Nous avons tendance à croire que les enfants du divorce souffrent en permanence, qu’ils sont les malheureux sacrifices d’une union défectueuse, qu’ils ont grandi sur le son des assiettes brisées et des portes claquées. C’est vrai en partie, mais, en ce qui me concerne, je dirais que les enfants du divorce sont surtout les témoins d’une belle et grande mascarade, ils sont les acteurs forcés d’une pièce de théâtre mélodramatique, tous les visages sont masqués, la vie n’est alors que faux semblants.

Lorsque j’étais petite, mes parents faisaient semblant. Ils voulaient m’épargner cette atrocité qu’ils estimaient inadaptée et beaucoup trop violente pour mon âge et j’avais accepté d’y croire, j’avais l’impression que tout allait pour le mieux, que nous formions une famille des plus ordinaires, et cette idée me rassurait. Puis, lorsque j’ai grandi, j’ai commencé à comprendre que rien n’allait, et c’est alors moi qui ai commencé à faire semblant aux yeux du monde entier. Je faisais semblant devant mes parents, car je ne voulais pas rajouter de la tristesse ou de la colère à leur lot qui paraissait déjà tellement lourd à porter. Je faisais semblant devant mes frères et sœurs pour préserver leur innocence et ce qui leur restait d’espoir de former une famille ordinaire. Et je faisais semblant vis-à-vis de moi-même pour me protéger et repousser l’échéance où j’allais devoir affronter et accepter la dure réalité, et où j’allais devoir grandir à jamais.

Je n’ai pas pu éviter ce moment bien longtemps. La réalité était là et, que je fusse prête ou non à m’y confronter, j’y étais bien obligée. Je pense que l’épreuve la plus douloureuse que doit traverser un enfant du divorce est probablement le fait d’être placé de force en arbitre. On nous demande de prendre position, de choisir qui aimer et qui détester. Comment voulez-vous que, du haut de mes 16 ans, je veuille me séparer d’un de mes parents ? Comment voulez-vous que j’accepte de me défaire d’une des deux personnes qui me sont les plus chères au monde, qu’elles m’aient fait souffrir ou non ? Je n’étais pas prête à éradiquer un de mes deux parents de ma vie. J’avais besoin d’eux, je traversais une épreuve, peu importe s’ils en étaient la cause, j’avais vraiment besoin d’eux deux.

Lorsque la nouvelle du divorce tombe, les sentiments sont entremêlés. Au soulagement, se tisse un doute très déstabilisateur. On se demande pourquoi moi ? Pourquoi ne suis-je pas née dans une famille normale et équilibrée ? Suis-je destinée à reproduire ce schéma ?

Puis, avec une maturité que la vie m’imposait, j’ai vite compris que ces questions n’avaient pas lieu d’être. Je n’étais pas défavorisée par rapport aux autres, j’avais passé mon enfance et une partie de mon adolescence au sein d’une famille malade et ça m’avait appris à gérer certaines situations que je n’aurais pas appris à gérer sans ça. Je sais maintenant qu’il y a des choses à dire et d’autres à ne pas dire, qu’il y a une façon de parler, une façon d’agir, une façon d’aimer, que le respect est un incontournable pour vivre dans un foyer sain. C’est vrai que j’ai appris la leçon « à la dure », mais aujourd’hui, ces choses-là sont ancrées en moi. Aujourd’hui, je me sers de ce bagage que je n’ai pas choisi, mais qui fait partie de moi, pour avancer et me construire. Je reconnais les schémas défectueux, je sais quelles sont les erreurs à ne pas faire et je me fraye mon chemin avec un recul que les autres enfants, ceux issus de « familles ordinaires », n’ont pas forcément.

J’aime mes 2 parents, leur incompatibilité n’atténue en rien le respect et l’honneur que je leur porte. Je ne leur en veux pas de m’avoir donné une enfance « pas comme les autres » ; je reste persuadée qu’aucune erreur n’est commise par Hachem, et que tout ce qui a été vécu, vu et entendu, était JUSTE pour moi. Mon enfance, avec ses côtés chaotiques et déformés, était l’enfance qu’il me fallait, elle était confectionnée sur mesure pour moi.

Je ne ressens aucune amertume ni aucune colère, je construis mon avenir en m’appuyant sur mon passé. Je bâtis mon bonheur sur des ruines de malheur. J’apprends à rire là où mes parents ont pleuré. Je suis une enfant du divorce.