J’ai terminé le travail tôt aujourd’hui ! Du coup, j’ai envie de faire une surprise à Benjamin. Je me suis empressée d’aller acheter les ingrédients nécessaires pour préparer le poulet aux abricots secs, son plat préféré !

Je me souviens avant mon mariage, il y a quelques mois, avoir dit à Hanna que je n’aimais pas faire la “popote”, car pour moi il s’agissait d’une tâche subalterne. 

“Mais c’est un contre-sens de mépriser la cuisine !, m’a-t-elle répondu. Je ne dis pas d’y passer des heures, mais de s’investir dans le goût et la qualité, car, tu comprends Emma, il y a tellement d’amour et d’affection qui passe par la nourriture… Une maison où l’on mange des plats surgelés passés au micro-onde est une maison où l’on manque d’amour. A contrario, on se souvient tous des petits plats confectionnés par nos mamans. Les petits plats, c’est ce qui nous réchauffe le cœur lors des longues soirées d’hiver, et les tartines beurrées, c’est ce qui nous donne de la force le matin pour aller de l’avant. Bref, la nourriture faite par les femmes c’est le baume au cœur de tous les membres de la famille lors des moments-clés de la journée.”

Je mettais à l’œuvre son conseil pour faire plaisir à Benjamin, et, effectivement, lorsqu’il est rentré, il s’est exclamé avec joie : “Oh quelle bonne odeur ! Cela me rappelle lorsque j’étais petit et que j’allais chez ma grand-mère le dimanche après-midi et que je jouais pendant des heures au foot avec mes cousins dans son salon ! Qu’est-ce qu’on s’éclatait à cette époque ! Un rien nous rendait heureux”. Et le voilà replongé en enfance tout sourire rien que grâce à l’odeur d’un plat.

Décidément, les conseils de Hanna valaient vraiment de l’or.

On se mit à table et je lui racontais : «Mon cousin Olivier a posté les photos de ses dernières vacances sur Facebook ! Ils ont fait le tour de l’Argentine avec sa femme ! Ça doit être magnifique ! Et nous, pour le coup, nous ne sommes pas partis une seule fois depuis que nous sommes mariés… »

« Ma chérie, tu te souviens que l’on avait convenu de faire des économies pendant notre première année de mariage et donc que, pour le moment, on ne peut pas se permettre de partir en voyage… mais c’est le temps d’une période… »

« Oui, tu dois avoir raison, mais c’est frustrant, je sens que j’ai vraiment besoin de vacances… »

Et voici qu’après avoir gouté une première bouchée, il dit la remarque qui tue : « Mais ça manque de sel ! »

Grrr… c’est tout ce qu’il trouvait à dire après le mal que je m’étais donnée !

Sa remarque m’ayant vraiment vexé, je ne manquais pas de lui rendre la pareille !

- C’est tout ce que tu trouves à dire alors que je me suis donnée tellement de mal pour te faire plaisir !

- Ne le prends pas mal, j’ai juste dit que ça manquait de sel.

- Mais toi tu n’as jamais appris à faire un œuf, tu ne rentres même pas les pieds dans la cuisine, alors c’est facile de critiquer !

- C’est bien la première fois que tu me fais une remarque au sujet du fait que je ne sais pas cuisiner, que t’arrive-t-il aujourd’hui ?

- Oui, et bien sache que dans les autres couples, c’est différent : figure-toi que chez mon amie Johanna, c’est son mari qui cuisine !

Et tout d’un coup, je ne sais pas ce qui m’a pris, je poursuivais en lui disant : «  Et puis ce n’est pas tout, tu sais ma copine Jessica a un mari qui est vraiment à son écoute, qui la comprend, tandis que toi tu ne cherches même pas à me comprendre, ni à me dire merci pour le plat : juste à dire que ça manque de sel ! »

- Ma chérie je suis sincèrement désolé pour ma remarque indélicate. J’avoue que c’était déplacé, je n’avais pas réalisé tout le mal que tu t’étais donnée. Mais malgré tout, je ne comprends pas quel est le rapport avec les maris de tes copines Johanna et Jessica ? Qu’ont-ils à voir dans cette histoire ? Ils arrivent un peu comme un cheveu au milieu de la soupe, si je puis dire…

- C’est vrai, je ne sais pas comment je suis arrivée à eux, mais peu importe. Ah en fait, si, je sais : sur Facebook, ma copine Johanna a posté aujourd’hui les photos des pizzas faites par son mari, quant à Jessica, elle a posté « Mon mari : un an de mariage et déjà tu me connais par cœur… merci pour ce bouquet de roses rouges, mes fleurs préférées ».

- Euh, tu veux que je te dise la vérité ? J’ai l’impression que ta présence sur ces réseaux sociaux n’est pas très bénéfique pour notre couple. Si toute la journée ton téléphone fait des notifications, et la plupart du temps c’est pour te signifier un événement “important” dans la vie des autres, comme les vacances de ton cousin en Argentine et autres, forcément à chaque fois, cela va créer chez toi des petites frustrations car tu as l’impression que les autres – contrairement à toi - ont une vie idyllique… J’aimerais bien savoir quel est l’avis de la Torah à propos des réseaux sociaux et de tout l’étalage de la vie privée qui va avec.

- Comment la Torah pourrait-elle avoir un avis là-dessus ? Elle a été écrite il y a des milliers d’années et internet existe depuis 25 ans à peine.

- Tu ne te souviens pas ce qu’avait dit le mari de Hanna une fois ? Toutes les choses qui existent dans ce monde sont écrites au moins en allusion dans la Torah car la Torah précède et contient tout le monde entier. Appelle Hanna et voyons ce qu’elle a à dire sur ce sujet.

J’écoutais le conseil de Benjamin et voici quelle a été sa réaction :

- Hanna, tu connais Facebook ?

- “Face de Bouc”, oui, j’ai déjà entendu parler. D’ailleurs, je ne comprends pas ce nom aussi ridicule ! Il aurait pu au moins appeler cela “Face de Chien” car c’est le surnom que nous donnent les Sages du Talmud à notre génération, qui est celle d’avant la venue du Messie. Enfin bon bref…

Elle appelait “Facebook” “Face de Bouc” ! J’étouffais un fou rire intérieurement et je poursuivais la conversation en lui expliquant le principe.

- Voilà, en fait tout le monde écrit ou publie des photos sur ce qui lui arrive dans la vie. Cela permet de savoir les choses importantes qui surviennent dans la vie de nos amies et même de garder le lien avec des amies d’enfance qui sont éloignées géographiquement.

- Ecoute Emma, ton truc de Bouc, cela a peut-être certains avantages, mais franchement, je ne pense pas que le jeu en vaut la chandelle. Toute la journée, les gens se baratinent en racontant des choses sympathiques qui leur arrivent dans la vie : les photos de leurs dernières vacances, les cadeaux que leur ont offert leurs conjoints, les déclarations d’amour publiques… et forcément, les gens “oublient” de parler de leurs échecs, de leur solitude, de leurs moments de doutes, de leurs moments d’amertume etc. 

Et toi, à la fin de la journée, lorsque tu vois tout cela, tu as l’impression que ta vie est médiocre ; et c’est naturel : la Torah nous dit « la jalousie expulse l’homme de ce monde », c’est-à-dire qu’elle finit par t’expulser de ton propre monde à toi !

Elle dit aussi « la Brakha réside dans ce qui est caché », c’est-à-dire que les vrais moments de bonheur sont inquantifiables, indescriptibles et donc impossibles à mettre sur internet… car le vrai bonheur est intérieur. A moins de publier un IRM de ton cerveau, il est impossible de montrer ta véritable joie aux autres. On peut seulement essayer de convaincre les autres par des photos triées sur le volet - peut-être d’ailleurs afin de se convaincre soi-même qu’on est heureux ??

De plus, je voudrais que tu te souviennes Emma que tu trouveras toujours des amies dont les maris sont très à l’écoute, ou bien ont les moyens d’emmener leurs femmes en week-end ou bien encore sont de supers cordons bleus ! Bref, ils ont des qualités que Benjamin n’a pas ou pas dans la même mesure. Il ne faut jamais, même inconsciemment, comparer ton mari aux maris de tes copines ; car c’est Hachem Lui-même qui t’a destiné ton mari. Est-ce que cela signifie que Benjamin est parfait en tous points ? Sûrement pas ! Mais sache que si Hachem te l’a destiné c’est qu’il est parfaitement constitué, en tous points, avec son lot de qualités et ses failles, afin de te correspondre à toi, car tu es un être unique, différent de tes amies.

La société nous pousse à nous comparer les uns avec les autres, mais cela ne fait que créer des frustrations en permanence au lieu de se concentrer sur le véritable bonheur qu’on a entre ses mains.

C’est vrai que Facebook n’existait pas lorsque la Torah a été écrite, mais on aurait dit que la Torah avait prévu le coup et avait un avis bien tranché sur la question ! Je retournai voir Benjamin et je lui dis : « Que penses-tu de prendre un selfie de toi et moi avec ce plat délicieux afin de montrer à tout le monde à quel point on est heureux tous les deux ? ! »

« V… v… vraiment, tu veux faire ça ? »

« Non !, dis-je en plaisantant, j’ai compris ce soir que le bonheur véritable ne peut pas se montrer. D’ailleurs, qu’aurions-nous à montrer ? Les vrais petits bonheurs de la vie sont indescriptibles : une odeur qui te rappelle ton enfance, un plat qui manque de sel, une petite dispute, notre discussion à cœur ouvert, tes excuses, une profonde remise en question de mon côté… bref, la vraie vie quoi, avec tout ce qu’il y a de plus authentique et de plus profond. Impossible à poster sur Facebook ce genre de choses ! »

Je mettais mon téléphone en mode « avion », non pas pour partir en avion en Argentine comme mon cousin, mais pour partir en voyage… au cœur de mon couple et de moi-même ! Sans aller bien loin, je décidais de me recentrer sur ma vie au quotidien qui n’a rien à envier à personne.  

Même si la Torah a été écrite il y a des milliers d’années, elle est intemporelle, et m’a permis encore une fois d’y voir plus clair sur une problématique tellement actuelle… et de pouvoir profiter de ma fin de soirée en me réjouissant de la vraie vie qui est la mienne.

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