La Paracha de cette semaine, Béhaalotékha, commence par l’instruction d’Hachem à Aharon de préparer et d’allumer la Ménora dans le Michkan.[2] Rachi demande pourquoi ce paragraphe suit celui des sacrifices des Nessiim lors de l’inauguration du Michkan, bien que ces deux sujets ne semblent pas liés. Il explique qu’Aharon était contrarié (’Halach Daato) de n’avoir – ni lui, ni les membres de sa tribu – aucun rôle dans l’inauguration.[3] Hachem le rassura en lui disant que son rôle était plus important parce qu’il préparerait et allumerait la Ménora.

Ce bref épisode montre une qualité admirable chez Aharon ; la seule fois où l’expression « ’Halach Daato » est utilisée à son propos correspond à une situation où il ne pouvait participer à une Mitsva. L’individu est généralement dérangé par des choses qui lui sont importantes ; l’accomplissement des Mitsvot avait une telle valeur aux yeux d’Aharon, que l’impossibilité d’en effectuer une l’affligeait considérablement.

Cette idée se retrouve plus tard dans la Paracha, dans l’incident qui entraîna la Mitsva de Pessa’h Chéni. La Torah parle d’un groupe de personnes qui ne purent apporter le Korban Pessa’h au bon moment à cause de leur impureté au contact d’un mort[4]. Elles vinrent chez Moché Rabbénou et demandèrent : « Nous sommes souillés par un cadavre humain, pourquoi devrions-nous être privés d’apporter une offrande à Hachem en même temps que les enfants d’Israël ? »[5] À la suite de cette discussion, Hachem enseigna à Moché les lois du  Pessa’h Chéni, permettant aux gens qui manquèrent le Korban Pessa’h du 14 Nissan, de l’approcher un mois plus tard.

Le Sifri affirme qu’en réalité, cette Mitsva aurait dû être instaurée par Moché[6], mais Hachem accorda l’honneur à ces hommes de l’établir, du fait de leur désir sincère d’accomplir la Mitsva de Korban Pessa’h[7]. Rav Issakhar Frand souligne que le Sifri décrit ces hommes comme vertueux et « ’Harédim » pour les Mistvot — signifiant littéralement qu’ils tremblent pour le respect des Mitsvot. Ils étaient exemptés de la Mitsva de Korban Pessa’h. Ils n’allaient pas être privés ni punis de n’avoir pas effectué cette offrande et ils auraient très bien pu ne rien dire, voire se sentir soulagés de ne pas avoir à fournir tous les efforts que demande cette Mitsva. À leur honneur, ils optèrent pour l’attitude opposée – pour eux, l’absence d’une Mitsva équivaut à une privation et, comme Aharon, ils furent contrariés par cette opportunité manquée de l’accomplir.

La Paracha nous donne également l’exemple d’une approche opposée. La Torah nous raconte que le peuple juif quitta le mont Sinaï, où ils avaient appris les Mitsvot. Peu après, elle relate deux incidents lors desquels le peuple fauta et fut puni.[8] Et Rachi ajoute une autre faute commise juste avant les deux citées[9], mais il ne détaille pas sa nature. Le Ramban rapporte un Midrach qui explique la première faute : lorsqu’ils quittèrent le mont Sinaï, ils le firent « joyeusement, comme un enfant qui s’échappe de l’école », car ils craignaient qu’Hachem ne leur ajoute d’autres Mitsvot[10]. La comparaison que fait le Midrach à l’enfant qui fuit l’école est intéressante – un enfant est censé tirer profit de ce qu’il apprend en classe, mais il considère tout de même cela comme un poids dont il est content de se décharger dès que possible. Ainsi, le peuple – contrairement à Aharon et aux initiateurs de Pessa’h Chéni – était soulagé de pouvoir se libérer de l’obligation d’éventuelles Mitsvot supplémentaires.

Les commentateurs estiment que cette faille entraina plusieurs autres fautes pour terminer par celle des explorateurs et, par conséquent, par la sanction qui s’ensuivit – les quarante ans dans le désert.[11] Ceci montre que lorsque l’on considère la Torah comme un poids déplaisant, cela mène à une détérioration générale dans notre accomplissement des Mitsvot.

’Hazal nous informent que cette faiblesse s’accentue au fur et à mesure que nous nous éloignons (dans le temps) du Don de la Torah. La Guémara[12] demande quelle est la différence entre les générations antérieures et les suivantes. Et elle répond qu’auparavant, les gens introduisaient leur récolte par leur porte d’entrée (afin d’être sûr de devoir en donner les dîmes) tandis que les générations suivantes cherchaient une échappatoire et faisaient passer leur récolte par leur porte arrière, pour ainsi dire, afin d’être exemptés de toute dîme. On ne trouve plus cette façon de penser : « Pourquoi devrais-je être privé de la Mitsva ? »

Comment peut-on améliorer sa manière de percevoir les Mitsvot et en arriver à réagir comme ces personnages exemplaires ?

Tout d’abord, il est fondamental de comprendre le but de la Création et notre rôle dans ce monde, selon le point de vue de la Torah. Le Messilat Yécharim évoque cette idée dans son introduction, quand il affirme que l’objectif de la Création est de nous prodiguer du bien et que l’accomplissement des Mitsvot est l’unique façon de l’atteindre.[13] Lorsque l’on intériorise ceci, on réalise que la pratique des Mitsvot n’est pas juste un fardeau à porter, mais c’est la manière d’atteindre la Chlémout (perfection) et le bonheur véritable.

De plus, on peut travailler sur notre appréciation des bénéfices de toute réussite spirituelle en général et de chaque Mitsva en particulier – c’est-à-dire réaliser que chaque Mitsva accomplie correctement améliore nos conditions de vie de plusieurs façons. Quand l’individu comprend ceci, tout ce qui le distrait ou l’éloigne de la spiritualité lui semble vide de sens.

Un étudiant de Yéchiva demanda un jour à Rav Orlowek[14] comment cesser d’attendre avec plus d’impatience le déjeuner que la prière de Min’ha. Le Rav lui répondit qu’il devait renforcer son appréciation pour la Téfila afin de réduire sa préférence pour le repas.

Avec une telle approche, on peut espérer émuler les illustres personnages de cette Paracha qui considéraient l’observance des Mitsvot comme une opportunité à saisir et non comme un fâcheux désagrément. 



[1] Plusieurs idées sont basées sur un Dvar Torah du Rav Issakhar Frand.

[2] Bamidbar, 8:1-2.

[3] Rachi, Bamidbar, 8:2, d.h : Béaalotékha.

[4] Voir la Guémara, Soucca 25a qui donne trois options pour déterminer cette contamination.

[5] Bamidbar, 9:7.

[6] Bien évidemment, après l’injonction d’Hachem.

[7] Sifri, Béaalotékha, 68.

[8] Les fautes des « Mitonénim » et de « Bassar Taava ».

[9] Voir Rachi, 10:35 pour comprendre le sens des trois fautes et de leur sanction.

[10] Ramban, Bamidbar, 10:35.

[11] Voir Tallélé Orot, Bamidbar, 10:33, p. 121.

[12] Brakhot 35b.

[13] Le plus grand plaisir ne peut être vécu que dans le Olam Haba, mais il est possible de ressentir un grand plaisir spirituel dans ce monde-ci également.

[14] Il s’agit du Machguia’h de la Yéchivat Torah Or.