Lors de son retour pour Erets Israël, Yaacov Avinou envoie des porte-paroles vers son frère hostile, Essav pour lui proposer de faire la paix. C’est ainsi qu’il introduit son message : « J’ai vécu avec Lavan et je m’y suis attardé jusqu’à présent. »[1] ’Hazal commentent ces paroles – « J’ai vécu avec Lavan et j’ai toutefois gardé (Chamarti) les 613 Mitsvot sans apprendre de ses mauvaises actions ».[2]

Une difficulté peut être soulevée sur cette interprétation. Yaacov n’a pas respecté la Mitsva de Kiboud Av Vaèm, d’honorer ses parents, étant donné qu’il n’était pas en contact avec eux durant son absence. Comment, dans ce cas, peut-il parler d’accomplissement de toutes les Mitsvot ?

Le ’Hatam Sofer [3] répond à cette question. Il souligne que le terme utilisé par Yaacov pour décrire sa pratique des Mitsvot est « Chamarti » et non « Kiyamti », qui est plus courant. En effet, Yaacov n’a pas accompli la Mitsva d’honorer ses parents, mais il l’a « gardée ».

Il explique que le mot « Chmira » peut être employé lorsqu’on parle de quelque chose que l’on attend, que l’on anticipe. Le verset (dans Parachat Vayéchev) nous dit que quand Yossef raconta ses rêves, Yaacov « garda la chose » — Yaacov Chamar Eth Hadavar.[4] Rachi précise que Yaacov attendait que la prophétie contenue dans les rêves de Yossef se réalise. Aussi, durant la période où Yaacov était loin de ses parents, il attendait, guettait le moment où il pourrait accomplir la Mitsva de Kiboud Av Vaèm. Sa volonté de faire l’action montrait, en un sens, qu’il l’effectuait. D’après le ’Hatam Sofer, il fait partie des gens qui projettent de faire une Mitsva, mais qui en sont empêchés par des circonstances extérieures et inopinées. Dans un tel cas, on considère que la personne a réalisé la bonne action.

Cet enseignement du ’Hatam Sofer nous rappelle un principe fondamental à propos de la pratique des Mitsvot : les Kavanot (les intentions) de l’individu sont d’une importance majeure, au point qu’elles peuvent transformer des actions mondaines et matérielles en Mitsvot, et que le désir d’accomplir une Mitsva (même sans l’actualiser) est déjà une Mitsva.

Notre Kavana peut décupler la force spirituelle de nos actions. Notre quotidien, et en particulier notre carrière, est concerné par cet enseignement. Plusieurs personnes ont la chance d’exercer un métier dans lequel elles viennent en aide aux autres. Il est néanmoins très facile de ne se concentrer que (ou essentiellement) sur l’argent que l’on gagne pour ces services.

Le Rav Pam se faisait un jour soigner par un dentiste et vit combien celui-ci rendait service aux gens en pratiquant cette profession. Ce dernier lui répondit que c’était un « bénéfice secondaire sympathique », ce qui laissait entendre qu'il travaillait principalement pour toucher ses honoraires. Rav Pam rétorqua qu’en réalité, l’argent qu’il gagnait était l’avantage secondaire et que le but principal devait être d’aider les gens à avoir des dents saines. Si seulement nous avions en tête une motivation plus noble que celle de s’enrichir, si nous pensions à l’aide que l’on apporte à l’autre, d’innombrables actions deviendraient des Mitsvot. Et sans ce genre de pensées, elles restent banales, uniquement physiques.

Rav Pam raconte que Rav Mendel Zaks qui était le gendre du ’Hafets ’Haïm voyagea un jour avec ce dernier dans une charrette. À la fin du voyage, Rav Zaks paya le charretier. Le ’Hafets ’Haïm lui fit remarquer qu’il avait donné l’argent sans réfléchir, comme s’il s’agissait d’un acte insignifiant, alors qu’il venait d’accomplir quatre Mitsvot, dont celle de payer un travailleur sans délai.

L’importance de la Kavana dans chaque action étant comprise, prions pour mériter de transformer les actes matériels en Mitsvot imbibées de spiritualité.



[1] Vayichla’h, 32:5.

[2] Rachi, ibid.

[3] Torat Moché, Béréchit, 32:5

[4] Béréchit, 37:11.