« Maître du Monde, Seul Toi sais que malgré les listes de courses sans fin, les Chofar en carton ramenés du Gan par les petits, et les cours de la Rabbanite écoutés sur Torah-Box, Roch Hachana m’a de nouveau totalement prise de court… Toi Seul sais que depuis que j’endosse le rôle de mère à plein temps, les fêtes ont l’art de me prendre au dépourvu. Pourtant, cela faisait bien plusieurs semaines que les petits chantaient à tue-tête les si familières mélodies des Séli’hot et qu’ils déclamaient fièrement que “la Téchouva, la prière et la Tsédaka annulent les mauvais décrets”. Qu’ils discouraient à leur manière sur les trois fameux livres ouverts devant Hachem et qu’ils échangeaient leurs impressions sur les mets traditionnels de la fête (« Moi, je n’aime pas les beignets au potiron ! »). Alors comment se fait-il que Roch Hachana soit arrivé si vite et que je ne l’ai pas vu venir ?

Maître du monde dont la demeure est dans les Cieux, Tu sais que j’ai fait l’effort de me lever à la même heure que mon mari pour les Séli’hot, histoire de lui témoigner mon soutien et ma compassion. Et Toi Seul sais qu’une femme debout depuis 5h du matin n’est pas la créature la plus lucide de Ton monde. Et pourtant, la course acharnée du matin consistant à passer de la cuisine à la salle de bain, puis de la salle de bain à la porte d’entrée, m’a à nouveau fait oublier le pourquoi véritable de ce réveil si matinal.

Certes, Hachem, sur mon bureau est posé un livre sur les Jours Redoutables. Parfois, en attendant que l’ordinateur se mette en marche, je trouve quelques minutes pour le feuilleter. Il m’est même arrivé de réussir à mettre en pratique l’un de ses conseils ! D’ailleurs, pas plus tard qu’il y a deux semaines, j’ai réussi à ne pas me mettre en colère contre la caissière du supermarché qui prenait un malin plaisir à prendre son temps alors qu’il était déjà 16h29, soit une minute avant la sortie des classes. Preuve de ma bonne volonté à m’amender sincèrement !

Maître du monde pour qui rien n’est caché, Tu sais combien Roch Hachana est proche et combien, moi, je suis loin ! Tu sais que mes préoccupations de l’heure sont fort éloignées de ce qu’elles devraient être. Entre le prix au kilo de la viande, la gestion des invitations de ma belle-famille, les vêtements à acheter pour la fête, et les coups de fil à passer avant que le téléphone ne soit coupé pour trois jours, mon esprit n’est pas vraiment à l’examen de conscience… Ce n’est pourtant pas, Hachem, faute de vouloir ! Mais que faire si l’organisation logistique des fêtes dont Tu nous a gratifiés prend systématiquement le dessus sur des considérations plus spirituelles ?

Qu’allons-nous dire devant Toi, Qui réside dans les cieux, qu’allons-nous raconter devant Toi, Qui habite les hauteurs célestes ? Que la seule Mitsva que j’arriverai peut-être à dérober à ce rythme impossible sera d’aller écouter le Chofar à la synagogue, ou plutôt à son entrée, pour éviter que les pleurs des petits ne viennent troubler la concentration des fidèles ?

Alors, Maître du monde, que ce soit Ta volonté de m’aider, moi et toutes les autres mères d’Israël, à réaliser durant quelques instants que Roch Hachana ne se résume pas aux achats de volaille et à la préparation des beignets d’épinards. Aide-moi à accomplir mon rôle d’épouse et de mère avec amour, tout en me souvenant de lever de temps à autres mes yeux vers le Ciel pour me rappeler le but ultime de cette folle course-poursuite.

Et de la même manière que la prière dite par le Cohen Gadol dans le Saint des saints le jour de Yom Kippour était courte mais avait un impact décisif pour l’ensemble du peuple d’Israël, fais en sorte que les courtes prières que je parviens ci et là à T’adresser entre le coucher des enfants et le lancement d’une machine atteignent Ton trône céleste et aient leur effet pour le bien de ma petite famille. Accepte de me voir recevoir Ton joug divin, non pas dans le silence feutré d’une synagogue, mais au milieu de jouets éclectiques éparpillés sur le sol du salon. Accepte mon sacrifice de mère juive, qui regarde avec un brin de jalousie son mari partir pour la synagogue enveloppé de son Talith pendant qu’elle reste jouer avec les petits, de la même manière que Tu acceptas les sacrifices du Cohen Gadol dans le Sanctuaire ! »