Ruth Blau, qui est décédée il y a 18 ans, fut l’une des femmes orthodoxes les plus célèbres d’Israël. Ancienne résistante, épouse de l’un des leaders de la communauté orthodoxe de Jérusalem et personnalité hors du commun, elle risqua maintes fois sa vie en faveur du peuple juif auquel elle avait lié son destin. Portrait d’une convertie pas comme les autres…

Si le nom de Ruth Blau est célèbre en Israël et ce, même parmi le public non-pratiquant, il n’en est étonnamment pas de même en ce qui concerne le public français, qui connait mal cette figure incontournable du judaïsme orthodoxe contemporain d’Erets Israël.

C’est Guittel Davidson, bru de Ruth, qui a accepté de lever le voile sur sa belle-mère, qui fut et reste sans doute l’une des converties les plus célèbres de l’histoire d’Israël. Epouse de l’un des leaders de la communauté orthodoxe de Jérusalem et personnalité hors du commun, Ruth risqua maintes fois sa vie en faveur du peuple juif auquel elle avait lié son destin. Son histoire singulière, son cheminement vers le judaïsme depuis la France, ses actes héroïques et son union avec l’un des plus éminents Rabbanim de Jérusalem ont largement contribué à son aura, bien que le mystère continue d’entourer cette femme d’exception…

Une catholique au secours des Juifs

Ruth Ben-David (son nom avant qu’elle n’épouse le Rav Avraham Blau) est née Lucette Madeleine Ferraille en 1920 à Calais, dans une famille catholique ouvrière mais non pratiquante. Elle apprend le catéchisme puis, une fois à Paris, passe son certificat d’études, épouse un jeune soldat de l’Armée française (nous sommes alors deux ans avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale) et commence à travailler en tant qu’institutrice. Un enfant nait de cette union, Claude, qui deviendra douze ans plus tard Ouriel lorsque Ruth et lui-même se convertiront au judaïsme sous les auspices du Rav Maizes et du Rav Rubinstein de la communauté orthodoxe de la rue Pavée à Paris.

Pendant la guerre, Ruth divorce, rejoint le maquis, se voit confier plusieurs missions et contribue au sauvetage de nombreux Juifs traqués par les Nazis. « Ma belle-mère était une personne très intelligente, charismatique et déterminée, raconte Guittel. Elle était polyglotte et c’est pourquoi elle fut choisie pour effectuer des missions à risque, que peu de personnes à part elle étaient capables d’accomplir », précise-t-elle.     

De la conversion aux missions de sauvetage

Après la guerre, Ruth visite le jeune Etat d’Israël et en revient une fervente supporter, avant de se lancer brièvement dans le monde des affaires. Hélas, malmenée par un associé sans scrupule, elle se retrouve emprisonnée à sa place pour malversations. Mais c’est aussi à cette époque qu’elle commence à s’intéresser de plus près au judaïsme. Après sa libération un an plus tard, sa décision est prise : elle franchit le pas en se convertissant en compagnie de son fils et intègre la communauté orthodoxe du Marais puis d’Aix-les-Bains. « Ma belle-mère n’était pas du genre à s’accommoder de demi-mesures. Lorsqu’on lui fit savoir que désormais, elle devait avoir la tête couverte, elle s’exécuta immédiatement et sans chercher d’allègement. Même sur les photos de l’époque, on voit qu’elle ne traversa pas de période intermédiaire, mais au contraire qu’elle appliqua sur-le-champ chacun des préceptes qui lui étaient enseignés », nous explique sa bru.

Nous sommes alors dans la France des années 50. Soit peu avant que le Rav Maizes ne lui demande de prendre part à ce qui sera connu sous le nom de « l’Affaire Yossele » qui défraya la chronique en Israël et au cours de laquelle Ruth jouera un rôle déterminant.

« De par sa personnalité hors du commun, Ruth fut choisie pour remplir diverses missions aussi inattendues que risquées. Elle se rendit plusieurs fois en Iran auprès de l’Ayatollah Khomenei (qu’elle connaissait personnellement) afin de tenter de faire libérer un agent du Mossad arrêté par les autorités. Plus tard, en 1982, elle rencontra Arafat afin de discuter avec lui du sort des soldats disparus Yéhouda Katz, Tsvi Feldman et Zékharia Baumel. Elle effectua plusieurs visites en Jordanie, en Syrie et au Liban, mais nous n’avons pas toujours su la teneur exacte de ces missions, car ma belle-mère agissait dans le seul but de sauver des Juifs et ne recherchait nullement la notoriété », explique Guittel.   

Un mariage inattendu

« Dès son arrivée en Erets Israël, ma belle-mère avait reçu plusieurs propositions de mariage mais aucune n’aboutit, raconte Guittel. Lorsque son fils – mon époux – lui proposa de rencontrer le Rav Blau, l’une des figures les plus importantes de la Eda ‘Harédit de Jérusalem, elle accepta sans hésiter. Encore fallait-il que le Rav accepte la proposition, qui était pour le moins inattendue… Imaginez la situation : le Rav Blau, dirigeant d’une communauté très conservatrice de Méa Chéarim, âgé de 70 ans et veuf avec 10 enfants, acceptant d’épouser une convertie de 20 ans sa cadette, originaire de France et amie de Khomenei… »

Effectivement, le bruit concernant une possible union entre Ruth et le Rav Blau déclencha les foudres de certains milieux de Jérusalem, au point que le couple dut s’unir loin de la capitale, à Bné-Brak, soutenu toutefois par Rabbi Yoël de Satmar qui n’émit aucune objection à ce que le Rav épouse une convertie.

« A tous ceux qui arguèrent du fait qu’il était peut-être inconvenant que quelqu’un de l’envergure de Rav Amram épouse une convertie, il opposa que Boaz en avait fait de même en son temps et que sa future épouse était une femme d’une dimension exceptionnelle et une grande BaalatHessed. Ce qui était tout à fait exact : toute la vie de ma belle-mère fut une longue suite d’actes de bonté qu’elle accomplit en faveur du peuple juif. Que ce soit au cours des différentes missions dont elle fut investie, que ce soit durant la Shoah, que ce soit envers les malades, les pauvres et les esseulés, elle ne cessa de prodiguer le bien autour d’elle. Les pauvres hères de Jérusalem savaient qu’ils avaient une adresse à laquelle ils pouvaient toujours taper ; sa porte était constamment ouverte aux nécessiteux et à tous ceux qui le désiraient. Elle tint même durant plusieurs années un hospice pour personnes âgées non loin de Méa Chéarim ».

Un modèle de détermination et de dévouement

Du côté de Ruth, même si l’adaptation aux coutumes très spécifiques de la communauté de son mari constituait un défi de taille, elle accepta de le relever et le fit avec brio. Ainsi lorsque Rav Amram lui signifia avant le mariage qu’elle aurait à modifier légèrement ses habitudes vestimentaires et se couvrir la tête avec un simple fichu noir, à la façon des femmes pieuses de Méa Chéarim, Ruth accéda à sa demande sans tergiverser. « Ma belle-mère était une femme entière. Lorsqu’elle découvrait une vérité, elle s’y conformait sans sourciller. Une autre de ses qualités était sa capacité d’adaptation. Lorsqu’elle dut embrasser le mode de vie de son époux et se suffire de très peu au niveau matériel, elle le fit de bon cœur. A titre d’exemple, elle n’avait qu’une seule robe de Chabbath et ne s’en plaignit jamais », affirme Guittel, le regard plein d’admiration.

Et quand on demande à Guittel quelle fut la leçon la plus édifiante que lui enseigna sa belle-mère, elle répond sans hésiter : « Je dirais en premier lieu la détermination, mais aussi l’amour des créatures. Son amour des autres n’avait pas de limite, au point qu’elle fut capable de consacrer plusieurs années de sa vie à rechercher un enfant du nom de Moché Simon, qui fut enlevé par des missionnaires à Péta’h Tikva. L’exemple de son courage et de son dévouement m’accompagne jusqu’à ce jour… »

Adapté par Elyssia Boukobza