Notre paracha Vayichla'h (32,8) précise que : וַיִּירָא יַעֲקֹב מְאֹד וַיֵּצֶר לוֹ (Yaacov seffraya beaucoup et il fut angoissé).

Rachi commente l’apparente redondance du verset comme suit : « Yaacov s’effraya beaucoup – à l’idée d’être tué ; et il fut angoissé – à celle de devoir tuer. »

Or ce commentaire soulève une interrogation : pourquoi Yaacov craignait-il de devoir tuer Essav, alors qu’il était en droit de le faire en vertu de la règle statuée par nos Sages : « Celui qui vient te tuer, devance-le et tue-le » (Berakhot 62) ?

La parabole suivante va nous permettre de résoudre cette difficulté :

Le roi de France comptait parmi sa cour un conseiller initié aux mystères de l’astrologie et versé dans l’horoscopie. Celui-ci lui prédisait régulièrement l’avenir et le souverain, qui accordait beaucoup de foi à ses oracles, le rémunérait grassement et lui témoignait un grand respect. Mais un jour, des colporteurs qui le jalousaient le discréditèrent auprès du roi en prétendant qu’il s’était lié d’amitié avec des ennemis de la couronne pour renverser son pouvoir. Furieux, le roi convoqua le conseiller pour l’interroger, avant de le condamner à mort pour outrage au pouvoir.Quand l’astrologue fut conduit devant le souverain, ce dernier lui demanda : « Saurais-tu prédire quelle sera ta sentence ? — Parfaitement ! répondit le conseiller. — S’il en est ainsi, dis-moi donc quel sera le jour de ta mort ? »

En entendant ces mots, l’astrologue fut saisi d’une grande panique. Mais, aussitôt, il se ressaisit et fit mine de se plonger dans une carte du ciel placée devant lui pour connaître ses signes astrologiques. Au bout de quelques instants, son visage se métamorphosa et, pris d’un tremblement incontrôlable, il s’écria à l’adresse du roi : « Votre Altesse ! J’ai lu dans les étoiles qu’un danger immense planait sur moi. Malheureusement, je suis consterné de vous annoncer que d’après leurs prévisions, le jour de ma mort surviendra trois jours avant celle du roi. Ce n’est donc pas pour ma vie que je crains, mais pour la vôtre, ô Roi, car votre fin est proche et, avec elle, celle de votre puissant règne. »

Epouvanté par ces sombres prédictions, le souverain acquitta l’astrologue et le plaça même sous escorte permanente afin de le préserver de tout danger…

Un récit qui illustre à perfection le proverbe de Kohélet : « La sagesse prolonge la vie de ceux qui la possèdent » (7, 12).

De même, nos Sages affirment (Sota 13) que Rivka vit par inspiration prophétique que Yaacov et Essav mourraient le même jour, comme il est dit : « Pourquoi m’exposerais-je à vous perdre tous les deux en un seul jour ? » (Béréchit 27, 45). Et même si au final, ils ne décédèrent pas le même jour, ils furent néanmoins enterrés le même jour. En effet, lorsqu’Essav protesta contre l’enterrement de Yaacov à la Caverne de Makhpéla, ’Houchim fils de Dan le frappa à la tête au moyen d’un bâton, puis Yéhouda l’acheva, comme il est dit : « Ta main fera ployer le cou de tes ennemis » (Béréchit 49, 8).

Voilà pourquoi Yaacov, en pleine connaissance de la prophétie de sa mère, tremblait à l’idée de devoir tuer son frère, puisque la mort de celui-ci augurerait son propre décès !


Source : "Vayomer Avraham", par le Rav Ovadia Yossef zatsal