Avec la paracha de cette semaine nous ouvrons le deuxième livre de la Torah, le livre de Shemot, qui nous relate l’esclavage égyptien, puis la longue route vers la liberté, le don de la Torah, et la préparation à l’entrée en Erets Israël.

Nous découvrons dans notre texte pour la première fois une personnalité qui ne nous quittera plus jusqu’à la fin des cinq livres de la Torah : Moïse. Nous assistons à sa naissance et à sa désignation en tant que leader du peuple Juif, destiné à mener ce dernier vers la liberté. Aussi, pouvons-nous nous intéresser aux qualités requises par la Torah pour prétendre diriger les hommes, être un bon leader.

Ces qualités sont naturellement très nombreuses, mais nous aimerions nous arrêter cette semaine sur une d’entre elles, parfois méconnue lorsqu’on évoque le leadership : l’amour du peuple.

La nécessité de cette qualité émerge dans notre texte dès que l’Eternel demande à Moshé Rabénou de prendre la direction du peuple. Ce dernier refuse à quatre reprises, pour des motifs différents. Trois de ces arguments relèvent de l’infinie modestie de Moise que nous voyons poindre ici et dont on nous dira plus tard que « Moise était le plus humble des hommes ». Ces arguments sont ainsi les suivants : « Je n’en suis pas digne » « Je ne suis pas un homme de mots » « Prends quelqu’un d’autre ».

Mais il est un autre argument avancé par Moshé Rabenou étonnant et porteur de profonds enseignements : Moise craint que le peuple ne le croie pas. Echaudé par les premiers contacts qu’il avait eus avec le peuple quelque temps auparavant, Moise redoute de devoir affronter le scepticisme du peuple, et son refus de l’écouter. Aussi dit-il à Hachem « Mais ils ne me croiront pas. Ils ne m'écouteront pas. Ils diront : "D-ieu ne t’est pas apparu » (4:1).

Suite à cet épisode, D.ieu va donner des signes miraculeux à Moise qui lui permettront d’entrainer l’adhésion du peuple : son bâton qui se transforme en serpent, le Nil qui se transforme en sang, mais aussi un autre signe plus étonnant : sa main qui devient subitement lépreuse. Ce dernier signe ne sera pas utilisé plus tard par Moise. Il réapparaitra toutefois lors de la punition infligée à Myriam pour avoir critiqué son frère, elle deviendra elle-même lépreuse.

Et, de fait, Moise reçoit ici un avertissement pour avoir « médit » du peuple en doutant de sa foi « Ils ne me croiront pas », et en en faisant part à Hachem.

L’Eternel donne ici un avertissement à Moise sur les qualités à développer en tant que leader : la bienveillance et l’amour du peuple.

La méfiance envers le peuple est contraire non seulement à l’amour et la considération que l’Eternel souhaite que nous nous portions mutuellement, mais elle vient aussi fragiliser la capacité de leadership de Moshé. En effet, cette dernière repose sur la capacité du dirigeant à « croire dans son peuple ». Plus il est convaincu que le peuple le suivra, qu’il est capable de se dépasser et d’atteindre des objectifs ambitieux plus il sera en mesure de le mener vers le succès.

C’est là également une leçon qui peut s’appliquer aussi bien aux parents dans leur rôle d’éducation avec leurs enfants qu’aux managers et dirigeants d’entreprise. Ils doivent être convaincus des ressources infinies de leurs enfants ou de ceux qu’ils dirigent, de leur potentiel de réussite, et les y conduire avec amour et respect.

Le philosphe américain Michael Walzer (rapporté par R. J . Sacks) note qu’il existe deux types de leader.

La première catégorie de dirigeants se pose en « analyste critique » de leur temps, et juge avec condescendance, si ce n’est mépris, leurs contemporains, convaincue que la vérité leur échappe. C’est le cas notamment de certains philosophes inspirés par la pensée grecque, de Platon aux Stoiciens, qui se retirent de la vie de la cité et se portent sur elle un jugement négatif.

La seconde catégorie, qui correspond à la vision juive du leadership, consiste à s’identifier pleinement avec le peuple que l’on dirige, et ne faire qu’un avec lui. C’est ainsi que la Shounamite prétend « Betokh ‘ami ani yoshev » « C’est au sein de mon peuple que je réside ». Le leader n’est pas celui qui juge avec hauteur, sévérité et parfois mépris son peuple, c’est avant tout celui qui est capable de l’aimer et de la défendre.

Les plus grands dirigeants du peuple Juif vont ainsi faire la même expérience que Moshé Rabenou, c’est le cas notamment des prophètes Elie et IsaÏe. Ces derniers portent le peuple sur leurs épaules, ils lui donnent toute leur vie, et l’aiment infiniment. Mais s’il leur arrive de douter de lui, et pire, de faire état devant D.ieu des défauts de Ses enfants, furent-ils justifiés, l’Eternel leur fera comprendre de manière très claire que ce n’est pas cela qu’il attend d’eux.

Si le leader doute de son peuple, et cesse d’être son avocat pour devenir son procureur, il cesse du même coup d’être un leader. La Torah nous enseigne une leçon fondamentale qui aurait évité, si elle avait été écoutée par les nations, bien des tragédies : le véritable leader n’est jamais celui qui tyrannise son peuple, c’est avant tout celui qui l’aime, l’estime et le protège.

C’est précisément ce à quoi s’est attaché Moshé Rabenou durant toute sa vie. Il a aimé le peuple, il l’a protégé et il l’a défendu de toutes ses forces. Après avoir accepté sa mission, il n’a plus jamais douté de la capacité des enfants d’Israël à devenir le peuple de D., et l’a mené vers la liberté, l’autonomie et lui a permis de recevoir la Torah, le merveilleux cadeau de D.ieu.

Le véritable leadership doit ainsi parvenir à guider, conseiller, orienter le peuple. Il n’ignore pas ses fautes et ses défauts, mais il est animé avant tout par l’amour des hommes, il est convaincu de leur éminente dignité et grandeur aux yeux de D.ieu, et, enfin, il a foi dans leur capacité à dépasser leurs limités et atteindre les réussites les plus belles.