa, je suis venue de Jérusalem pour un mariage. Tu me reconnais ?"

"Oui, excuse-moi, je me suis trompée, je croyais que c'était Sarah."

Ne ressemblant pas du tout à ma cousine, je compris que, pendant un court instant, elle avait perdu la mémoire. Puis, je pris le temps de l'observer. Ses cheveux étaient blancs, elle avait la peau sur les os, et était là, allongée sur son lit sans pouvoir bouger.

En la voyant comme ça, je ne pus retenir mes larmes… Où était ma grand-mère si forte ? Celle qui a élevé ses sept enfants avec poigne ? Celle qui recevait tous ses enfants et petits-enfants le Chabbath avec sa merveilleuse dafina… Celle qui nous parlait à moitié arabe, à moitié français…

Son corps était bien devant moi, mais tout le reste avait disparu pour n'être plus que des souvenirs...

"Ma fille, pourquoi pleures-tu, c'est parce que j'ai vieilli ?"

"Non Mamie, tu es toujours la plus belle à mes yeux. Je pleure juste parce que tu m'as beaucoup manqué", et là, je m'allongeai à ses côtés comme une petite fille, juste pour la sentir près de moi.

Quelques minutes plus tard, l'infirmière arriva. Elle lui mit un bavoir, puis lui donna à manger à la cuillère. Elle lui parlait comme à un enfant.

J'avais envie de lui crier : "Ce n'est pas parce que son corps ne fonctionne plus qu'elle ne mérite pas de considération." Mais je me tus et avalai mes larmes.

À son départ, ma chère Mamie se retourna et me dit : "Tu te rends compte, avec tout ce que j'ai accompli dans ma vie, je ne suis plus rien."

Cette phrase a été pour moi un électrochoc.

J'ai toujours pensé que le plus terrible dans la vieillesse était les problèmes de santé inhérents, mais j'étais loin de m'imaginer que la pire souffrance était de se voir amoindri aux yeux de ses proches.
 

Amoindrissement total

Finalement, qu'est-ce qui définit l'homme et le respect qu'on lui porte ? Ses actions. Que ce soit par le travail, l'étude, l'éducation, le soin apporté à ses enfants, la cuisine ou des activités de ‘Hessed, une personne s'estime et est estimée lorsqu'elle accomplit des choses. Sauf qu'une fois très âgée, elle n'en est plus capable...

À ce moment-là, on comprend l'importance de la Mitsva de Kiboud Av Vaèm (respect des parents).

En témoignant de la considération à nos parents, on fait plus qu'une Mitsva, on leur donne le sentiment qu'ils sont toujours essentiels dans nos vies, qu'on a toujours besoin d'eux ; en d'autres termes, on leur permet de se sentir toujours vivants.

Mais comment y arriver sans apprendre au préalable à voir tous les bienfaits qu'ils nous ont dispensés, sans se remémorer chaque moment où ils ont été à nos côtés pour nous élever, nous soutenir, nous écouter et nous aimer ?
 

Ça paraît si simple, et pourtant...

Les nouvelles théories éducatives, en privilégiant liberté́ et épanouissement personnel au détriment de l'autorité, ont radicalement changé les rapports familiaux. L'enfant est devenu le centre de l'attention familiale, ce qui lui a donné le sentiment que tout lui est dû.

Combien de fois peut-on entendre des enfants se plaindre de leurs parents : "Je ne comprends pas pourquoi ils ne nous aident pas, ils ont de l'argent", "ils donnent ça à mon frère et pas à moi", "ils sont à la retraite et ne veulent pas me garder les enfants quand j'en ai besoin", "mes parents ont des idées arriérées", "ils me répètent 100 fois la même chose comme si j'avais encore 5 ans"...

Or, les lois de Kiboud Av Vaèm nous invitent à une attitude radicalement différente. Elles nous enjoignent à leur manifester de la reconnaissance et du respect, aussi bien par la parole que par les actes, car si nous ne sommes pas capables d'apprécier ce qu'ils ont fait pour nous, quelle peut être notre relation avec Hachem ?

Finalement, la personne qui en veut à ses parents de ne pas l'aider financièrement finira par reprocher à D.ieu de l'éprouver, celui qui pensera que ses parents font des différences entre les enfants se demandera pourquoi untel a tout ce qu'il désire alors que lui, il n'a rien... Celui qui trouvera ses parents arriérés verra certainement la Torah comme dépassée...

Quand un homme se montre reconnaissant des bienfaits que lui prodigue son Créateur, il reconnaît que tous les bienfaits de ce monde ne viennent que de Lui.

L’enjeu de cette Mitsva est donc colossal, conditionnant d’une part la nature profonde de notre attachement à D.ieu, mais également la qualité de la relation avec nos parents.

Quand on sait que c'est par leur mérite que nous sommes en vie, je me dis que, finalement, Hachem ne nous demande de leur rendre qu'une infime partie de ce que l'on a reçu...

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Je dédie cet article à ma Mamie, Redoi bat Freha.