« Yossef fit un rêve, il le raconta à ses frères et ils le haïrent davantage. Il leur dit : "Écoutez, s'il vous plaît ce songe que j’ai eu. Alors que nous composions des gerbes dans le champ, voici que ma gerbe se dressa, elle resta debout ; et voici que vos gerbes l’entourèrent et s’inclinèrent devant la mienne." »[1]

La Paracha de cette semaine, Vayéchev, commence par nous relater les événements qui furent à l’origine de la vente de Yossef. La Torah nous dit que les frères réprouvaient Yossef parce qu’ils virent que Ya'akov l’aimait plus qu’eux. Quand Yossef leur raconta son premier rêve, leur haine à son égard s’intensifia. La Torah affirme : « Ils le haïrent davantage à cause de ses rêves et à cause de ses paroles. »[2] Les commentateurs se demandent ce que signifient les mots « à cause de ses paroles ». Une fois que l’on sait qu’ils le détestaient à cause des rêves, que rajoute cette proposition ?

Rav Moché Sternbuch chlita répond sur la base d’un Méchekh ’Hokhma.[3] Celui-ci écrit qu’à trois reprises, dans le récit de Yossef, il dit « et voici »[4], terme associé à la joie, selon le Sifri[5]. Yossef manifesta de l’enjouement à chaque étape du rêve et c’est cette joie qui attisa l’aversion de ses frères. Ainsi, les mots « à cause de ses paroles » ne se réfèrent pas au contenu du songe, mais à la manière de le raconter.

On ne comprend pas bien pourquoi les frères ne supportèrent pas qu’il se réjouisse de sa prospérité – n’est-ce pas une réaction compréhensible ? Rav Sternbuch explique qu’ils comprirent que la joie de Yossef ne concernait pas seulement son propre succès prédit dans le rêve, mais aussi le fait qu’eux-mêmes ne connaîtraient pas cette réussite.[6] Rav Sternbuch poursuit en détaillant le point de vue de la Torah sur ce genre de joie – celle de l’échec de notre prochain. Il écrit : « Il s’agit d’un principe fondamental ; quand Hakadoch Baroukh Hou octroie du pouvoir, de l’argent ou de l’honneur à un individu, il doit L’en remercier, mais s’il est content d’avoir et du fait que son prochain n’a pas, cette joie est interdite. »

Cet enseignement est central dans les relations interpersonnelles. Il est connu que la Mitsva de base dans ce domaine est celle d’aimer son prochain comme soi-même[7]. L’un des principaux aspects de ce commandement est que l’on doit souhaiter la réussite de l’autre autant qu’on la désire pour soi.[8] Le fait de se réjouir de l’échec d’autrui est donc l’antithèse de l’essence de cette Mitsva. Le Rambam exprime cette idée dans le développement qu’il fait de cette Loi.[9] Il termine en disant qu’une personne qui ressent de la joie quand son prochain échoue ou est humilié n’a pas de part dans le Monde futur !

L’approche laïque contraste donc clairement avec celle de la Torah dans ce domaine. Dans la société séculière, l’accent est mis sur la compétition et sur la théorie du « chacun pour soi ». Dans le monde du sport, en particulier, on enracine une volonté de « surclasser » l’autre. Souvent, les fans de sport sont contents de la défaite de leur adversaire autant qu’ils le sont de leur victoire. Par ailleurs, dans divers domaines, on insiste beaucoup sur le succès, ce qui implique avoir le dessus et vaincre l’autre.

La Torah fait aussi l’éloge du succès dans la vie, mais sa définition de la victoire ne sous-entend pas le fait de « battre » autrui. La réussite d’un Juif se voit dans sa capacité à œuvrer à l’unisson avec ses frères juifs. En effet, tous les Bné Israël font partie d’une même entité spirituelle, donc la gloire de telle partie implique celle de tout le peuple. Ce concept s’applique dans la loi juive. Par exemple, lors d’une réjouissance, on omet la prière de Ta’hanoun (les Supplications). Cela ne se limite pas à nos propres joies ; si l’un des participants, lors d'un office, célèbre un heureux événement[10], toute l’assemblée est exemptée du Ta’hanoun – parce que sa joie est partagée par toute personne présente. C’est le cas même si les membres du Minyan ne le connaissent pas. Voilà comment on doit considérer de tels événements !

Nous apprenons de l’explication du Méchekh ’Hokhma et de Rav Sternbuch que le fait de se réjouir de l’échec d’autrui est un comportement bas et méprisable.

Puissions-nous tous mériter d’accomplir la Mitsva d’aimer notre prochain au mieux.



[1] Béréchit, 37:5-7.

[2] Béréchit, 37:8.

[3] Béréchit, 37:8.

[4] « Véhiné », en hébreu.

[5] Par exemple, après l’incident du Buisson Ardent, Hachem dit à Moché Rabbénou que son frère l’attendait : « Voici, il vient à ta rencontre et son cœur se réjouit en te voyant » (Chémot, 4:14). Ainsi, le mot « voici » est accompagné de Sim’ha.

[6] Taam Vadaat, 37:8. En réalité, Yossef ne se réjouissait pas de leur défaite (telle était l’impression des frères), mais des implications du rêve à grande échelle.

[7] Vayikra, 19:18.

[8] Rambam, Séfer Hamitsvot, commandements positifs, Mitsva 8. Ramban, Vayikra, 19:18.

[9] Rambam, Hilkhot Déot, 6:3.

[10] Par exemple, le jour de la Brit-Mila de son fils ou bien durant la semaine qui suit son mariage (semaine de Chéva' Brakhot)…