« Si des hommes se disputent et que l’un frappe l’autre avec une pierre ou son poing sans qu’il en meure, mais qu’il doit s’aliter ; s’il se relève et marche de ses propres forces, celui qui a frappé est absous. Néanmoins, il paiera pour le chômage et les frais de guérison. » (Chémot, 21:18-19)

Dans la Paracha de cette semaine, la Torah détaille les lois de paiement pour un dommage causé. Si un individu blesse délibérément son prochain, il doit payer pour tout préjudice provoqué, ainsi que pour la gêne subie par la victime à cause de sa plaie[1]. Le ’Hafets ’Haïm rapporte une Guémara dans Kétouvot qui affirme que dans une situation où l’ensemble du tort causé représente moins d’une Prouta[2], il n’y a pas de paiement, mais le coupable est puni de flagellation[3]. Le ’Hafets ’Haïm fait une remarque surprenante – si la somme des dommages causés à la victime (y compris l’aspect émotionnel — l’embarras occasionné) s’élève à moins d’une Prouta, le coup infligé aurait dû être une toute petite tape, à peine sensible. Or, la sanction est bien plus sévère. Le ’Hafets ’Haïm en déduit la gravité de causer un quelconque tort, physique ou émotionnel. Cela nous montre à quel point une personne doit se soucier du bien-être de son prochain et éviter toute offense, aussi minime soit-elle.[4]

On retrouve cette idée dans les exemples de Onaat Dévarim (l’interdiction d’offenser son prochain par la parole) proposés par la Guémara. Celle-ci stipule qu’il est interdit de regarder (avec attention) les articles en vente dans un magasin si l’on n’a aucune intention de les acheter. Ceci, parce que le vendeur espèrera que ce client potentiel fera l’acquisition de sa marchandise et il sera déçu du contraire. Un vendeur est habitué à ce que certains clients entrent dans le magasin sans acheter, et la perte ne sera pas excessive si cela se produit, mais le fait de se montrer intéressé par la marchandise sans intention d’acheter est tout de même considéré comme un Issour Déoraïta (interdit de la Torah).[5]

La Guémara affirme d’ailleurs que la Onnat Dévarim est pire que la Onaat Mamon[6]. L’une des raisons rapportées est que la Onaat Mamon affecte uniquement les biens de l’individu, tandis que l’autre le touche profondément, affecte son être.

La sensibilité des Guédolim quant aux sentiments des gens a souvent été exemplaire. Peu avant sa Brit Mila, un bébé tomba soudainement malade et les parents devaient prendre la décision de faire voyager – ou non – l’enfant dans un autre pays pour une opération délicate. On posa la question à Rav Steinman qui conseilla le voyage. Baroukh Hachem, l’intervention réussit et le bébé se rétablit rapidement. Dès qu’il fut prêt à être circoncis, les parents proposèrent à Rav Steinman, en signe de gratitude, d’être le Sandak (personne honorée pour tenir le bébé lors d’une circoncision), mais il refusa catégoriquement, expliquant que la Brit Mila ayant été repoussée très peu de temps avant la date prévue, les parents avaient certainement déjà proposé ce rôle à quelqu’un d’autre. Rav Steinman ne voulait pas offenser cette personne en lui retirant cet honneur. Le Sandak en question n’aurait surement pas été dérangé d’être remplacé par le Gadol Hador, mais Rav Steinman ne voulut tout de même pas prendre un tel risque.

Rav Chakh aussi, fut désigné au poste de Sandak pour l’un des jumeaux d’un élève. Il n’était prêt à accepter cette requête que pour les deux enfants. Il expliqua que s’il était Sandak seulement pour l’un des nourrissons, quand ils grandiraient, l’autre jumeau se sentirait déprécié de ne pas avoir eu un Sandak du même niveau que Rav Chakh.

On apprend donc l’importance de faire attention à chaque parole ou acte capable de causer même la plus petite offense à notre prochain. Tant que le risque existe – même s’il est négligeable – que quelqu’un se blesse d’un propos que l’on projette de dire, mieux vaut s’en abstenir, de la même façon que l’on aurait évité de manger un aliment dont la Cacheroute est douteuse.

Certaines personnes ont tendance à faire des blagues « inoffensives » sur les autres, les critiquant volontiers, ou sont un peu agressives ou rigides (en particulier dans l’étude) quand elles sont en désaccord avec ce qui a été dit. Ces diverses attitudes sont très risquées, d’autant qu’il est difficile de savoir qui est plus sensible aux blagues, aux critiques ou aux paroles piquantes ; le grave interdit de Onaat Dévarim peut facilement être transgressé.

Terminons par une remarque du ’Hazon Ich : l’homme le plus heureux est celui qui n’a jamais causé de peine à son prochain. Puissions-nous mériter de ne faire que du bien à travers notre parole.


[1] Il faut également payer les frais médicaux, le chômage ainsi que le dommage physique.

[2] Une Prouta est la plus petite unité monétaire utilisée par ’Hazal — sa valeur correspond à moins d’un Shekel.

[3] Notons que les sanctions telles que la flagellation n’étaient infligées que du temps du Sanhédrin.

[4] Rapporté dans Michoul’han Gavoa, Chémot, p. 146.

[5] Baba Métsia 58b.

[6] Onaat Mamon est transgressé si le vendeur d’un produit le vent à un prix exagérément élevé ou si un client propose délibérément un prix bien moindre que la valeur du produit à acheter.