La Paracha de cette semaine, Vayigach, commence par la révélation de Yossef à ses frères ; il leur dit de ne pas se sentir coupables de leur acte, parce que « Hachem m’a envoyé avant vous afin d’assurer votre survie dans le pays… »[1] Yossef avait pour rôle d’assurer le bien-être physique des Bné Israël durant leur séjour en Égypte. Par la suite, dans la Paracha, la Torah fait allusion au fait que Yéhouda se préoccupa du bien-être spirituel de ses frères en Égypte (il précéda leur arrivée pour fonder des Yéchivot)[2]. Ce partage des rôles entre Yossef et Yéhouda se poursuivit à travers l’histoire ; Yossef facilite l’adaptation du peuple juif sur le plan matériel et Yéhouda est le roi dirigeant le Klal Israël spirituellement. Telles seront les tâches respectives de Machia’h ben Yossef (qui mènera la guerre et détruira nos ennemis) et de Machia’h ben David (qui construira le troisième Beth Hamikdach).

Le rôle de Yossef a pour particularité qu’il le place au second rang – sa tâche consiste à faciliter celle du roi Yéhouda. Il fut, durant son séjour en Égypte, le second de Potiphar, celui du gardien de prison puis l’adjoint de Pharaon ; c’était l’auxiliaire par excellence et ce fut l’une des marques de sa grandeur : accepter de bon gré de jouer le second rôle et s’en satisfaire.

Deux descendants de Yossef traversèrent un défi similaire, mais réagirent très différemment l’un de l’autre ; il s’agit de Yéhochoua bin Noun et de Yérovam ben Névat.

Yéhochoua se démarque par son dévouement à l’égard de Moché Rabbénou. On nous décrit souvent sa soumission à son Rav. La Torah l’appelle « serviteur de Moché »[3] et ’Hazal expliquent qu’il se levait tôt chaque matin pour sélectionner la plus grande part de Manne et la donner à Moché. Dans son étude de la Torah, il se consacrait entièrement à la compréhension des enseignements de son maître et à son émulation, au point que la Guémara nous affirme que même pour les sujets qu’il n’avait pas appris de Moché, son raisonnement correspondait à ce qui avait été transmis à ce dernier au Sinaï[4]. Yéhochoua était parfaitement satisfait de ce rôle subsidiaire, il n’estimait pas qu’il méritait plus.

Le Midrach nous raconte d’ailleurs que c’est par le mérite de cette soumission qu’il devint le dirigeant du peuple juif. « Hachem dit à Moché : "Yéhochoua t’a toujours servi et accordé beaucoup d’honneurs. Il venait tôt dans tes maisons d’étude pour ranger les bancs et étendre les tapis. Étant donné qu’il te servit autant qu’il le put, il est digne de servir Israël. »[5]

L’autre descendant de Yossef dont il est question, Yérovam ben Névat, eut également la possibilité d’émuler Yossef et d’accepter le rôle de facilitateur, mais il échoua lamentablement. Il était au départ un grand Tsadik et un Talmid ’Hakham[6]. Hachem décida de séparer le peuple juif en deux royaumes, pour punir la Malkhout Beth David (royaume de David). Yérovam fut alors nommé dirigeant du royaume du nord, occupé par la majeure partie du peuple juif. Il reçut la promesse du prophète A’hiya que s’il suivait les voies de la Torah, il connaîtrait un grand succès. La nomination de Yérovam n’était que le résultat des fautes de Malkhout Beth David, elle était temporaire et la royauté allait finalement revenir aux descendants du roi David.

Mais Yérovam ne se montra pas prêt à accepter une position subalterne. Il craignait que lors de la Mitsva de Hakel[7] au Beth Hamikdach, seul le roi de Yéhouda ait le droit de s’assoir et qu’il dût alors rester debout. Le peuple allait peut-être se rebeller et rejoindre le royaume de Yéhouda[8]. Pour éviter ce risque, il fit fabriquer deux veaux en or dans le royaume du nord et il interdit aux Juifs de se rendre au Beth Hamikdach. Il commit la grave faute de Avoda Zara et sert d’exemple quand on parle de Ma’hti Eth Harabim (celui qui entraîne les autres à fauter)[9].

Hachem lui donna une chance de faire Téchouva. Il lui dit : « Repens-toi et nous nous promènerons ensemble au Gan Éden, toi, le fils d’Ichaï [David] et Moi. » Devant cette opportunité en or, Yérovam demanda : « Qui sera en tête ? » Hachem lui répondit que ce serait David et Yérovam refusa alors de faire Téchouva[10]. Il ne pouvait concevoir d’être le second de quiconque, même si on lui offrait la meilleure récompense au Gan Éden. Son arrogance fut la cause de sa destruction ; il rechercha le pouvoir, mais fut finalement l’un des rois qui n’eurent pas droit au Olam Haba.[11]

Pour résumer, Yossef fut investi du rôle de second en Égypte, traçant la voie à Yéhouda. Il accepta sa fonction avec joie et fut à même d’atteindre la réelle grandeur. Yéhochoua aussi, réalisa son potentiel du fait qu’il fut prêt à se soumettre à Moché Rabbénou. Yérovam n’y parvint pas et manqua ainsi le niveau d’excellence.

Voici pour nous une leçon de taille ; nous devons tous nous efforcer d’être aussi grands que possible. Mais parfois, la Providence nous montre que certaines réalisations ne sont pas bonnes pour nous. Par exemple, un homme peut étudier assidument la Torah et atteindre un très haut niveau, sans pour autant recevoir le poste qu’il aurait souhaité. Il doit alors réaliser que tout ce qui est au-delà de sa Bé’hira (son libre arbitre) entre dans la catégorie de la Hachga’ha (la Providence). Et le rôle qui lui est conféré est sa façon de réaliser son Takhlit.



[1] Vayigach, Béréchit, 45:7.

[2] Rachi, Béréchit, 46:28.

[3] Parachat Béhaalotékha, 11:28.

[4] Talmud Yérouchalmi, Péa, 1:1.

[5] Bamidbar Raba, 11:28.

[6] Mélakhim I, Chap. 11.

[7] Rassemblement de tout le peuple juif au Beth Hamikdach pour écouter le roi lire le Livre de Dévarim.

[8] Ibid, 12:27-28. Sanhédrin, 101b.

[9] Avot, 5:22.

[10] Sanhédrin, 102a.

[11] Sanhédrin, 90a.