La Rabbanite Yémima Mizra’hi n’est plus à présenter. Ses cours attirent des milliers de femmes toutes tendances confondues. Nous avons tout de même réussi à voler quelques instants en sa compagnie… Entretien entre 4 yeux avec la Rabbanite la plus en vue d’Israël !

La Rabbanite Yémima Mizra’hi (50 ans) n’est plus à présenter. Epouse du Roch Yéchiva, le Rav ‘Haïm Mizra’hi, mère de huit enfants et avocate de profession, la Rabbanite Yémima donne des dizaines de cours de Torah chaque semaine, qui attirent des milliers de femmes toutes tendances confondues. Elle est également conseillère conjugale et parentale, elle se rend régulièrement auprès des communautés juives de diaspora et publie des livres (grâce au soutien de sa fidèle élève Yikrat Friedman) qui rencontrent tous un succès immédiat. Vous en voulez encore ? Bon, alors elle collecte aussi des fonds pour le foyer de jeunes en difficulté tenu par son mari, elle tient une chronique hebdomadaire dans plusieurs magazines, elle anime une émission de radio, elle donne des cours chez des particuliers… Mon D.ieu, je suis épuisée rien que d’en parler !

Ses cours, qui mêlent blagues populaires, notions kabbalistiques, idées shopping et Ségoulot en tous genres, sont devenus avec les années un véritable phénomène social et attirent un public de plus en plus nombreux au fil des années.

Mais malgré sa popularité, la Rabbanite Yémima est célèbre pour refuser les interviews de manière quasi-systématique. Les raisons ? Elles sont variées. On peut évoquer son manque de temps, son aversion pour les honneurs ou encore son refus de voir une communauté de « groupies » se former autour d’elle. La seule et unique star qui mérite d’être adulée, à ses yeux, c’est la Torah !

Nous avons tout de même réussi (non sans faire appel à certaines de nos relations…) à voler quelques instants en sa compagnie. Même si je sens d’ici que la tâche ne va pas être aisée et qu’il va s’agir de réussir à lui tirer les vers du nez…    

Rabbanite Yémima, Chalom et merci de nous accorder cet entretien. Le rôle incontournable que vous jouez auprès des femmes vous force à de grands sacrifices au niveau personnel. Qu’est-ce qui vous pousse à poursuivre cette formidable entreprise de diffusion de la Torah ?

Pour tout vous dire, je suis incapable de voir la souffrance chez autrui. Tout a commencé il y a 12 ans, lorsque j’ai perdu un fils. Yossef ‘Haï, mon sixième enfant, est né avec une malformation cardiaque et il est décédé à l’âge d’un an. Au cause du problème qu’il avait au cœur, il n’avait pas le droit de pleurer ; s’il pleurait, nous avaient prévenu les médecins, il mourrait… Nous l’avons aimé, choyé et avons comblé jusqu’au plus infime de ses besoins afin qu’il ne pleure jamais. Hélas, le jour où il a versé ses premières larmes, il a en même temps rendu l’âme… Depuis, je sens que D.ieu m’a investie d’une mission : effacer les larmes du visage des filles d’Israël. C’est pour ça que même le jour de Ticha Béav, si vous venez à l’un de mes cours, vous ressortirez avec le sourire ! C’est ma vocation.

Pourquoi, selon vous, notre génération est frappée par tant de problèmes : célibat, éducation, couple, Parnassa, santé ?

C’est vrai, les problèmes n’en finissent pas. Quand je consulte mon mail, il m’arrive de lever les yeux vers le Ciel et de dire à Hachem : « Si c’est l’état de ma boite à mail, alors que doit être l’état de la Tienne ! » Personnellement, je pense que l’une des raisons principales réside dans l’explosion des nouvelles technologies. Chaque jour, des hommes et des femmes m’écrivent pour me dire leur souffrance et me raconter les épreuves auxquelles ils font face. Je parle de dépendance lourde, de contenus indécents et violents, de gens mariés qui se retrouvent empêtrés dans des relations extraconjugales… La famille est devenue d’une extrême fragilité et seule la prière et la méfiance à l’égard de ces outils peut la maintenir intacte. Parfois, des femmes me disent : « Rabbanite, vous exagérez ! Vous nous rendez paranos ! » Je leur réponds : « Si vous avez Internet et Smartphone sans filtre, arrêtez de vivre dans la paranoïa et commencez à régler les problèmes une bonne fois pour toutes. »

Votre style est unique. Comment définiriez-vous la Torah que vous enseignez ?

Quand je prépare un cours, j’imagine les élèves face à moi. J’imagine celle au bout du rang à gauche, une célibataire de 47 ans, celle assise devant moi au premier rang dont la fille rebelle vient de claquer la porte de la maison, celle assise derrière elle avec ses problèmes de fertilité et j’essaye de leur parler. De faire jaillir de la Torah les réponses à leurs épreuves. Et de leur redonner le sourire !

Est-ce que vous sentez que vous devez baisser le niveau de vos cours afin de les rendre accessible à un large public ?

Je ne dirais pas qu’il s’agit de baisser le niveau mais plutôt de lever le voile qui recouvre la profondeur de certains enseignements. Je ne veux pas qu’une femme sorte de mon cours en n’ayant pas saisi un point spécifique. Il m’arrive moi-même de lire ou d’étudier certains livres et de ne pas les comprendre ; personnellement, je trouve que l’auteur aurait dû faire l’effort de rendre ses propos accessibles à tous. C’est là tout l’art d’enseigner la Torah ! Il est beaucoup plus facile de donner un cours compliqué qu’un cours accessible à tous, mais c’est là, à mon sens, tout notre travail !

Si on vous connait en tant que Rabbanite et enseignante, on en sait en revanche moins sur vos origines. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre famille ?

Je suis montée en Erets Israël de Casablanca à l’âge de quelques jours seulement. Mon père était suisse, il appartenait à la célèbre famille Rothschild, et ma mère, elle, était issue d’une grande famille de Rabbanim et de Dayanim marocaine. Ils se sont connus lorsque mon père, après avoir terminé ses études en Suisse, est venu au Maroc pour y ouvrir des Talmudé-Torah. J’ai grandi à Jérusalem, dans le quartier de Baït Végan. Mon grand-père, Rabbi ‘Haïm Chouchena, était lui-même un grand Dayan, un linguiste et un poète. C’est de lui que je tiens mon amour pour la langue hébraïque. Comme je suis née quelques jours après la Guerre des Six Jours (Mil’hémet Chéchet Hayamim), mes parents m’ont appelée Yémima. Remarquez, heureusement que je ne suis pas née après la Guerre de Kippour, ils m’auraient appelée Kappara ! (Rires)

Vos parents vous ont-ils encouragée à l’étude ?

C’est eux qui nous ont donné à tous le goût de l’étude ! Pour mon père, il était extrêmement important que ses filles soient intelligentes, développées sur le plan intellectuel et cultivées. En plus de l’école, il nous enseignait les langues, mais aussi et surtout du Kodech – Michna, Halakha, Bible, commentateurs, etc. Pour mes parents, et sur cela ils étaient remarquablement en avance sur leur époque, la Torah n’était pas quelque chose de réservé aux hommes. C’était l’héritage de tout le peuple juif, hommes et femmes confondus. Attention, je ne dis pas que le langage doit être le même, mais la Torah, elle, est identique et elle s’adresse à tout un chacun. C’est ce que j’essaye de faire passer : l’immensité du message de la Torah à l’égard des femmes, dans leur langage à elles.

La question des questions : êtes-vous féministe ?

Pas dans le sens moderne du terme. Je rejette toute idée de compétition, d’hostilité, de rivalité. Je suis féministe car j’aime le côté féminin de la Torah. Mais tout le débat autour de la question « qui vaut plus que l’autre », franchement, me pompe de l’énergie en vain ! Je m’oppose à ce que les femmes se définissent par rapport aux hommes. Qu’elles prennent comme point de repère l’homme et qu’elles essayent de voir où elles en sont sur cette échelle. L’ont-elles dépassé, oui, non ? Ridicule et sans intérêt. Nous autres les femmes avons tant d’atouts, avons un monde intérieur si riche, alors pourquoi loucher sur la part de l’autre ? La partie féminine de la Torah est si riche qu’elle n’a pas besoin d’être comparée avec quoi que ce soit d’autre. Baroukh Hachem, je pense que nous vivons à une époque où les femmes l’ont enfin compris et c’est pourquoi il y a tant de cours qui s’adressent à elles aujourd’hui.   

Votre humour et votre autodérision sont célèbres. C’est pour vous un moyen de fuir parfois la réalité ?

Oui, sans aucun doute. Sans humour, je pleurerais probablement toute la journée. Les gens qui n’ont pas d’humour ne le sentent peut-être pas, mais ils manquent de vitalité. Les femmes l’ignorent peut-être, mais j’ai beaucoup de raisons de ne pas me prendre au sérieux : je suis désordonnée, tête en l’air, pas organisée pour un sou ; j’adore le shopping et les virées entre copines… Bref, pas la Rabbanite modèle, quoi ! (Rires)

Ne vous arrive-t-il pas par moments de vouloir renoncer à cette exposition constante et revenir à l’anonymat ?

Ah si, c’est sûr. Je vous le confie, mais il faut que ça reste entre nous, parfois je rêve d’être une simple vendeuse chez Zara. Toute la journée, on me supplie de poser pour des selfies, de participer à des soirées, etc. C’est pas facile d’être Yémima et encore moins tous les jours… La vérité, c’est que cette Yémima m’épuise.

Oui, c’est aussi ce que j’ai écrit en introduction !

Ah, tu vois, et toi, encore, tu n’es que depuis quelques heures en sa compagnie, alors imagine moi ce que ça doit être ! Ma réputation se répand de partout et moi je dois courir après elle en essayant de la rattraper… Quoi qu’il en soit, quand je vois le visage rayonnant des femmes et des jeunes filles qui sortent ravies de mon cours, je me dis que le jeu en vaut la chandelle. Je remercie Hachem de me donner chaque jour le mérite d’enseigner Sa Torah aux femmes de Son peuple et de les réjouir. Et elles me le rendent au centuple. Leur amour est la plus belle des récompenses !

Hidavrut – Adapté par Elyssia Boukobza