La Torah fait une brève mention de Téra’h dans Parachat Noa’h. il fut le père d’Avraham Avinou, mais on le considère tout de même comme un homme mauvais. Après une analyse plus profonde, ’Hazal et les commentateurs nous informent que, comme toujours, une description simpliste « en noir et blanc » ne suffit pas. En l’occurrence, le Midrach nous raconte qu’il se repentit à la fin de sa vie et eut, par conséquent, une part dans le Monde Futur[1]. Téra’h n’est toutefois pas qualifié de « Avinou » (Patriarche), bien qu’il soit génétiquement notre ancêtre[2]. Il est certes compréhensible que l’on ne le révère pas, mais pourquoi ne reconnaît-on pas au moins notre lien avec lui, puisqu’il s’est repenti ?

Pour répondre à cette question, il nous faut examiner de plus près ses failles et les comparer ensuite aux changements qu’il effectua durant ses derniers jours.

Apparemment, le trait de caractère dans lequel Avraham excellait était justement le point faible de son père. Avraham refusa d’adopter un mode de vie idolâtre, malgré la très forte pression sociale qu’il subissait. Il utilisa plutôt son intellect pour discerner la vérité, puis décida de s’y conformer, en dépit des gros risques encourus.

Le fameux Midrach concernant Téra’h et Avraham prouve la défaillance de Téra’h à ce sujet. Il avait un magasin d’idoles et demanda une fois à Avraham d’y rester. Ce dernier détruisit toutes les statues à l’exception de la plus grande et mit un bâton dans sa main. Au retour de Téra’h, Avraham lui expliqua que la grande statue avait réduit les autres en miettes. Téra’h comprit qu’Avraham se moquait de lui – une statue ne pouvait pas agir de la sorte, de sa propre initiative. Avraham répondit : « Entends-tu ce que ta bouche dit ? » Avraham lui prouva le sophisme de sa logique – il adorait ces idoles tout en admettant qu’elles n’eussent aucun pouvoir, aucune indépendance !

À ce moment, Téra’h aurait dû reconnaître que l’argument de son fils prévalait, et changer d’attitude et de mode de vie. Mais au contraire, il livra Avraham aux mains de Nimrod qui le jeta dans une fournaise ardente ![3] Téra’h montra par là son incapacité à accepter des arguments logiques allant à l’encontre de son système de valeurs fallacieux. Il s’adonna à l’idolâtrie avec une foi aveugle au point de vouloir que son fils soit brûlé ! Néanmoins, les derniers versets de la Paracha indiquent que Téra’h commença à se repentir.

La Torah affirme : « Téra’h emmena Avraham son fils, Loth fils de ’Haran son petit-fils, et Saraï, sa bru, la femme d’Avraham son fils ; ils sortirent ensemble d’Our Kasdim pour se rendre au pays de Canaan, ils arrivèrent à ’Haran et s’y installèrent. »[4] Téra’h décida d’entreprendre le long et difficile voyage vers la terre de Canaan. Différentes raisons sont avancées pour expliquer ce choix déterminant. Le Tana Débé Eliahou Zouta affirme que Téra’h réagit à la suite de l’incident à Our Kasdim, quand Nimrod envoya Avraham dans la fournaise ardente. Il réalisa que la vie d’Avraham était en réel danger et l’emmena alors, lui et sa famille, dans un pays lointain.[5] Rav Arié Yéhouda Leib Steinman chlita explique qu’après avoir vu le grand miracle de la survie d’Avraham, il changea et s’efforça de protéger son fils. C'est pourquoi il l’éloigna pour le protéger de tout danger s’il restait à Our Kasdim[6]. Selon cette explication, Téra’h reconnut au moins son erreur dénoncé Avraham, et tenta ensuite de la rectifier en sauvant son fils.

Le Sforno propose une autre interprétation qui suppose une intention plus profonde de la part de Téra’h. Ce dernier vit que la Terre de Canaan était d’un niveau spirituel plus élevé que le reste du monde et décida donc de quitter sa maison pour tenter d’atteindre ce Saint endroit.[7] Mais la Torah nous dit ensuite qu’une fois arrivé à ’Haran, il s’y arrêta et ne continua pas sa route jusqu’en Erets Israël. Seul Avraham termina le périple et arriva en Terre Sainte. Le Sforno n’explique pas pourquoi Téra’h s’arrêta à ’Haran, mais il est évident qu’il n’acheva pas le grand voyage qu’il avait entamé.

Nous voyons ici l’origine de la faille de Téra’h ; il a fini par reconnaître la justesse des arguments d’Avraham et s’est repenti, mais il fut incapable d’aller jusqu’au bout, ni sur le plan idéologique, ni au niveau physique ou spirituel en terminant son parcours vers Erets Israël, et tout ce qu’il impliquait. Ceci explique peut-être pourquoi, malgré son repentir, Téra’h n’atteint jamais le grade de « Patriarche » et n’est pas considéré comme notre ancêtre spirituel. Il ne fut pas un initiateur, il était esclave des valeurs de sa société ; et même quand, grâce à son fils, il commença à faire Téchouva, il s’arrêta au milieu. Il resta à ’Haran, demeura un non-juif, on le décrit comme un idolâtre. Peut-être que le fait que son repentir ne venait pas de sa propre initiative expliquait son manque de volonté pour le faire aboutir.

L’exemple de Téra’h nous enseigne qu’il ne suffit pas de suivre l’exemple d’autrui en ce qui concerne notre évolution et nos aspirations. Nous devons souhaiter développer notre propre relation avec Hachem et être prêts à fournir le maximum d’efforts pour notre élévation spirituelle.



[1] Béréchit Rabba, 38:12.

[2] Dans la Haggada, nous ne l’évoquons pas en tant qu’ancêtre, comme les Patriarches, mais avec une connotation négative puisqu’il était idolâtre.

[3] Béréchit Rabba, 38:13.

[4] Béréchit, 11:31.

[5] Tana Débé Eliyahou Zouta, fin du chap. 25.

[6] Ayélet Hacha’har, Béréchit, 11:31.

[7] Sforno, Béréchit, 11:31.