Rechercher des leçons sur le bonheur à travers la Paracha Vayéchèv n’est, de prime abord, pas une démarche facile. En effet, le texte de cette semaine semble dramatique par bien des aspects : des rivalités/jalousies fraternelles, la vente de Yossef, ses épreuves, la peine de Yaakov face à l’annonce de sa mort de Yossef etc.

Mais en réalité, ce contexte difficile nous oblige à pénétrer plus précisément cette notion de bonheur, et à comprendre comment l’articuler avec les épreuves que l’homme doit affronter durant sa vie. En effet, le bonheur ne saurait se confondre avec une forme d’insouciance, et il n’est pas non plus réservé à des hommes et des femmes qui auraient la chance d’avoir une vie facile, épargnée des épreuves et des difficultés.

En outre, et c’est là un enseignement majeur du judaïsme, le bonheur ne doit pas dépendre uniquement du contexte extérieur qui entoure la vie de l’homme, il se construit avant tout de l’intérieur grâce au regard que l’homme porte sur les événements de sa vie.

Examinons notre Paracha. Nous remarquons un décalage entre le début de la Paracha qui voit Yossef actif, prendre la parole spontanément devant ses frères et son père, et la deuxième partie de notre texte où Yossef ne s’exprime plus, objet d’une histoire qu’il ne semble plus maîtriser. Il est vendu par ses frères, puis jeté dans un puits, sorti du puits, vendu à des marchands arabes, vendu à Potiphar, jeté en prison… Et, chose extraordinaire, face à toutes ses « montagnes russes » émotionnelles, Yossef ne réagit pas, il ne se révolte pas, il ne dit même pas un mot.

Chacun connaît le dénouement de cette histoire. Yossef va être nommé vice-roi d’Egypte et il permettra ainsi à sa famille de traverser la famine qui sévissait alors dans la région en s’installant à Gochène.

Ce destin miraculeux souligne de manière éclatante à quel point la vie de l’homme se joue à deux niveaux. Le premier est constitué des évènements que l’homme semble maîtriser, décider. L’homme apparaît alors aux commandes de sa vie, il semble comprendre la logique qui prévaut à son histoire. Il dispose du libre arbitre et ses décisions l’engagent dans telle ou telle direction. Par exemple, c’est Yaakov qui semble décider d’envoyer Yossef chercher ses frères et s’enquérir de leur santé : « Vayichla’héhou Mé’émèk ‘Hévrone - Il l’envoya vers la vallée de ‘Hévrone » (Béréchit 37, 14), ce qui est le prélude à toute la série d’évènements ultérieurs.

Toutefois, derrière cette décision initiale apparente de Yaakov, se met en place également le plan voulu par D.ieu afin de réaliser la promesse faite à Avraham, qui prévoyait pour sa descendance une période d’esclavage avant de devenir le peuple d’Israël, d’hériter de la terre et de recevoir la Torah.

Aussi, les évènements de la vie d’un homme répondent également à une deuxième logique, qui est celle de D.ieu et de la direction dans laquelle Il veut orienter l’homme. Cela peut expliquer ces situations où l’homme ne comprend plus la logique des évènements qu’il vit, celle-ci lui échappe, il perd les leviers qui lui donnaient l’illusion précédemment de contrôler sa vie.

C’est précisément ce principe qui fera dire plus tard Yossef à ses frères : « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais l’Eternel pour organiser un grand sauvetage » (Béréchit 45, 7).

Cette remarque est peut-être la clé qui permet de comprendre le mutisme de Yossef face à l’adversité et aux épreuves qu’il vivait. Il ne se révoltait pas, il ne hurlait pas à l’injustice car il était convaincu qu’il y avait une logique supérieure qui dirigeait les évènements qu’il vivait, et qu’il n’était pas le pantin d’une histoire absurde et injuste.

Même s’il ne comprenait pas la logique des évènements qu’il vivait, il ne remettait pas en cause la Justice divine. Cette conviction lui permit également de donner le meilleur de lui-même partout où il allait et de « réussir dans tout », comme nous le dit la Torah. Or, la tentation est forte, face aux épreuves de la vie, de « démissionner », de « renoncer » à se battre ou à exploiter ses qualités tant elles peuvent sembler dérisoires ou d’aucun secours face aux difficultés.

Telle n’a pas été l’attitude de Yossef qui s’est efforcé d’une part de ne pas essayer de comprendre ce qu’il ne pouvait pas comprendre, et qui s’est efforcé d’autre part d’agir là où il pouvait, dans les tâches qui lui étaient confiées, de la meilleure manière, en gardant confiance en Hachem et dans Sa justice supérieure.

Ces qualités extraordinaires lui valurent le titre de « Tsadik » pour l’éternité et lui permirent de connaître une réussite hors norme et de grands bonheurs familiaux un peu plus tard.

Notre quête du bonheur consiste également à réfléchir à la meilleure manière d’aborder les situations difficiles de l’existence sans tomber dans le doute, le désespoir et l’angoisse. Ces sentiments existent, et il serait naïf de les nier pour privilégier une vision simpliste du bonheur. Notre sainte Torah connaît le cœur de l’homme et nous donne des pistes pour canaliser ses sentiments délétères et les orienter de manière constructive.

La démarche essentielle consiste à renforcer sa confiance en Hachem, son « Bita’hone ». Le Rav et psychiatre Avraham Twersky recommande ainsi de méditer quotidiennement ce verset des Téhilim (112, 7) : « [Le juste] n’appréhende pas de mauvaise nouvelle, son cœur est ferme, plein de confiance en l’Eternel ».

Il s’agit d’un véritable travail qui requiert parfois du temps, de la concentration, de la prière car l’homme est spontanément en proie à diverses émotions qu’il ne maîtrise pas. Mais cette confiance dans la Justice de D.ieu est de nature à apaiser l’homme, lui redonner une sérénité car il sait qu’il n’est pas seul, il comprend que sa vie ne dépend pas des aléas des circonstances matérielles mais qu’une logique supérieure préside à son destin. Il perçoit la Main de D.ieu juste et bienveillante.

Parfois, il comprendra avec le recul le bien qui se cachait dans des situations qui apparaissaient initialement comme des épreuves difficiles. Et parfois, il faut le reconnaître, il ne le comprendra pas explicitement de son vivant, car la logique du monde et de l’aventure humaine dépasse les capacités de l’entendement humain. Mais même dans ses situations, l’homme pourra accepter les événements avec « un cœur entier - Lev Chalem » comme le dit Rachi, à propos du merveilleux verset : « Lui, notre Rocher, Son œuvre est parfaite, toutes Ses voies son justice, D.ieu de vérité, jamais inique, Il est juste et droit » (Dévarim 32, 4).

En effet, dès lors que l’homme est conscient de l’infinie bonté de D.ieu et de Sa justice absolue, il peut alors faire faire prévaloir les forces de la vie, de l’espoir et du bonheur. Le bonheur peut ainsi être synonyme de joie, mais aussi d’une confiance apaisée dans les événements de la vie.