Nous poursuivons notre entretien avec Rivka, qui nous parle de son activité de Balanite (responsable de l’immersion des femmes aux bains rituels) à Jérusalem. Cliquez-ici pour lire ou relire la première partie de l'interview.

TB : Rivka, vous avez plusieurs cordes à votre violon. Votre famille, la musique, comme nous l’avons vu précédemment, mais également une activité qui vous tient très à cœur : vous êtes Balanite. A la tombée de la nuit, vous rangez votre violon dans son écrin et vous vous rendez au Mikvé. Depuis quand voulez-vous être Balanite ?

En fait, lorsque moi-même j’ai appris les lois de Tahara (pureté familiale) pour mon mariage, j’ai découvert tout un monde étonnant et passionnant dont la femme est le centre. On lui fait d’ailleurs complètement confiance, c’est son domaine, et toute la responsabilité repose sur ses épaules.

Lorsque, concrètement, j’ai voulu devenir Balanite, j’ai appris qu’on ne peut le devenir du jour au lendemain. Il faut une initiation. Je suis donc rentrée par la petite porte, en m’occupant de l’entretien du Mikvé pendant 2 ans. Quand j’ai annoncé mes projets à mon mari, il m’a dit : « Quoi ? Avec un deug de musicologie et un B.A de violon tu veux faire des ménages au Mikvé ? », j’ai répondu : « Oui ». Il était abasourdi, mais il m’a laissée. Et je peux vous dire que j’ai vu une Brakha incroyable dans la maison quand j’ai commencé cette activité.

La Messirout Néfech (don de soi) des femmes qui viennent au Mikvé est incroyable.

Elles viennent pendant une chimio, d’autres se sont levées des Chiva’, le soir du Séder de Pessa’h où 10 invités les attendent à la maison… ou, tout simplement, comme ça nous arrive à toutes, le jour où, justement, on a eu des mots avec son mari. Et bien elles viennent !

Un jour, une jeune femme est arrivée en plein hiver habillée d’une espèce de toge, qui ne couvrait vraiment que l’essentiel, et des talons de 20 centimètres. Son vêtement et son aspect pouvaient prêter à confusion sur ses activités. Elle n’avait pas de monnaie pour payer et nous a dit qu’elle sortait un instant demander de l’argent à son mari. Bon ! On était rassurée, en tout cas, il y avait un mari.

Et bien, je peux vous dire que la Balanite qui l’a trempée est sortie en pleurs de sa cabine, car cette femme a crié de tout son cœur en s’ immergeant : “Hachem, donne-moi la force d’être pudique, aide-moi. Et même si les miens se moquent de moi, que j’aie la force de tenir bon !!” (Rivka est tellement émue en se rappelant ce cas qu’elle ne peut retenir ses larmes.)

C’est une leçon de vie. J’ai appris qu’on ne peut absolument pas se fier à l’apparence. Je ne peux plus juger personne. On ne sait jamais qui on a devant soi. La grandeur des femmes juives est inimaginable. C’est vraiment un cadeau de voir ça. Et je vous en passe. Des histoires, il y en a tous les jours. En voici quelques-unes :

Une femme s’était trempée un vendredi soir et s’est rendue compte, alors que Chabbath était déjà rentré, qu’elle avait un problème à l’ongle du pied. On a cherché une solution pour elle, mais elle était pressée de rentrer à la maison, où son mari et ses invités l’attendaient. Eh bien, une femme qui était présente a fait quelque chose d’incroyable. Il fallait couper l’ongle avec un « Chinouy » (changement). Cette femme le lui a coupé avec ses dents !!

Une dernière histoire, parmi les dizaines que je pourrais vous raconter : une femme me voit avant de se tremper et me dit : « Tu sais tu m’avais bénie après un Mikvé pour une descendance nombreuse, et j’ai eu de ce Mikvé ma première petite fille. Quand je suis revenue après mon accouchement, c’est à nouveau toi qui m’a trempée, tu m’as bénie, et j’ai eu mon petit garçon 9 mois après. Alors, excuse-moi, mais là, je voudrais me reposer un peu, alors… ».

Et celles pour qui ce jour n’est qu’un jour comme les autres ?

Rien ne me fait plus de peine que celles qui viennent en disant ”Ah, ça me saoule, le Mikvé”. Là non plus je ne juge pas, mais je crois qu’elles sont passées à côté du cadeau. Ce jour, il est d’abord pour nous, avant d’être pour lui. Elles n’ont pas travaillé là où il faut.

N’oublions pas que c’est le Jour J. Le processus de pureté est tellement crucial pour la femme juive, le couple, et pour tout ‘Am Israël, que le Yétser Hara’ y va de toutes ses forces : le stylo qui a éclaté au bureau et les mains pleines d’encre, le pot de peinture qui s’est renversé sur elle, etc. Moi je rigole, je suis dans les coulisses, et je vois le Yétser qui s’y met, et je dis aux femmes : “Ne paniquez pas, c’est lui qui fait le Balagane, parce que c’est trop important”. C’est son boulot d’essayer de tout gâcher.

Et là, une lutte commence entre la femme et le Yétser Hara’, et quand la femme gagne, il se passe des choses incroyables, comme dans ce cas :

Une femme est venue un jour avec du vernis à ongle à moitié craquelé. Elle ne voulait pas l’enlever. « Ça y est, j’ai fait tous les préparatifs, je ne l’enlève pas ». J’ai insisté. Rien à faire, elle ne voulait pas l’enlever. Alors je lui ai dit : « Viens, on fait un deal : enlève le vernis, et, dans ton cœur, demande quelque chose à Hachem ». La femme a paru surprise, elle a hésité, et, finalement, elle l’a enlevé. Je l’ai trempée et j’ai complètement oublié cette histoire.

Quelques années plus tard, une femme vient au Mikvé et me dit : « Il y a 3 ans, tu te souviens l’histoire du vernis ? Eh bien, je n’avais pas d’enfants, et j’ai demandé en me trempant de tomber enceinte. J’ai eu mon premier bébé 9 mois après ce Mikvé !! »

A côté de ça, il y a certainement celles pour qui c’est Le Jour...

Bien sûr. J’en connais une qui vient chaque mois avec ses livres, son coussin, son mp3 et des écouteurs aux oreilles. Elle arrive à l’ouverture en nous déclarant : “Aujourd’hui, c’est le plus beau jour de mon mois…”, et elle reste en général 4 heures à se préparer, en bouquinant et en écoutant sa musique. Je ne conseille pas à tout le monde de faire comme ça, parce qu’on arriverait mal à gérer... (Rires)

La grande Rabbanite Sarah Elyassav, qui a formé beaucoup de Balaniot, m’a dit un jour : “Les préparations du Mikvé doivent se faire sans stress, exactement comme comme un bain à la maison, mais la différence, c’est d’avoir la conscience de ce qu’on fait. Là, je me savonne les bras, là, je me lave les cheveux…”

Votre mari vous soutient-il ?

Complètement. Toutes les Balaniot vous le diront. Derrière une Balanite, il y a un mari exceptionnel. On est absente le soir tard, les fêtes, combien de fois suis-je rentrée à la maison ‘Erèv Chabbath, et tout le monde dormait déjà… D’ailleurs, mon mari est également celui à qui je dois mon retour au violon.

Comment gérez-vous un emploi du temps si chargé : famille nombreuse, Mikvé, cours de violon, sans parler des tournées ?

Eh bien… Je ne gère pas… (rires) Sérieusement, j’ai besoin de m’occuper de ma maison et de mes enfants, c’est vital. Donc j’articule autour de ma priorité.

Moi, personnellement, j’ai adoré les années où j’étais à la maison, même sans le violon. La petite routine simple où on va au jardin avec les enfants, on rentre, les bains, le repas du soir... Mais, je dois vous dire quelque chose : je voulais finir mon B.A de violon que j’avais commencé 20 ans plus tôt. Mon mari m’a encouragée et je me suis retrouvée sur les bancs de l’Académie avec des jeunes filles de 20 ans de moins que moi. Tout est revenu très vite. Je n’avais pratiquement rien perdu. Et, fait étonnant, les 20 ans passés à la maison m’ont donné beaucoup de confiance en moi, j’ai appris avec mes enfants à faire la part des choses.

Et en fait, c’était un merveilleux cadeau d’avoir décroché mon diplôme à 41 ans, relativement tard, et de sentir que j’avais fait bonne route pendant toutes ces années où la création de mon foyer avait été l’essentiel.

Hachem m’avait permis de faire un bond en arrière, puis un bond en avant, et de faire ensuite le bilan. C’est un bonheur de pouvoir voir ça.