« Allô Mme Levy ? Bonjour, Mme Amar au téléphone, la directrice du lycée. Je vous appelle au sujet de Liora. Votre fille traverse des difficultés. Ses résultats sont en chute libre. Son comportement envers ses enseignants et ses camarades laisse à désirer. Elle a changé de fréquentations et ça m’inquiète. Aujourd’hui, pour la première fois, je l’ai surprise à vouloir sécher le cours de physique. Avec tout le respect que j’ai envers votre famille, je ne pourrai pas tolérer une telle attitude. Elle a reçu un avertissement, mais si un tel incident devait se reproduire, Liora serait renvoyée de l’établissement. »

« Malheureusement, Liora m’échappe ces derniers temps. Je ne sais plus comment retrouver notre complicité d’avant. Chacune de nos conversations se finit par des claquements de porte et des larmes. Elle ne supporte plus mes conseils, elle soupire dès que je lui demande la moindre aide. Même quand j’essaye de lui proposer une activité sympa, elle me répond qu’elle est fatiguée, qu’elle n’a pas la force. Je ne sais plus quoi faire. Vous qui côtoyez la jeunesse depuis des années, vous devez certainement avoir de l’expérience dans ces gestions de crise. Qu’est-ce que vous me conseilleriez ? Qu’est-ce que je fais de travers ? Je désespère. »

« Mme Lévy, oublions un instant le but de mon appel et mon statut. Je vais vous parler en tant qu’amie. Votre fille a 15 ans. Elle est en pleine adolescence. Vous avez oublié ce que cela veut dire ? Vous avez oublié comment vous parliez à votre mère à l’âge de 15 ans ?

En tant que parent, nous avons tendance à penser que l’adolescence est un piège qui nous est tendu, pour évaluer nos compétences et performances. Mais nous oublions trop facilement que si cette période est dure à vivre pour le parent, elle l’est tout autant pour l’enfant lui-même. Ce petit bout d’homme ou de femme est en train de quitter son corps et son monde d’enfant de façon brutale. Personne ne les a prévenus que leur monde allait basculer. Hier encore, ils s’attablaient autour d’un thé virtuel avec leurs poupées, et aujourd’hui, ils doivent se battre contre une cascade d’hormones qui leur chamboulent tout de l’intérieur (et de l’extérieur).

Vous me disiez tout à l’heure que vous déploriez le fait que votre fille réponde constamment qu’elle soit fatiguée à vos propositions d’activités amusantes. A 15 ans, nos petites têtes blondes désormais boutonneuses s’apparentent à une race de zombies qui se déplacent en traînant leurs pieds sur le sol, trop fatigués pour soulever l’immense poids de leurs chaussures. Ma réponse ne va peut-être pas vous plaire, les ados de cette planète sont bel et bien fatigués. En effet, leurs articulations les font souffrir, leurs changements corporels les déstabilisent, leur cycle de sommeil change, ils n’arrivent plus à s’endormir aussi tôt qu’auparavant, et donc, le matin, ils sont fatigués et resteraient bien au lit 2 ou 3 heures de plus, pour rattraper les heures de sommeil perdues de la veille… Et généralement, les parents prennent ça comme une provocation à leur égard, un nouveau refus de se plier aux règles, une rébellion, ni plus ni moins.

Le parent, plus particulièrement la maman, a un rôle majeur dans la crise d’adolescence de sa fille. Elle doit être disponible. Sachez être là lorsque votre enfant a besoin d’échanger, de partager, de crier son injustice. Car si vous n’êtes pas là pour elle, elle le fera avec quelqu’un d’autre qui ne canalisera pas cette colère comme seule une maman sait le faire.

Maintenez le contact. Engagez une conversation anodine et plaisante, sans lui rappeler qu’il existe un panier à linge sale quelque part dans la maison ou que sa chambre n’est pas un chantier en construction. Proposez une sortie mère/fille au centre commercial, à la salle de sport, à la pizzéria. Peu importe l'endroit et l’activité choisis, l’important est le moment partagé, et le lien tissé. Il se peut qu’elle émette une réticence à cette complicité qui lui paraît, à son âge, hors sujet, mais retentez de temps en temps, elle finira par baisser les armes, et se laisser séduire par l’idée de faire les boutiques avec maman.

Au début, elle ne voudra pas vous parler et vous laisser entrer dans son jardin secret, qui, pour le coup, est un jardin en friche. Elle ne comprend rien à ce qui lui arrive et elle est à mille lieux de se douter que vous pourriez lui apporter explications, aide ou soutien. Ainsi, commencez par parler de votre journée au lieu de questionner votre fille sur la sienne. L’idée n’est pas de se décharger pendant 10 minutes sur elle, mais de lui tendre une perche pour qu’elle puisse elle aussi raconter. La conversation et l’échange verbal sont les armes secrètes de toutes les mamans du monde. Une maman encourage, console, félicite, apaise, partage la joie et la peine de son enfant, grâce à ses paroles.

Rappelez-vous que l’adolescent est un mini-adulte. Son passage d’enfant à adulte doit être caractérisé par une valorisation de son opinion. Demandez-lui conseil à propos de changements de décoration dans la maison, de nouvelles idées de menus pour le dîner, ou d’une tenue à porter pour une soirée. Ecoutez les propositions, prenez en considération, et acceptez d’en appliquer quelques-unes.

Même après une dispute tumultueuse, isolez-vous, prenez un papier et un crayon, et notez un souvenir heureux que vous avez eu avec votre enfant, une qualité que vous ne pouvez pas lui enlever. Sortez l’album photo de son enfance. Rappelez-vous combien de rires et de joies il y avait autour de cet enfant. Ce n’est pas perdu. L’adolescence est un couloir, l’adolescent doit avancer dans le noir, il ne sait pas où il va, il a peur, la maman doit lui attraper la main pour le guider et le rassurer, et les souvenirs sont la lueur qui les aidera à passer ce couloir plus facilement.

Lorsque la dispute est passée, partagez ce souvenir avec votre enfant. Même s’il aura du mal à desserrer les dents et sourire, ou à desserrer les bras et vous enlacer, son cœur, lui, ne pourra pas s’empêcher de danser et de faire la fête. Car, après tout, le monde de l’enfance qu’il connait et qui le rassure, duquel il se sent arraché, lui manque, et chaque petit pas en arrière vers ce monde lui fait du bien.

Rav Wolbe, dans ses écrits sur l’éducation, mentionne le fait qu’éduquer un enfant s’apparente à faire pousser une plante, cela demande du temps, de la patience et de l’énergie. Cela ne se fait pas d’un claquement de doigt.

L’adolescent est désemparé, vous ne devez pas vous sentir attaqué ou en cause, vous devez rester solide pour deux. Et au fil du temps, les tempêtes vont s’espacer, les accalmies vont se multiplier, le passage de l’enfance à l’âge adulte se sera fait dans la sérénité.

Un adolescent ne reste pas adolescent toute sa vie. Soyez patiente, indulgente et présente. Liora est une bonne fille. Essayez de lui parler, mais encore plus de l’écouter, même lorsqu’elle décide de rester silencieuse. Soyez vigilante si elle se referme sans raison, si elle décide de ne plus répondre au téléphone à son amie, si elle semble particulièrement attristée ou différente. Ce sont autant de signes qui tirent une sonnette d’alarme. Vous arriverez à surmonter ces crises avec de l’amour et de l’attention. »

Bonne chance à toutes les mamans d’ados.