Dans la parachat Lekh Lekha (12, 5), il est écrit : "וְאֶת הַנֶּפֶשׁ אֲשֶׁר עָשׂוּ בְחָרָן" (Et les gens quil avait faits à ’Haran).

Rachi explique ce verset de la façon suivante : « Qu’ils avaient faits (assou) à ’Haran – Qu’ils avaient fait entrer sous les ailes de la chekhina. Avraham convertissait les hommes, et Saraï convertissait les femmes, de sorte que le texte leur en tient compte comme s’ils les avaient "faits." »

Ce passage souligne l’importance considérable revêtue par le zikouï harabim – l’action de donner des mérites à la collectivité. Dans son ouvrage ’Hovot Halevavot, Rabbénou Bé’hayé écrit d’ailleurs que même le plus grand des justes, celui qui est parvenu à l’amendement total de ses qualités morales, voire qui s’est rapproché du niveau spirituel des anges célestes dans leurs qualités morales et leurs habitudes vertueuses, n’égale pas les mérites de celui qui ramène ses frères égarés sur le droit chemin et les rapproche de leur Créateur. Et pour cause, la récompense qui l’attend est proportionnelle aux mérites indénombrables acquis par ces Juifs revenus à la Torah sous son influence, et par leurs descendants à jamais.

Rabbénou Bé’hayé illustre ces propos par la parabole suivante :

Deux commerçants voyagèrent dans une contrée pour y écouler leur marchandise. Le premier possédait un unique produit qu’il avait acheté à 10 dinars et il le revendit à 100 dinars, soit dix fois plus cher, ce qui lui permit de réaliser un beau bénéfice. Quand au second, il transportait ce même produit en de nombreux exemplaires. Le bénéfice qu’il réalisa fut donc nettement supérieur à celui de son collègue, car il possédait un plus grand nombre de marchandises.

De même, quiconque se contente de réparer uniquement sa propre âme par la Torah, les mitsvot et les bonnes actions, n’obtiendra qu’un mérite limité. En revanche, celui qui amende à la fois son âme et celle de la collectivité verra son mérite augmenter proportionnellement aux nombres d’individus ayant bénéficié de son influence (’Hovot Halevavot, Chaar Ahavat Hachem, chapitre 6).

On raconte qu’Avraham Avinou reçut chez lui un voyageur âgé de 90 ans auquel il réserva, comme à son habitude, un accueil royal. Après avoir bu et mangé à sa faim, l’invité se leva de sa place, et remercia le patriarche pour son hospitalité. Ce dernier lui répondit que c’était au Créateur du monde qu’il devait exprimer sa reconnaissance et non pas à lui-même. Le vieillard sortit aussitôt une petite idole de sa poche et l’embrassa avec dévotion. S’adressant à lui avec tact et douceur, le patriarche se mit en devoir de lui prouver l’existence d’Hachem, tout en agrémentant ses paroles de récits et de paroles persuasifs et ce, durant six heures d’affilée. Mais pour finir, l’invité reprit son idole, et l’embrassa de plus belle. Que fit Avraham ? Il pria le vieillard de reprendre sa route en paix, et les deux hommes prirent congé l’un de l’autre.

Aussitôt, le Saint béni soit-Il lui apparut dans une vision prophétique et lui dit : « Avraham, mon bien-aimé. Durant 90 années entières, J’ai attendu patiemment le retour de cet homme, dans l’espoir de le voir regagner le droit chemin. Quant à toi, tu n’as pas la patience de l’attendre plus de six heures ? » Immédiatement, Avraham Avinou courut à la recherche du vieil homme et le pria de faire demi-tour : « Le soir est tombé et les bêtes sauvages rôdent dans les chemins. Passez donc la nuit chez moi et demain, il sera toujours temps de reprendre la route. » Le vieillard accepta l’invitation.

Le lendemain matin, après lui avoir servi à boire et à manger, Avraham Avinou essaya de nouveau de dessiller les yeux de ce vieillard et de l’éveiller à la foi divine. Et cette fois, après quelques heures de persuasion, l’homme fracassa son idole à terre et vint grossir les rangs des croyants en Hachem.

Ce récit nous donne un aperçu de la lourde mission qui pesait sur les épaules d’Avraham Avinou, soulignant ainsi la justesse des propos de nos Sages lorsqu’ils affirment (Tossefta Horayot 2, 7) : « Quiconque fait entrer une créature sous les ailes de la présence divine, on lui tient compte comme s’il l’avait créée, façonnée, et amenée au monde » (Séfer Hayachar).

Le ’Hafets ’Haïm consacra sa vie entière au zikouï harabim par le biais des ouvrages qu’il écrivit et des nombreux cours qu’il donna à ses disciples et à ses fidèles. Un jour, il se rendit dans une ville lointaine pour dispenser ses enseignements et après le cours, un vieillard s’approcha de lui et lui confia : « Sachez que votre discours sur le thème de la bonté a eu une grande influence sur moi. »

Et le ’Hafets ’Haïm de déclarer : « Je ne sais pas si mes paroles ont eu une influence sur le reste du public, mais si je me suis fatigué uniquement pour avoir une influence sur cet homme, cela valait la peine. »