Bitya[1], la fille de Pharaon est l’une des figures héroïques qui apparaît brièvement dans la Parachat Chémot. La Torah n’en parle qu’au moment où elle fit sortir Moché du Nil. On nous décrit alors comment elle lui permit de se faire nourrir par sa propre mère, Yokhéved. Ensuite, elle le ramena au palais et le fit devenir un honorable prince. ’Hazal nous ajoutent quelques détails à propos de Bitya, qui pourront nous aider à mieux apprécier sa grandeur.

La Torah nous informe qu’elle alla au fleuve pour se laver. La Guémara dans Sota nous raconte qu’il ne s’agissait pas d’un bain habituel ; elle alla se tremper dans le Nil pour se purifier des idoles de son père.[2] Rachi explique qu’elle se convertissait alors au judaïsme[3]. Étant donné les circonstances, cette initiative semble être une preuve de grave rébellion contre les valeurs et les attitudes du peuple égyptien en général et de Pharaon (son père !) en particulier. Qui plus est, le peuple juif était alors dans une situation des plus déplorables de son histoire. Embourbé dans un cet esclavage cruel et interminable, on a du mal à imaginer que des Égyptiens aient souhaité rejoindre un peuple aussi malheureux. Et l'on parle de la fille de l’homme le plus puissant de la nation la plus puissante du monde !

La Guémara évoque ensuite le moment où Moché apparut sur le fleuve. Quand Bitya le vit, elle voulut le sauver. Réalisant qu’il s’agissait d’un enfant juif, ses servantes tentèrent de l’en dissuader, arguant qu’elle ne pouvait contrevenir au décret de son propre père, elle devait se montrer loyale. Bitya resta sourde à leurs instances et se donna grand peine à sauver le bébé. Cela prouve du sens moral de la princesse, même quand il contredisait l’impératif « moral » d’obéir à son père.

Dans Divré Hayamim, on nous précise que Bitya se maria avec un homme nommé Méred. Le Midrach précise qu’il s’agit de Calev ben Yéfouné, l’un des deux Méraglim qui résistèrent aux arguments des dix autres explorateurs qui médirent de la terre d’Israël. Pourquoi est-il appelé Méred – nom qui connote la rétivité ? C’est parce qu’« il se rebella contre les explorateurs et qu’elle se rebella contre son père. Que la rebelle se marie avec le rebelle ! »[4] Nous voyons donc l’accent mis par nos Sages sur la nature contestataire de Bitya, nature utilisée de manière vertueuse, comme l’illustre Calev.

Elle incarne donc la capacité d’aller contre les croyances et les comportements de la société dans laquelle elle grandit. Elle émula par là le premier Juif, Avraham Avinou, qui rejeta les valeurs de son environnement pour suivre le droit chemin. D’autant plus qu’Avraham désobéit également à son père Téra’h, gérant d’un magasin d’idoles.

Le respect des parents est un concept fondamental dans la Torah, mais il n’oblige en aucune façon de suivre leur voie, si celle-ci va à l’encontre de la volonté divine. La Halakha tranche d’ailleurs qu’un enfant doit exaucer la requête de ses parents, sauf s’ils lui demandent de faire quelque chose de contraire à la Torah. Avraham eut donc raison de repousser les valeurs de son père et d’exposer leur sophisme, car telle était la volonté de D.ieu.

Bitya réalisa, elle aussi, que la volonté de son père n’était pas à respecter ; elle devait sauver l’enfant juif. Et le rejet du système de valeur prôné par son père ne se limita pas à cet acte-là. Son mariage avec Calev montre qu’elle s’était convertie au Judaïsme. Le Midrach nous raconte comment Hachem considérait Bitya : « Le Saint Béni soit-Il dit à Bitya : "Moché n’est pas ton fils, pourtant tu l’as appelé ton fils. Toi aussi, tu n’es pas Ma fille, mais Je t’appellerai Ma fille." Comme il est écrit : "Voici les fils de Bitya" [qui signifie] Fille de D.ieu. »[5]

Bitya nous enseigne une leçon fondamentale. La Torah met l’accent sur l’importance d’honorer et d’obéir à ses parents, mais uniquement dans les limites de la Halakha. Si leur mode de vie ou leur requête s’en écarte, l’enfant est tenu de respecter la Torah. Cet enseignement est particulièrement pertinent pour les personnes issues de familles non pratiquantes, qui sont confrontées à la difficulté de l’opposition de leur famille au mode de vie de la Torah. En réalité, le respect des parents ne signifie pas prendre les décisions qu’ils souhaiteraient que leur enfant prenne, mais il faut plutôt rechercher la vérité indépendamment de l’éducation reçue[6].

Puissions-nous tous mériter d’émuler Bitya dans notre quête de la vérité.



[1] On utilise souvent le nom Batya plutôt que Bitya, mais dans le Navi, elle est appelée Bitya (Divré Hayamim, 4:18). C’est donc le prénom dont on se servira ici.

[2] Sota, 12b.

[3] Il ne s’agit pas d’une réelle conversion, puisque le peuple juif lui-même se « convertit » lors du Don de la Torah au Mont Sinaï.

[4] Vayikra Raba, 1:3.

[5] Vayikra Raba, 1:3.

[6] Inutile de préciser que même si quelqu’un adopte un mode de vie qui déplait à ses parents (en faisant Téchouva), il doit continuer de se conduire avec respect et compréhension à leur égard. Ainsi, il est essentiel pour tout « Baal Téchouva » de suivre les conseils d’une autorité rabbinique compétente pour savoir comment faire la transition sans causer de peine ou entrainer une discorde au sein de la famille ou entre amis.