Pour vous planter le décor, j’ai 22 ans et ma vie est digne d’un conte de fées. Une maison magnifique, des parents aimants, une scolarité brillante, des amis extraordinaires, et depuis un an, un mari exceptionnel. Pour ainsi dire, j’ai une vie parfaite. Je n’ai jamais eu à me battre pour obtenir quoi que ce soit, le monde me souriait et ça me convenait parfaitement.

Deux mois après être passée sous la ‘Houppa, je tombai enceinte, le comble du bonheur. J’ai vécu une grossesse épanouie. Je sais que ceux qui ne me connaissent pas auront tendance à penser que j’exagère, mais je vous assure que non. C’était trop beau pour être vrai. Et d’ailleurs, l’ombre au tableau ne se fit pas attendre.

Le jour de la naissance. Je m’en souviendrai toute ma vie. Nous allions enfin former une famille, enfin rencontrer notre poupée, le fruit de notre amour. Nous étions sur un nuage de bonheur. 15h15, ma poupée vient au monde. Une joie indéfinissable nous a envahis à la seconde même où nous avons croisé le regard de ce petit paquet de douceur emmitouflé. Elle était parfaite ! Encore plus belle que ce que nous avions imaginé.

Elle était parfaite jusqu’au moment où la sage-femme a défait la couverture dans laquelle mon bébé était emmitouflé. Et là, en la voyant de plus près, mon cœur s’est arrêté, mon visage s’est figé. Mon bébé avait les doigts palmés. C’était la première fois de ma vie que je rencontrais l’imperfection et je n’y étais pas préparée.

L’équipe médicale m’expliquait que mon trésor devrait se faire opérer, que l’intervention n’était pas lourde, que je ne devais pas m’inquiéter, mais je les entendais sans les écouter, j’étais inconsolable, les larmes inondaient mes joues et mon cœur. Je ne savais pas comment faire face. J’étais plongée dans l’angoisse de l’ignorance.

Puis, le moment de l’opération arriva. Une infirmière vint me prendre mon bébé, et, avec un sourire rassurant, elle me dit de me séparer de ma poupée. Je m’exécutai en donnant un bisou tendre sur son front.

Ces quelques heures ont été insoutenables. Je voulais qu’on me la rende, je voulais me réveiller de ce cauchemar. Puis, mon mari est venu s’assoir à mes côtés et m’a dit : « La vie n’a pas besoin d’être parfaite pour être magnifique. Notre fille est une merveille, elle est née avec un supplément de peau qu’il faut retirer pour lui permettre d’attraper ton doigt quand elle aura peur dans la nuit, d’attraper son biberon, sa cuillère quand elle apprendra à manger seule, d’attraper ma main lorsqu’elle fera ses premiers pas, d’attraper son stylo lorsqu’elle ira à l’école… La perfection de notre vie réside justement dans cette imperfection. Cette épreuve va nous renforcer, nous allons la surmonter ensemble, main dans la main. »

Je ne peux pas vous dire à quel point ces mots m’ont apaisée, à quel point ces mots sont entrés dans mon cœur. Il existe la perfection sur papier, celle visible à l’œil nu, un enfant intelligent, beau, bien élevé, la perfection de formalité, puis, il existe la perfection du cœur. Celle-ci est complètement subjective, elle peut même parfois paraître absolument imparfaite, mais aux yeux des personnes proches, celles qui nous aiment d’un amour profond, sans conditions, cette imperfection fait toute notre perfection.

La vie serait bien triste si nous étions tous des clones de perfection formelle, il n’y aurait aucun challenge, aucun travail à faire sur nous-mêmes. La vie serait tellement monotone et bien trop plate.

C’est, sans aucun doute, grâce à ces « imperfections » que notre vie est meilleure. On accepte la déception, on provoque le changement, on espère un meilleur avenir, on tire les leçons de l’épreuve qui nous a été envoyée, et surtout, on construit notre vie parfaite, propre à chacun, avec nos plus et nos moins, ces mêmes moins qui deviendront nos plus.

Quelques jours plus tard, lorsque mon bébé a serré fort mon index dans ses petits doigts, je peux vous dire que j’ai versé des torrents de larmes. Ces larmes avaient le goût de la perfection, larmes que je n’aurais jamais versées si Hachem ne m’avait pas bousculé dans mon confort que je croyais alors parfait, confort qui, tout compte fait, avait un arrière-goût de vie plate et imparfaite.