(Chère amie, voici la lettre poignante de ma grand-mère, récemment retrouvée en faisant du rangement. PS : J’ai juste traduit pour toi tous les mots arabes en français, utile, non ?)

Ma chère petite-fille,

J’ai des choses importantes à te dire, avant qu’il ne soit trop tard…

Voici que je m’approche, doucement mais sûrement, de mes vieux jours. Ceux qui effraient certains, mais pas d’autres.

D’aucuns penseraient que la vie ne nous a pas fait de cadeaux, avec papi. Mais ma fille, il n’en est rien. Tout me paraît si clair, maintenant que le puzzle de notre vie est - quasi - complet, Baroukh Hachem.

Tiens, par exemple, quand les accouchements se sont tellement succédé*, dans la douleur physique d’antan, le peu de moyens financiers, le déracinement du Maroc à Paris, je me souviens combien mes nouvelles voisines françaises voyaient cela d’un mauvais œil. Elles me pensaient à plaindre. « La pauvre, elle passe sa vie dans les couches… », disaient-elles.

Ah, mesdames, combien vous seriez admiratives, tant d’années de vérité plus tard, devant nos 108 descendants, Baroukh Hachem ! Mes grands, moyens et petits Trésors fourmillent, à tour de rôle, autour de moi. Quelle joie authentique ! Là où tant de personnes âgées se trouvent esseulées et faibles, je me trouve - bien que sans ton papi qui était la moitié de mon âme - bien entourée et fière. Sans aucune crainte pour le moment où Hachem décidera de me rappeler au bercail.

Si fière de tous ces moments houleux où, avec foi et loi, je rappelais sans cesse à l’ordre mes jeunes filles, qui devenaient bien trop modernes, depuis notre arrivée en France. Tout autant que mes jeunes garçons d’ailleurs, dont les ardeurs s’éveillaient pour la culture et l’argent, en France.

Si fière d’avoir tant lutté, tant prié, tant pleuré, pour contrer ce vent d’assimilation qui voulait souffler sur ma progéniture.

Alors ma fille, après avoir semé avec tant de difficultés, je récolte désormais avec tant d’allégresse ! Je remercie aujourd’hui le Bon D.ieu de nous avoir intimé l’ordre (et non la simple invitation) de nous multiplier et de nous fructifier, sans trop y réfléchir, comme vous… Accomplis toi aussi cette fabuleuse Mitsva, et Il t’aidera à chacun de vos pas !

Tu sais ma chérie, à mon âge, le matériel ne peut plus m’aveugler, et de ma grâce, je ne peux plus jouer. À l’intérieur de mon enveloppe quelque peu flétrie, je vois bien plus clairement ce qui est vrai dans ce bas monde, que rien ne restera après nous ici que ce que l’on a construit d’assez solide pour durer.

Comme ma vie avec papi, qui a été merveilleuse, et a imprimé en vous, nos descendants, l’image de ce que doit être un couple honorable, un couple juif. Alors s’il est vrai que, vu par mes voisines occidentales, j’ai toujours véhiculé l’image d’une femme de maison, donc soumise, papi, pourtant, a été l’époux le plus heureux du monde ! Et moi avec. Car, bien que parfois grincheux, son petit cocon douillet plein de joie et de cris, il ne l’aurait troqué contre rien au monde. Nous nous sommes toujours serré les coudes face aux tempêtes de la vie, et cela, les femmes de mai 68, n’ont pas pu le connaître…

Toi aussi, ma chérie, fais de ton mari un Roi, et il fera de toi une Reine.

Cette lettre, je veux que ce soit pour vous un témoignage d’une vieille dame qui a atteint l’âge de la sagesse, et qui peut vivre sereinement ses dernières années, avec des valises bien pleines. Sereinement, car ayant été en règle avec elle-même autant qu’avec Hachem, avec ses droits et devoirs toute sa vie.

Alors, sois forte, ma fille, et continue à avancer allègrement dans ta vie de Torah et Mitsvot, car elles seules te serviront, arrivée à mon âge.

Sois forte, ma fille, aussi, pour construire aujourd’hui les fondations de ce que tu voudrais laisser derrière toi plus tard. Sache dès aujourd’hui que demain arrive vite, bien trop vite.

Sache quelles traces tu voudrais laisser derrière toi, et travaille à leur construction dès maintenant.

Sois forte, et projette-toi dans l’avenir, pour construire éternellement ton présent.

Avec tout mon amour,

Mamie Rachel


(Ma grand-mère a fermé les yeux quelques semaines plus tard, mais ouvert les nôtres pour longtemps, Baroukh Hachem.)

Apprenons de la sagesse de nos aînés !

(Promis, le prochain article sera plus gai !)

À très bientôt Bé’ézrat Hachem,

*Ma grand-mère a eu 11 enfants, Baroukh Hachem.