Dans la première partie, nous expliquions que le divorce peut arriver car le couple ne s’est au fond jamais aimé. Néanmoins, il arrive que le couple divorce après s’être vraiment aimé, parce qu’il ne s’aime plus. Une telle situation peut correspondre à un amour non entretenu, et c’est ce dont nous allons parler maintenant.

Sans avoir la prétention d’aborder toutes les causes de divorce en pareil cas, citons celles qui nous semblent les plus fréquentes. Incidemment, cette liste non exhaustive pourra constituer autant de garde-fous précieux, autant de signes avant-coureurs permettant d’anticiper le divorce fatidique. On trouvera donc l’absence de projet commun, l’arrivée d’un enfant, l’absence d’enfant en contraire, l’infidélité ou l’attirance pour une tierce personne, l’ingérence de la famille proche (parfois absurdement facilitée de l’intérieur). Mais le facteur dont nous aimerions parler plus précisément, c’est le désinvestissement.

Dans le premier article, nous expliquions que l’amour résulte d’un travail constant. Ce travail repose notamment sur deux qualités : l’assomption (c’est-à-dire l’acte d’assumer son propre rôle dans le couple) et la bienveillance (qui permet notamment de prêter attention à la volonté de l’autre et de lui laisser une place). Les deux qualités conduisent à une seule et même notion, que nous pourrions appeler la contenance. La contenance, c’est la plénitude de l’être optimiste qui, heureux de ce qu’il est et de ce qu’il a, octroie son bonheur débordant à autrui avec facilité et simplicité. C’est aussi la posture de l’être construit qui connaît sa place car il connaît celles des autres.

Quand l’un des époux manque de contenance, qu’advient-il ? Il se met tout simplement à peser sur le couple, à le déséquilibrer. Au lieu de donner à son époux, il prend de lui ; au lieu de le laisser respirer, il l’étouffe ; au lieu d’alléger sa tâche, il l’alourdit considérablement. Pourquoi cela ? Parce qu’il est absent. Par immaturité, par paresse, ou par haine, il se désinvestit de son rôle.

À une époque, nous échangions justement avec une femme qui subissait le désinvestissement de son mari. Celui-ci menait pour ainsi dire une vie de célibataire, quittant le domicile ou revenant à l’heure qui lui convenait, regardant d’autres femmes, demeurant sourd aux attentes de la sienne, restant allongé sur le canapé passivement plutôt que de discuter du devenir de son couple, et d’autres comportements analogues.

Formellement, cet homme était marié ; essentiellement, il ne l’était pas.

Sa femme souffrait de son absence parfois physique bien sûr, mais surtout de son absence en tant que mari et du soutien que cela suppose. Et lui se laissait traîner par sa femme, sans volonté apparente de produire des efforts personnels. Il arriva un moment où son épouse, qui l’aimait certainement ou l’avait aimé, fatiguée de ne plus avoir de mari, fatiguée aussi d’assumer le rôle du mari et de la femme, du père et de la mère, demanda le divorce.

Aussi, pourquoi le divorce arriva-t-il ? Non pas parce que le mari était aux abonnés absents. Après tout, cela peut arriver ponctuellement à tout un chacun. Le vrai problème était que cet homme refusait obstinément d’assurer son propre rôle malgré les appels incessants de son épouse, au point d’en faire une ligne de conduite. Ce n’est pas une défection accidentelle qui a brisé le couple, c’est une défection constante et délibérée.

Or, il est très rare qu’un époux se désinvestisse subitement. Qu’il déclare par exemple sans prévenir : « Je ne veux plus travailler, à toi de subvenir aux besoins de la famille seul(e) », ou : « Je ne me sens absolument plus concerné(e) par l’éducation de nos enfants », ou encore : « J’en ai assez que nous ne trouvions jamais aucun terrain d’entente ; fais ce que tu veux de ta vie ! ». Sauf exception rare, le désinvestissement est graduel. Qui plus est, il est accompagné de signaux d’alerte. Tensions, sautes d’humeur, dépression, les manifestations ne manquent pas. Il faut aussi y ajouter les comportements paradoxaux, que l’autre époux appréhende en tout cas comme tels, et qui traduisent souvent le malaise rongeant l’époux qui n’a pas la possibilité de partager ses doutes.

Pour donc garder une chance qu’un mal-être n’accouche pas finalement d’un « non-être » (le fameux désinvestissement), il faut prendre en compte ce mal-être, et ne pas se désinvestir avant l’heure en faisant comme si rien ne se passait. Dans un couple comme dans la vie, une crise non résolue puis écartée est une crise qui reviendra à coup sûr.

Ceci ressemble à un bébé qui commence à geindre, soit qu’il ait faim, soit qu’il doive être changé, soit qu’il ait peur, soit qu’il ait mal. Que fait l’adulte en ignorant ces signes avant-coureurs ? Il prépare les cris stridents qui ne manqueront pas de survenir tôt ou tard. L’image est transposable au couple : une femme qui fond en larmes, un mari qui claque la porte, et pourquoi pas le contraire, ce n’est pas « rien ». Ce n’est pas non plus un « problème ». C’est un défi. Un défi pour le couple, à qui il est seulement demandé de ne pas l’ignorer. Faut-il parler ? Faut-il écouter ? Faut-il donner de l’affection car l’autre en a besoin maintenant et non plus tard ? Faut-il se remettre en cause ? Faut-il repenser le couple selon de nouvelles règles ? Il y a forcément quelque chose à faire.

Mais si malgré tout on s’obstine à ne rien faire ou, pire encore, si on accable l’autre pour son mouvement d’humeur, on est coupable… de sottise. Le mot semble fort ? Il n’en reste pas moins vrai. La sagesse consiste en effet à anticiper ce qui adviendra (voir Tamid 32a).

Et nous savons bien, nous autres adultes, ce qui adviendra d’un malaise méprisé. Faut-il en arriver à la cérémonie du Guèt (acte de divorce), si courte et si poignante à la fois ? Faut-il en arriver à ces larmes vaines qui surgissent trop tard, à ruminer des « Si j’avais su ! Si j’avais pu ». C’est maintenant, au moment même du trouble, qu’il faut s’investir pour se donner les moyens de savoir et de pouvoir. C’est maintenant, dans la tourmente, qu’il faut s’armer de courage et accomplir l’injonction : « Tu choisiras la vie ! » (Devarim 30,19).