Question d'une internaute : "Notre fille de 13 ans est dans une école juive religieuse, dans laquelle il n’y a donc que des filles. Depuis quelque temps, et alors qu'à la maison nous essayons de lui donner beaucoup d’amour et d’écoute, elle ressent le besoin de se faire des amis (masculins). Comment expliquer ce qui la pousse à cela ? Et surtout comment lui ouvrir les yeux et l'aider à comprendre que ce n’est pas la bonne voie ? Que devons-nous faire ? Merci pour vos conseils !"

La réponse de Mme Nathalie Seyman

Françoise Dolto, une grande spécialiste de l’enfance et de l’adolescence, appelait cet âge difficile qu’est l’adolescence “le complexe du homard”. Car pareil à cet animal qui se retrouve face à tous les dangers entre deux changements de carapace, les adolescents peuvent se sentir complètement perdus dans leur mutation de l’enfance vers l’âge adulte. Entre changements physiques, hormonaux et émotionnels, leurs limites internes peuvent avoir tendance à s’effondrer. En conséquence, ils cherchent souvent à s’affirmer par l’opposition. Au risque parfois de se mettre en danger si les parents n’utilisent pas les bonnes méthodes pour se faire entendre.

Comprendre nos adolescents

L’adolescence est une période de construction. L’ado doit quitter un monde rassurant, celui de l’enfance, pour se forger une personnalité bien à lui. Pour cela, il peut passer par la remise en cause des idées, des valeurs et de la façon de vivre de ses parents. À partir de 12 ans, le corps de l’adolescent produit de nombreuses hormones qui vont stimuler le cerveau émotionnel. Celui-ci va par conséquent activer le besoin de s’affirmer, d’être pris au sérieux, de découvrir ce qui existe au-delà des frontières familières et de trouver à quel groupe il appartient. Le problème, c’est qu’il y a un décalage entre la maturation hormonale et physique (un corps d’adulte avec des envies d’adultes) et la maturation de la région du cerveau (une réflexion immature et une méconnaissance des risques et des conséquences).
Pour les parents aussi, l’adolescence est souvent une phase difficile. Ils sont en plein questionnement sur la meilleure attitude à adopter et ont l’impression de devoir sans cesse “marcher sur des œufs”. Car la difficulté de cette période est que l’adolescent est entré dans une période où tout est paradoxe : il souhaite l’autonomie tout en craignant l’inconnu, il a besoin de l’amour de ses parents parfois en le rejetant, il recherche des limites en ayant tendance à les refuser. Alors comment réagir ?

Entre faire confiance et poser des limites

Rav Wolbe, un Grand de notre génération et spécialiste en éducation, mentionne le fait qu’éduquer un enfant s’apparente à faire pousser une plante. Cela demande du temps, de la patience et de l’énergie. En effet, durant cette période de l'adolescence, les parents ne peuvent plus simplement imposer comme durant l’enfance. Il faut trouver d’autres méthodes et se renouveler en tant qu’éducateurs pour ne jamais rompre le contact et continuer à faire avancer notre enfant sur la bonne voie. Surtout, les parents ne doivent jamais baisser les bras. Car même si l’adolescent se rebelle et donne l’impression de les rejeter, il a besoin de leurs limites pour trouver son chemin. Mais il est très important que les limites soient données clairement et que les parents soient en accord avec les règles qu’ils imposent. Car les ados ont horreur des positions tièdes et ils reprocheront toujours les failles s’ils les trouvent. On en discute, on argumente, on communique. On ne pourra pas tout lui interdire systématiquement et il faudra faire des compromis. Il est vrai qu’un ado veut tout et tout de suite et que sur le moment, il ne va pas forcément écouter.

Ce qu'il ne faut pas faire, c'est interdire sans explication. Avec son adolescent, il faut avoir un rôle d'accompagnateur car on l’accompagne sur le chemin de sa vie d’adulte. Il faut qu’il arrive à comprendre pourquoi il existe telle ou telle limite car c’est ainsi qu’on le dirige vers le chemin de l’autonomie. Si malgré l'explication, il ne comprend pas ou ne veut pas comprendre, alors vous pourrez lui dire : "Tu ne comprends pas, mais c’est comme ça, et crois-moi, il y a une raison à cet interdit et tu finiras par la comprendre." L’autorité est bien vécue si elle est ressentie comme un acte d’amour et non comme une raison arbitraire d’exercer un pouvoir sur l’enfant. Et une fois les limites bien posées, il sera important de savoir lui faire confiance, de ne pas tout vérifier ni être sur son dos car ce serait inciter son ado à désobéir : “Puisqu’ils ne me font pas confiance, alors pourquoi je les écouterais ?”

Mes conseils

- Expliquez-lui clairement les limites que vous voulez qu’elle observe avec les garçons et expliquez-lui vos raisons. Parlez-en, écoutez ses arguments et exposez-lui vos craintes.

- Évitez les ambiances trop solennelles. Les adolescents ont tendance à se confier plus facilement lorsqu’ils ne ressentent pas qu’il s’agit d’un interrogatoire. Profitez par exemple d’un voyage en voiture ou d’un trajet à la synagogue durant Chabbath pour lui poser des questions et lancer la discussion.

- Interrogez-vous sur ses motivations réelles : commencez par comprendre pourquoi elle tient tant à se faire des amis masculins. Est-ce pour faire comme ses copines, est-ce une façon de se valoriser ou juste une manière de s’opposer à votre autorité ? Pour la comprendre, vous devez communiquer avec elle et savoir lui poser les bonnes questions. Soyez patiente, ne vous mettez pas en colère, il ne faut pas qu’elle ait peur de vous dire ce qu’elle ressent ni qu’elle se sente jugée. Privilégiez l’écoute active au questionnement et ce, en accueillant ses révélations, en montrant votre volonté d’en savoir plus dans le seul objectif de mieux la comprendre. Essayez la méthode de la reformulation afin qu’elle se sente écoutée avec bienveillance et qu’ainsi, elle vous livre les raisons profondes de ce désir : "J’ai l’impression que tu as très envie d’avoir des amis garçons". Ainsi vous restez neutre tout en entrant en interaction avec elle.

- Évitez l’excès d’autorité : elle n’a que 13 ans et vous devez la protéger de ses fréquentations, c’est un fait. Mais chez une adolescente, l’autoritarisme peut fragiliser sa confiance en elle. Il faut lui faire comprendre que même si les limites ne changent pas, son opinion vous importe et a du sens mais qu’elle ne doit pas vous l’imposer.

- Faites-lui confiance : acceptez qu’elle échappe à votre “contrôle”, tout en restant vigilante. Par exemple, si elle vous dit qu’elle va chez sa copine, il faut la croire. Elle doit avoir la sensation que sa parole est précieuse. Et que si elle trahissait un jour cette confiance, alors elle y perdrait beaucoup. Évidemment, tout en gardant un œil prudent.

- Prenez connaissance de son environnement social : il faut que vous connaissiez ses amies et toutes celles (ou ceux) qu’elle fréquente (il ne suffit pas de savoir que ce sont des amies de son école). Peut-être que vous comprendrez mieux ses intentions. Mais surtout ne les critiquez pas car plus vous mettrez le doigt sur ce que vous n’aimez pas chez ses amies et plus elle sera tentée de les imiter.

- Allez ensemble à un cours de Torah qui pourra porter sur le sujet. Peut-être que l’entendre de la bouche d’une tierce personne aura plus d’effet sur ce qu’elle pense.

- Si elle campe sur ses positions et que vous sentez un vrai blocage et le début d’une source de conflit, alors il vous faudra changer de méthode. Il sera préférable d’éviter le refus catégorique car cela ne l’incitera qu’à se rebeller davantage. Il vous faudra à ce moment-là établir un compromis entre elle et vous qui satisfera au mieux tout le monde.

Essayez de ne pas trop vous inquiéter. Un adolescent est marqué par les valeurs que ses parents lui ont transmises durant toute son enfance. Votre fille les a gardées en elle. Vous devez surtout vous armer de patience, d’amour et renforcer les liens avec elle.

Béhatsla’ha !

Si vous avez une question à poser à la psy, envoyez un mail sur l'adresse suivante [email protected]. Mme Seyman essaiera d’y répondre et la réponse sera diffusée de façon totalement anonyme.