La Paracha de cette semaine se caractérise par plusieurs rencontres majeures entre Yossef et sa famille. Il est intéressant d’analyser le comportement des illustres personnages impliqués dans ces circonstances émouvantes. La plus touchante de toutes les retrouvailles fut indéniablement celle de Yossef et son père Yaakov. Ce dernier éprouva certainement une joie indescriptible en voyant son cher fils après vingt-deux ans de séparation, durant lesquelles il croyait Yossef mort. Que fit Yaakov quand il vit enfin Yossef ?

Rachi nous informe qu’il récita le Chéma[1]. Certains commentateurs affirment qu’il remplissait l’une des deux obligations journalières de dire le Chéma ; ils tentent d’expliquer pourquoi Yaakov choisit précisément ce moment pour s’acquitter de son devoir.

Le Maharal, quant à lui écrit que Yaakov récita le Chéma pour exprimer son lien très fort avec Hachem, en cet instant de grand bonheur, et non pour s’acquitter de la Mitsva de Kriyat Chéma. Au lieu de se focaliser sur la joie de retrouver son fils, il voulut axer tout son ravissement vers un amour plus parfait pour Hachem. Il sélectionna ce texte parce que l’on y reconnaît que tout ce qu’Hachem fait est pour le bien. En outre, il contient la Kabbalat Ol Malkhout Chamaïm[2], à savoir que cette reconnaissance nous mène à une soumission totale à Sa volonté.[3] Même en ce moment d’intense émotion, il souhaita montrer sa soumission à Hachem et en faire dépendre son bonheur.

La Torah nous raconte que Yossef agit très différemment lors de cette même réunion. « Yossef attela son char et monta à la rencontre d’Israël, son père, à Gochène ; il lui apparut, tomba à son cou et pleura abondamment. »[4] Le Ramban note que les mots « Il lui apparut » semblent superflus – si Yossef tomba au cou de Yaakov, il est évident qu’il lui est précédemment apparu.[5] Rav ’Haïm Chmoulévitz explique que bien que Yossef fut très heureux à l’idée de revoir son vénéré père après tant d’années, son but était de réjouir Yaakov au maximum. Il mit de côté son désir personnel et fit l’effort d’apparaître, de se faire remarquer par son père lors de la rencontre[6].

Les considérations des deux Tsadikim étaient donc différentes. Yaakov se focalisait entièrement sur son lien avec Hachem tandis que Yossef pensait à accomplir au mieux la Mitsva de Kiboud Av Vaèm (le respect dû aux parents). Le dénominateur commun dans leur Kavana fut de vouloir faire ce qu’ils pensaient être la volonté d’Hachem à cet instant. Ceci nous montre leur niveau exceptionnel de proximité avec D.ieu.

Nous tirons des leçons semblables de la rencontre entre Yossef et Binyamin, plus tôt dans la Paracha. La Torah nous raconte : « Il [Yossef] se jeta au cou de son frère Binyamin et pleura ; et Binyamin pleura à son cou. »[7] ’Hazal nous informent que les deux frères virent par Roua’h Hakodech (prophétie) les futurs malheurs qui allaient survenir dans leurs domaines en Erets Israël : Yossef pleura à cause de la destruction des deux Temples situés dans la terre de Binyamin tandis que ce dernier déplorait la destruction du Michkan à Chilo, qui allait se trouver dans le territoire de Yossef[8]

Rav Steinman chlita explique pourquoi ils eurent de telles visions particulièrement à cet instant. Leurs pensées étaient constamment axées sur la Rou’haniout. Ainsi, leurs préoccupations n’étaient que spirituelles, même lors d’émotions fortes. S’ils s’étaient focalisés sur leurs sentiments personnels, ils n’auraient pas mérité ce Roua’h Hakodech. S’ils en furent dignes à ce moment précis, cela prouve leurs nobles pensées durant cette rencontre capitale[9].

Notons qu’ils ne pleurèrent pas les destructions qui allaient avoir lieu dans leur propre terrain, mais la perte survenue dans la portion de l’autre. Cela montre leur niveau exceptionnel d’altruisme et de sensibilité, en pleine prophétie.

Nous avons évoqué l’extraordinaire vertu de Yaakov, de Yossef et de Binyamin. Bien que leur niveau nous semble inégalable, certaines de leurs attitudes peuvent être émulées dans notre quotidien. En effet, la Halakha (loi juive) tranche que même en temps de grande joie, nous dirigeons notre allégresse vers Hachem. Par exemple, à l’occasion d’une naissance, nous récitons la bénédiction de Hatov Véamétiv ou de Chéé’héyanou, que l’on dit également lors de l’achat d’un nouvel objet qui procure de la joie. Nous pouvons aussi nous inspirer de l’incroyable niveau de Ben Adam La’havéro (relations interpersonnelles) que manifestèrent Yossef et Binyamin durant leurs retrouvailles ; ils pensaient à autrui plus qu’à eux-mêmes. Nous aussi, quand nous célébrons un heureux événement, nous pouvons essayer de porter attention aux autres et de ne pas être absorbés par notre propre Sim’ha. C’est une occasion de mettre les invités à l’aise et de leur montrer que nous sommes sincèrement contents de les voir. Cela donne le sentiment d’être important et apprécié.

Puissions-nous tous mériter d’imiter les grandes personnalités de la Torah, en servant Hachem au mieux, même quand l’émotion est intense.
 


[1] Rachi, Béréchit, 46:29.

[2] Littéralement « Acceptation du joug de la royauté d’Hachem ».

[3] Gour Arié, Béréchit, 46:29, Ot 10.

[4] Béréchit, 46:29.

[5] Ramban, Béréchit, 46:29.

[6] Le terme employé est « Vayéra », habituellement traduit par « Il apparut », mais qui peut être compris littéralement : « Il se fit remarquer » — c’est ainsi que Rav Chmoulévitz interprète ces mots. Voir Si’hot Moussar, Maamar 25, Parachat Vayigach, p. 105.

[7] Béréchit, 45:14.

[8] Béréchit Rabba, 93:12 ; Méguila, 16b.

[9] Ayélet Hacha’har, Béréchit, 45:14.