La Paracha Vayé'hi : « Chimon et Lévi sont frères ; leurs armes sont des instruments de violence. Que mon âme ne s’associe pas à leur conspiration, que mon honneur ne soit pas lié à leur alliance. Parce que dans leur colère, ils ont tué des hommes et par ardeur, ils ont frappé un bœuf. » (Beréchit, 49:5-6)

Rachi explique sur les mots « Que mon âme ne s’associe pas à leur conspiration » : cela fait référence à l’acte de Zimri. Quand la tribu de Chimon se rassembla pour amener la midianite devant Moché…

« À leur alliance » : lorsque Kora’h qui provenait de la tribu de Lévi dressa toute l’assemblée contre Moché et Aharon.

« Dans leur colère, ils ont tué des hommes » : il s’agit de ‘Hamor et des gens de Chekhem…

« Et par ardeur, ils ont frappé un bœuf » : ils voulurent anéantir Yossef qui est appelé chor – bœuf.


Lors des bénédictions qu’il accorda à ses fils, Yaacov Avinou réprimanda Chimon et Lévi à propos de deux événements antérieurs ; la destruction de Chekhem et le complot contre Yossef. Rachi nous informe qu’avant ces deux reproches, Yacacov mentionne deux futurs incidents dans lesquels leurs descendants seront impliqués – la faute de Zimri, issu de la tribu de Chimon, et la ma’hloket de Kora’h, membre de la tribu de Lévi.

Le verset met en relation les deux faits passés et les deux à venir, grâce au mot « ki » — parce que. En quoi ces deux séries d’événements sont-elles liées, comment comprendre la causalité ?

Le Maguid de Doubno explique le rapport entre l’allusion à la faute de Zimri et l’implication de Chimon dans la destruction de Chekhem[1]. Mais il nous faut au préalable comprendre deux concepts importants.

Le premier, « maasim chel adam mokhi’him zé eth zé », signifie que les actions d’une personne dans une situation donnée peuvent être le reflet de son comportement dans d’autres circonstances.

Deuxièmement, chaque faute que les descendants de grands personnages commettent révèle une certaine faille dans ce même domaine chez leurs ancêtres ; car s’ils avaient été irréprochables, leur progéniture n’aurait pas pu agir de la sorte.

Selon le Maguid de Doubno, la raison avancée par Chimon et Lévi pour justifier la destruction de Chekhem était leur dégoût face à l’immoralité de Chekhem envers Dina. Pourtant, plusieurs années plus tard les descendants de Chimon se livrèrent à la débauche ! Cette grave faute signale une faille, même minuscule, chez leur ancêtre, Chimon, dans ce domaine. Car s’il n’avait été animé que par des intentions pures, à savoir rectifier la perversité de Chekhem, Yaacov ne l’aurait pas réprimandé si sévèrement ; on en déduit que des motivations moins nobles jouèrent aussi un rôle dans l’action menée, qui fut alors réprouvée.[2]

Nous comprenons à présent le lien entre le rôle de Chimon dans la destruction de Chekhem et la faute de son descendant avec les femmes de Midian. Il nous reste à éclaircir le rapport avec la ma’hloket entre Kora’h et Moché Rabbénou ainsi qu’avec le complot meurtrier contre Yossef. Il semblerait que, là aussi, il s’agisse d’une critique du rôle de Lévi dans la conspiration à l’encontre de Yossef qui fut accentuée chez son arrière-petit-fils qui rivalisa contre Moché.

Les frères de Yossef avaient pour argument principal contre celui-ci son désir apparent de les vassaliser, comme le montre leur réaction à la suite du premier rêve : « Vas-tu régner sur nous ? Vas-tu nous dominer ? »[3] Les commentateurs expliquent que d’après les frères, à cause de l’« arrogance » de Yossef et de ce désir de les gouverner, son titre de chévet (tribu) lui était déchu.

Bien qu’incorrect, cet argument semblait provenir d’intentions louables. Cependant, Yaacov vit une petite faille dans l’attitude de Lévi, et ce, à travers la démarche future de son descendant, Kora’h. 

En dépit des arguments vraisemblablement altruistes visant à déstabiliser le leadership de Moché – à savoir que tous les Juifs étaient saints – ‘Hazal nous informent qu’en réalité, son motif était égoïste – il voulait tout simplement diriger le peuple juif à la place de Moché et d’Aharon.

Selon le raisonnement du Maguid de Doubno, si un tel désir émergea de cette manière chez Kora’h c’est que son ancêtre Lévi nourrissait également un infime espoir de domination. Ceci lui ôta le droit de défier le désir de direction perçu chez son frère Yossef. Yaacov lui reprocha donc son rôle dans le complot, qui résulta en un futur pgam (manque, imperfection) dans le même domaine chez Kora’h.


Pour conclure, l’accomplissement d’actions interdites pour des buts constructifs est très risqué. En effet, si elles ne sont pas effectuées avec les meilleures intentions, elles se retrouvent complètement injustifiées. Cet enseignement est très pertinent dans notre quotidien ; souvent, on estime qu’il est nécessaire de faire quelque chose qui est, à la base, interdit (dire du lachon hara à des fins utiles, par exemple). Parfois, il est permis, voire obligatoire, de dire du lachon hara, mais si les intentions de la personne ne sont pas totalement pures, il lui est défendu de le faire. D’où l’importance d’être vigilant lorsque l’on entreprend ce genre de projets, si l’on n’est pas sûr que l’action est parfaitement justifiée et que nos intentions sont véritablement nobles.



[1] Rapporté dans Ayéleth Hacha’har, Beréchit, 42:6.

[2] La guemara dans Zeva’him 101b rapporte un autre exemple pour illustrer le deuxième concept énoncé. Le roi Yéhou fut puni pour avoir tué toute la famille de A’hav. Il en avait pourtant reçu l’ordre du Navi, car cette famille s’était adonnée à l’idolâtrie. En quoi son acte fut-il répréhensible ? La guemara répond que Yéhou fut lui-même coupable d’idolâtrie par la suite, preuve que son action n’avait pas été accomplie avec des intentions complètement pures. Cela lui est donc comptabilisé comme un meurtre.

[3] Beréchit, 37:8.