Aya Kremerman, ancienne mannequin et présentatrice TV israélienne ayant fait Téchouva, a définitivement renoncé aux strass et aux projecteurs pour se consacrer à ce qu’elle nomme « l’amour de sa vie ». Dans les lignes qui suivent, elle ouvre son cœur et explique avec fierté son choix.

Aussi loin que je m’en souvienne, les gens ont toujours haussé les sourcils à mon sujet. Quand j’ai quitté le lycée pour me consacrer à la danse, mes profs ont haussé les sourcils. Quand j’ai arrêté la danse alors que j’étais en passe de devenir l’un des grands espoirs d’Israël, ma famille a haussé les sourcils. Quand je me suis mariée à 21 ans, mes copines ont haussé les sourcils. Quand j’ai commencé une carrière à la télé, les médias ont haussé les sourcils. Quand j’ai fait Téchouva, les sourcils étaient si hauts qu’ils dépassaient presque le haut du crâne. Depuis, ils n’ont pas baissé, ni quand j’ai fait mon come-back à la télé dûment couverte, ni quand j’ai annoncé que je renonçais définitivement au petit écran pour me consacrer à une toute autre carrière : celle d’épouse et mère à plein temps.

Pour être franche, j’ignorais encore à ce stade les conditions de travail qui allaient m’être imposées, mais peu importe. Malgré les supplications de ma mère (une vraie féministe !), de mon agent et de mon associée, moi je ne voyais que des petits cœurs roses voltiger tout autour. Cet amour, qui était quelque chose de tout nouveau pour moi, était bien trop beau pour que je m’imagine y renoncer un seul instant. Quand mon grand a eu 5 ans, on m’a au même moment fait une proposition à faire pâlir d’envie la présentatrice du 20h. Et pourtant, j’ai décliné. Je ne pouvais me résigner à manquer un seul sourire, un seul câlin, une seule cuillerée de bouillie étalée sur ses bonnes joues. Et surtout, qu’est-ce que mon bout de chou allait-il manger ? Renoncer à lui donner mon lait au profit d’une poudre blanchâtre douteuse ? C’en était trop.

Il n’y a rien qui m’agace plus que quand les gens me demandent : « Tu fais quoi maintenant, dans la vie ? » Quand je réponds fièrement : « Je suis maman ! », je discerne dans leur regard une pointe de compassion. En fait, leur réaction est révélatrice de la manière dont nos sociétés modernes considèrent la maternité. Celle-ci incarne aux yeux des gens une sorte de servitude imposée. Dans leur esprit, il n’y a que dans le cas où l’on est « maman + autre chose » que l’on vaut vraiment quelque chose.

Chers hausseurs de sourcils, laissez-moi vous annoncer de bonnes nouvelles. Prendre la décision de renoncer à une carrière prometteuse pour s’occuper de ses enfants n’est pas chose simple, je vous l’accorde. Surtout pour quelqu’un comme moi qui n’a jamais reçu d’éducation allant dans ce sens. On m’a inculqué le goût des études, l’ambition professionnelle, l’art de conquérir un auditoire, celui d’exploiter mon potentiel. Mais être mère au foyer, ça, on ne me l’a jamais inculqué.

Alors certes, certains de mes talents artistiques ne s’exprimeront peut-être pas dans le cadre de mon rôle de mère. Mais vous êtes-vous déjà demandé quelle dose de patience fallait-il pour survivre un mercredi après-midi avec votre progéniture à la maison ? Et à ce niveau, autant dire que vos fantasmes et la réalité n’ont jamais été autant éloignés. Si dans mes rêves, j’avais planifié de commencer mon Chabbath ce jour-là, et peut-être même mettre un peu d’ordre, il m’aura fallu rapidement recalculer mon itinéraire. Le grand a trois pages de devoirs de maths à préparer, et, manque de chance, il n’y comprend rien. Je sens que ça va encore me retomber dessus… Pour ne pas trop y penser, je préfère essayer pour la énième fois de proposer une quelconque denrée aux filles, qui trouvent à chaque fois un autre prétexte pour ne pas manger (tout en continuant à réclamer sans cesse à manger). Entre les allers et venues incessantes des petits aux toilettes, je fais Nétilat Yadaïm toutes les 8 minutes. C’est sans compter que je dois aller chercher les deux cadets qui finissent plus tard. Donc le temps d’avoir réussi à déchiffrer une ligne de maths, je dois déjà tout laisser en chantier pour attacher ce petit monde à l’arrière et foncer à l’école. En revenant, je m’aperçois avec épouvante que la petite s’est endormie sur son siège arrière. Je peux dire adieu à ma nuit de sommeil. Ce n’est pas si grave. J’en profiterai pour commencer mon Chabbath…

Mais que serait ma description si je n’évoquais pas mes conditions salariales ? Remarquez, ce sera rapide, vu qu’elles sont inexistantes. Alors, pourquoi donc, demanderez-vous avec encore plus d’emphase, je m’acharne à rester auprès de mes petits jusqu’à leur mariage ? Parce que c’est plus fort que moi. De la même manière que ma Néchama s’est envolée vers Hachem à un certain moment de ma vie, de la même manière elle est attirée par mes enfants, comme un aimant d’une puissance inégalée. Moi, j’ai grandi sans père ; il est décédé quand je n’avais que 5 ans. Quel cadeau est-ce pour moi de vivre pleinement ma maternité ! D’être attentive à chaque rire, à chaque nouvelle dent, à chaque bêtise, et à chaque note au-dessus de la moyenne. Pire, chaque petite chose qui leur arrive et que je rate occasionnellement me remplit de regret. Et au contraire, chacune de leurs conversations enfantines qui parvient à mes oreilles me comble d’une joie indicible. Je n’ai pas l’ombre d’un doute qu’après 120 ans, je regarderai avec fierté chaque table de Chabbath, chaque regard complice, chaque jouet ramassé.

Chers sourcils, je vous invite à rester en hauteur. Peut-être parviendrez-vous à hisser les yeux au-dessus du niveau auquel ils sont habitués à regarder… ?