À l’approche de la fête de Tou Bichevat, j’aimerais partager avec vous une réflexion purement « végétale » que j’ai eue il y a quelques années et qui ne m’a pas quittée depuis.

Lorsque j’étais enfant, je me rappelle que ma mère avait son « petit coin » ; il s’agissait d’un espace botanique où elle faisait pousser toutes sortes « d’herbes », comme mes frères et moi aimions les appeler. Je me rappelle de la joie qui l’habitait lorsqu’elle s’occupait de ses plantes, elle les bichonnait. Il nous est même déjà arrivé de la surprendre en train de leur parler. On la taquinait souvent à ce sujet d’ailleurs, mais rien ne l’atteignait. Son bonheur l’emportait sur tout le reste. Autant vous dire que si nous avions le malheur de nous approcher un peu trop de son « espace », qui plus est, avec un ballon au pied, nous passions un sale quart d’heure.

Les années passaient, et nous avions compris que cet espace était particulier et important, mais nous ne savions pas pourquoi. Un soir, le soir de Tou Bichevat, ma mère qui nous avait jugés suffisamment matures, a profité de la magie de l’instant pour percer le mystère au grand jour. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Nous étions en train de lire, et, avec sa voix douce qui la caractérisait, elle nous a dit : « Ces plantes font partie de ce que nous sommes, elles sont notre histoire ». Devant nos yeux interloqués, elle s’expliqua : « Chaque plante évoque un souvenir de mon enfance. Vous, les enfants, avez vos albums photo pour collectionner vos souvenirs. Moi j’ai mon “coin”. ». En fait, elle avait récupéré les boutures de tous ces endroits à tous ces moments donnés, la plante du jardin devant son lycée, la plante de sa grand-mère chez qui elle allait tous les dimanches, la plante que son père avait offerte à sa mère à sa naissance. Son coin prenait vie sous nos yeux, il nous racontait, il nous touchait. Je me rappelle avoir posé des dizaines de questions ce soir-là. Mes frères aussi. Nous voulions tout savoir, tout connaître, tout comprendre. Nous réalisions que notre mère n’avait pas été notre mère toute sa vie, elle avait un passé, elle avait une histoire que nous ne connaissions pas, et de laquelle nous voulions connaître chaque détail.

Ce soir-là, j’ai eu du mal à m’endormir. Comment ces herbes, qui étaient sans importance il y a encore quelques heures, desquelles nous nous étions tellement moqués, que nous avions mal traitées « juste pour rire », étaient devenues une partie de nous-mêmes, une partie de notre famille ? Puis, ça m’est venu comme une évidence. L’arbre est clairement le symbole de la famille. Je tenais là un des merveilleux messages de Tou Bichevat.

En effet, lorsque ma mère enlève les mauvaises herbes qui poussent autour de sa plante, lorsqu’elle l’arrose, lorsqu’elle se soucie de son apport suffisant en chaleur et lumière, elle ne fait pas uniquement de la botanique, elle se souvient d’où elle vient, elle se rappelle des valeurs que chacune des personnes marquantes de sa vie lui a transmises, elle immortalise son histoire.

Un arbre est composé de racines cachées dont on sait qu’elles existent, mais que nous ne voyons pas - nos ancêtres -, du tronc - nos parents qui sont là, qui nous soutiennent et que l’on peut voir -, et des feuilles - nous-mêmes.

On est ce qu’il y a de plus fragile dans notre histoire, la feuille peut voler au gré du vent et se laisser porter loin du tronc et des racines, qui eux ne bougent pas, qui nous attendent solides et patients pour le jour où nous souhaiterions revenir à la maison. On aura découvert, visité, on aura même pensé qu’on pouvait trouver mieux ailleurs, mais, au final, on se rend compte qu’on ne se sent bien et chez soi nulle part ailleurs qu’à la maison.

Nos parents, et surtout nos grands-parents, sont la garantie de notre histoire. Ils nous disent : « Rappelle-toi d’où tu viens, mon enfant, rien ne sert de chercher loin, ta place est là auprès de nous. Nous nous sommes battus pour avoir cette famille, nous avons contré tellement de personnes qui voulaient nous déraciner, nous enlever ce que nous sommes, notre judaïsme, notre foi, notre vérité, nous avons fait la guerre à tellement d’idéologies qui auraient pu détruire notre peuple et notre essence. Nous nous sommes battus pour tes parents et pour toi, pour que tu puisses profiter de cette liberté que nous n’avons pas et dont nous ne voulons pas, mais ne fais pas de cette liberté une rupture, ta famille est là, ta place est auprès de nous. »

Les racines sont notre force, c’est d’elles que nous puisons notre vie. Elles nous donnent sans limites, sans conditions. Les racines sont le début de notre histoire. On ne peut pas vivre notre existence sans se demander comment et au prix de quels sacrifices nous pouvons flotter au gré de l’air et du soleil, par quels mérites nous pouvons vivre notre judaïsme pleinement et librement.

Ce soir-là, je me découvrais l’âme d’un jardinier à la main verte. Je voulais creuser et découvrir notre histoire. Je voulais rendre hommage à mes ancêtres, je voulais les rendre fiers, eux, mes racines, grâce à qui je suis là, aujourd’hui, et maintenant.