La Haftara de cette semaine est issue du livre d’Ezéchiel, et elle fait suite à une prophétie restée célèbre, celle des « ossements desséchés » que nous lisons à Pessa’h et qui rappelle notre foi en la résurrection des morts.

Ezéchiel est le troisième des « grands prophètes » de la tradition juive, à côté d’Isaïe et Jérémie. Certains commentateurs (comme le Radak) l’identifient même comme le fils du prophète Jérémie (le nom traditionnel du père d’Ezéchiel, Bouzi, désignerait en fait l’opprobre que dut subir Jérémie durant sa vie).

Le début de la carrière prophétique d’Ezéchiel commence près de 7 années avant la destruction du Temple, durant l’exil de Yéoyakhine en Babylonie, appelé également exil « des charpentiers et des forgerons » qui désigne l’exil de la classe dirigeante et intellectuelle du Royaume de Juda (J. Kohn).

Le livre d’Ezéchiel a ceci de particulier qu’il suit assez rigoureusement un ordre chronologique et un découpage logique. Il peut être divisé en quatre parties : la première relative à l’annonce de la destruction du Temple, la deuxième s’adresse aux nations vivant à proximité d’Israël, la troisième évoque la destruction du Temple tout en apportant des paroles de consolation, et enfin la quatrième concerne l’annonce de la restauration future du Temple et du service divin.

Certaines prophéties d’Ézéchiel sont particulièrement connues, notamment la description du Char Céleste dans le premier chapitre que nous lisons généralement à Chavouot ; la prophétie des ossements desséchés dans le chapitre 37 ; notre Haftara, toujours au chapitre 37, sur la réconciliation future entre les 12 tribus ; ou encore la vision du troisième Temple et de la restauration du service et des sacrifices.

Notons que certaines visions d’Ezéchiel semblent différentes des enseignements traditionnels de la Torah, si bien que nos Sages nous rapportent que ce livre aurait pu être omis du canon biblique. C’est notamment l’intervention du sage ‘Hanania ben Hizkiya (‘Haguiga 13a) qui a permis de lever les difficultés de compréhension de ce livre et de lui donner toute sa place dans la tradition.

Enfin, nous constaterons à plusieurs reprises, y compris dans notre Haftara, que le prophète est désigné comme « Ben Adam », fils de l’homme. Nos Sages comprennent cette dénomination de deux manières, soit pour dire qu’il n’a relaté « que » ce qu’il a vu comme un simple mortel, soit d’un point de vue plus positif pour dire qu’il est le « fils d’hommes vertueux », dotés de grandes valeurs morales, le fils de « l’homme » dans son sens le plus noble.

Liens entre la Haftara et la Paracha

Un premier lien entre la Haftara et la Paracha semble évident dans la mesure où nos deux textes évoquent une rencontre entre Yossef et Yéhouda. Dans la Paracha, il s’agit du dialogue, voire de l’affrontement verbal, entre Yossef et Yéhouda qui va connaître son dénouement lorsque Yossef va se dévoiler à ses frères. Ce n’est qu’alors que l’harmonie pourra à nouveau être rétabli entre les enfants de Yaakov.

Notre Haftara évoque pour sa part la promesse de réconciliation future entre les 12 tribus. En effet, un nouveau schisme va survenir au sujet de la succession du roi Salomon opposant son fils, Roboam (descendant donc de Yéhouda), et Jéroboam ben Névat (descendant d’Ephraïm et donc de Yossef). Ce dernier va se séparer des descendants de Salomon et David, notamment en raison de la rigueur jugée excessive de Roboam. Jéroboam parviendra à rassembler 10 tribus avant de sombrer dans l’idolâtrie et d’être finalement exilé.

Ezéchiel prophétise dans notre texte la réconciliation future entre les deux royaumes de Yéhouda et d’Ephraïm, et donc entre les 12 tribus. « Or toi, fils de l'homme, prends une pièce de bois et écris dessus : "Pour Juda et pour les enfants d'Israël, ses associés". Puis, prends une autre pièce de bois et écris dessus : "Pour Joseph, souche d'Ephraïm, et toute la maison d'Israël, ses associés". Rapproche ces pièces l'une de l'autre, pour n'avoir qu'une pièce unique ; et elles seront réunies dans ta main. » (Ezéchiel 37.16-17)

Toutefois, un autre lien peut être identifié entre la Haftara et la Paracha. Lorsque la Torah évoque les retrouvailles entre les frères, elle évoque notamment les pleurs de Binyamin et de Yossef. Rachi nous explique que ces pleurs sont liés à des prophéties réciproques qu’ils perçoivent en cet instant. Yossef pleure car il comprend que le Beth Hamikdach sera construit sur le terrain de Binyamin mais qu’il sera détruit, et Binyamin pleure car il comprend que le sanctuaire (Michkan) de Chilo sera sur le territoire de Yossef mais qu’il sera également détruit.

Or, notre Haftara évoque également en conclusion la restauration à la fois du Mikdach et du Michkan comme signe de la Délivrance finale : «  Ma résidence (Michkani) sera près d'eux ; je serai leur D.ieu, et eux seront Mon peuple. Et les nations sauront que Moi, l'Eternel, Je sanctifie Israël, puisque mon Sanctuaire (Mikdachi) sera au milieu d'eux pour toujours. » (Ezéchiel 37. 27-28) (Rav Rozenberg)

L’écho de la Haftara

Parmi les différents thèmes qui revêtent une signification moderne, celui de l’unité du peuple d’Israël mérite une attention particulière. En effet, le livre d’Ezéchiel lui accorde une importance capitale, notamment car il est la clé de la délivrance finale, aussi bien dans le passage de notre Haftara que dans le fameux passage précédent relatif à la résurrection des ossements desséchés. Seule l’unité des enfants d’Israël, leur capacité à surmonter leurs divergences et leurs oppositions est susceptible d’hâter la délivrance finale et la venue du Machia’h.

La perception du peuple Juif réparti en termes de castes, de groupes selon leurs origines, leurs pratiques, leurs options politiques ou idéologiques, est certes le reflet d’une réalité « humaine », mais elle n’est que cela. Elle est surtout le reflet d’une illusion humaine qui impose parfois à l’homme de se distinguer d’autrui pour exister. Or, si nous parvenions à prendre du recul, nous réaliserions probablement à quel point ces différences qui nous paraissent parfois si fortes, sont en réalité anecdotiques au regard de ce qu’Hachem attend de nous.

Mais il y a plus. En effet, la division du peuple juif ne le menace pas simplement de vaines querelles en son sein, ce qui est déjà une chose grave. Elle le menace surtout, D.ieu nous en préserve, de l’éloigner du service authentique d’Hachem. En effet, la division à laquelle fait allusion Ezéchiel entre les Royaumes d’EphraÏm et de Yéhouda, a valu au premier de sombrer dans un culte idolâtre. Là réside probablement la clé de la gravité de la division d’Israël.

Et, de fait, une des caractéristiques les plus saisissantes de la polémique, de la controverse est sa potentielle démesure. Qui n’a jamais constaté qu’un point d’achoppement simple, banal a priori, peut tout à coup cristalliser d’autres achoppements, prendre de l’ampleur, créer des oppositions radicales. La compétition verbale aidant, les tenants de chaque position semblent sur le point d’un divorce irréconciliable, alors qu’à l’origine, leur différence semblait mineure.

Non seulement les conflits et la discorde éloignent les hommes les uns des autres, mais elle les éloigne aussi de D.ieu. Les Sages nous Talmud nous rapporte à ce propos un incident où un Sage avait oublié un verset bien connu de la Torah : « Ha’hodèch Hazé Lakhèm » qu’il avait transformé en « Ha’hérech Haya Libam ». Seules trois lettres ont été confondues, les lettres qui forment le mot « Riv » signifiant « la discorde ». Et nos Sages de nous mettre en garde : la discorde entraine l’oubli de la Torah.

Les maîtres de la tradition juive nous enseignent depuis longtemps que la « Mah’loket » (la controverse) qui n’est pas « Léchem Chamayim » (désintéressée) finira par emporter ceux qui s’y adonnent. C’est malheureusement ce qui est arrivé à ce Royaume d’Ephraïm, et aux dix tribus qui l’ont composé, exilées après avoir sombré dans l’idolâtrie. Pourtant, le premier roi de ce Royaume, Jéroboam ben Névat, était considéré comme Tsadik à l’origine, et D.ieu lui avait promis un règne solide s’il restait fidèle à Hachem. Mais les affrontements politiques et l’ivresse du pouvoir l’amenèrent à introduire un culte idolâtre en Israël.

Faut-il rappeler que cette impérieuse nécessité de l’unité du peuple oblige également ceux qui sont restés fidèles à Hachem de se soucier de tous leurs frères, y compris ceux qui ne sont pas au même niveau ? Car le salut des uns dépend du salut des autres. Aussi, l’absence de dialogue, la stigmatisation d’une partie du peuple, fut-elle moins « religieuse », nous éloignent tous, D.ieu nous en préserve, de la Délivrance finale.

Alors, nous n’avons probablement pas d’autres choix que de tenir ensemble les deux bouts d’une même corde. D’une part, maintenir pour soi-même une exigence élevée, et dans le même temps, savoir tendre la main à tous nos frères, rechercher ce qui nous rassemble et qui nous unit, davantage que ce qui nous distingue.

L’écrire et l’énoncer est simple, le vivre et le mettre en pratique est beaucoup plus difficile. C’est probablement en reconnaissant cette difficulté que l’on pourra progresser, et en ne pensant qu’à une chose, le plus souvent possible : à ce qu’Hachem attend de nous. De la bienveillance, un jugement positif, et beaucoup d’actes de bonté et de générosité les uns envers les autres.  

Puisse Hachem nous permettre de réussir dans cette voie afin de rapidement assister à la concrétisation de cette si belle prophétie de l’unité de notre peuple et de sa Délivrance.