L’un des incidents marquants de la Parachat Balak est l’ânesse parlante de Bilaam. Au cours de son déplacement pour aller maudire le peuple juif, elle refusa soudainement d’avancer, voyant devant elle un ange muni d’une épée. Bilaam, qui ne le vit pas,  la frappa à trois reprises. Hachem ouvrit alors la bouche de l’ânesse pour réprimander le mécréant de l’avoir rossé injustement.

Ensuite, Bilaam vit l’ange et celui-ci le prévint que si l’animal n’avait pas cessé d’avancer, il aurait été tué et l’ânesse aurait eu la vie sauve. ’Hazal en déduisent que l’ange exécuta l’ânesse, parce qu’elle avait admonesté Bilaam et l’avait humilié, ne sachant que répondre. Étant à l’origine de la honte d’un être humain, l’ânesse fut éliminée pour ne pas que les gens puissent dire que cet animal avait offensé Bilaam[1]. ’Hazal comparent ceci au cas d’une personne impliquée dans un acte bestial, l’animal est alors tué, car il engendra quelque chose de mauvais[2].

Rav Avraham Grodzinsky, le Machguia’h de Slabodka, analyse cet enseignement de nos Sages.[3] Il souligne tout d’abord le caractère unique de cette ânesse ; elle représentait un miracle extrêmement rare, une preuve indéniable de Hachga’ha (Providence). Elle aurait certainement été source de grand Kidouch Hachem (sanctification du Nom Divin), montrant à tous quels prodiges Hachem est prêt à accomplir pour protéger le peuple juif et manifestant un bouleversement total des lois de la nature. Malgré tout, elle fut tuée pour préserver l’honneur d’un être humain.

Il poursuit en se focalisant sur la personne dont il est question : il s’agit de Bilaam, le Racha, un homme aux nombreux mauvais traits de caractère, en route pour maudire les Bné Israël ! On imagine difficilement un personnage plus ignoble et pourtant, un animal fut abattu pour sauver son Kavod. D’où l’importance du respect dû à tout être humain, parce que celui-ci est créé à l’image de D.ieu, comme nous l’enseigne la Michna de Priké Avot : « L’homme est aimé, parce qu’il fut créé à l’Image »[4]

Rav Issakhar Frand note que l’approche est très différente dans la société laïque. La question suivante y fut posée : si vous aviez le choix entre le sauvetage de votre chien fidèle depuis 15 ans ou celui d’un clochard, tantôt saoul, tantôt drogué, qui sauveriez-vous ? Pratiquement tout le monde a répondu que le chien a priorité dans cette situation. Rav Frand, montre, en faisant référence à l’histoire de l’ânesse, que la conception de la Torah est tout autre. Non seulement c’est l’être humain qui doit être protégé dans de telles circonstances, mais il convient parfois de tuer l’animal pour pouvoir sauvegarder la dignité de l’Homme – même s’il est vil et méchant !

Pourtant, pourrait-on arguer, l’interdit de Tsaar Baalé ’Haïm (faire souffrir des animaux) montre que la Torah est très rigoureuse sur ce point. Alors comment peut-elle permettre de tuer un animal, simplement pour défendre l’honneur d’un être humain ? Les commentateurs expliquent que cet interdit ne s’applique que lorsque l’individu ne tire aucun bénéfice de la souffrance causée à l’animal. C’est la raison pour laquelle il est permis d’abattre des animaux pour en consommer la chair, bien que cela les fasse souffrir.

La Guémara[5] parle des Mitsvot de Prika et de Téina – décharger et charger une bête. Toutes deux  sont des bonnes actions. Mais celle de Prika est prépondérante, car elle permet d’éviter le Tsaar Baalé ’Haïm ; en déchargeant l’animal, on le soulage. Ainsi, si l’on a le choix entre ces deux Mitsvot, il faudra opter pour la Prika. Par contre, si l’âne de notre ennemi a besoin d’être chargé et que celui de notre ami doit être déchargé, c’est le premier qui aura priorité. Ceci, car il vaut mieux surmonter son Yétser Hara et aider quelqu’un que l’on n’apprécie pas[6]. Ici aussi, on ne comprend pas pourquoi l’ordre de préférence est inversé, étant donné l’importance accordée au Tsaar Baalé ’Haïm. Le Min’hat ’Hinoukh explique que ce concept est mis de côté en faveur du bénéfice tiré par un être humain, surtout lorsque le gain est spirituel.

Ceci nous montre l’attitude qu’exige la Torah à l’égard des animaux. Bien sûr, il faut agir avec compassion envers toutes les créatures d’Hachem, mais il ne faut pas perdre de vue que la Création a pour objectif : l’humanité. De plus, cela nous rappelle que quelle que soit l’intelligence de l’animal, il reste d’un niveau spirituel inférieur à celui de l’homme, et que l’honneur de ce dernier, même s’il est question d’un individu bas comme Bilaam, supplante la vie de l’animal, même le plus doué…



[1] Midrach Tan’houma  9, rapporté par Rachi, Bamidbar, 22:33.

[2] Vayikra, 20:15-16.

[3] Torath Avraham, rapporté dans Choul’han Hagavoa, Bamidbar, p. 197.

[4] Avot, 3:18.

[5] Baba Metsia 32b.

[6] Parfois, la Halakha stipule qu’il faut « haïr » une personne, ou au moins ses actions. Cette Guémara parle d’un « ennemi » que nous ne sommes pas autorisés à détester. Pour plus de détails à ce sujet, voir Tossefoth, Baba Metsia 32b, dh : Lakof Yitsro ; et Tossefoth, Pessa’him 113b, dh : Chéraa.