Au début de la paracha, Moché Rabbénou reçoit l’ordre Divin de demander au peuple d’apporter les matériaux bruts nécessaires à la construction du Michkan (Tabernacle). « Et voici l’offrande que vous prendrez d’eux : or, argent et cuivre ; étoffes d’azur, de pourpre, d’écarlate, de fin lin et de poil de chèvre ; peaux de bélier teintes en rouge, peaux de tahach et bois d’acacia ; huile pour le luminaire, aromates pour l’huile d’onction et pour la combustion des encens ; pierres de choham et pierres à enchâsser, pour l’Éphod et pour le Pectoral. »[1]

Le Or Ha’Haïm HaKadoch zatsal note que l’ordre des matériaux mentionnés est difficile à comprendre ; la pierre de choham et les « pierres à enchâsser » sont les plus précieuses de tous les éléments de la liste, elles auraient logiquement dû être placées en première position. Il répond en rapportant un midrach qui nous apprend le contexte de l’apport des pierres précieuses.

Elles étaient fournies par les nessiim (les princes) après que tout le reste ait été donné. Les nessiim avaient initialement prévu d’attendre que tout le monde apporte sa contribution à la construction du Michkan, et ils voulaient se charger de procurer ce qu’il manquerait. Mais leur projet échoua quand le peuple, dans son grand enthousiasme, donna tout ce qui était nécessaire, à l’exception des pierres précieuses. Le midrach ajoute qu’Hachem était mécontent, parce qu’ils tardèrent à apporter leur contribution à la construction du Michkan. En « punition », le youd de leur nom fut effacé à un endroit de la Thora.[2]

Le Or Ha’Haïm explique que puisque le don des pierres précieuses était lié à une erreur, elles sont mentionnées en fin de liste des matériaux offerts pour le Michkan. Malgré leur grande valeur monétaire, la faille spirituelle qui entraîna le don des nessiim les place à un moindre niveau que tous les autres matériaux apportés.

Le rav ‘Haïm Chmoulewitz zatsal souligne qu’il nous faut encore comprendre pourquoi Hachem était insatisfait du comportement des nessiim. Le raisonnement qui expliqua le retard de leur contribution semble très cohérent, pourquoi furent-ils punis pour une « erreur de calcul » apparemment innocente ?

Il répond en rapportant le commentaire de Rachi concernant leur punition. « Parce qu’ils firent originellement preuve de paresse, ils perdirent un "youd" dans leur nom. »[3] Rachi nous révèle que la véritable raison de leur retard était leur indolence ! Leur justification qui semblait tout à fait valable dissimulait une certaine fainéantise.

Le Messilat Yécharim développe longuement ce trait de caractère qui empêche la personne de remplir correctement ses obligations. Il écrit : « Nous voyons de nos propres yeux, à maintes reprises, qu’un homme peut être conscient de ses devoirs, et il sait clairement ce qui est nécessaire pour le bien-être de son âme… pourtant il s’affaiblit [dans sa Avoda], non pas par manque de conscience ou pour une autre raison, mais à cause de la forte paresse qui prend le dessus. »

Il ajoute que le grand danger de ce défaut est de réussir à trouver plusieurs « motifs » justifiant son inactivité. « Le paresseux va prouver par de nombreuses citations des Sages, des versets de la Bible, et des arguments « logiques », qu’il peut alléger son fardeau, sans réaliser que ces considérations proviennent de sa paresse et non d’une réflexion mûre et rationnelle. »[4] Ainsi, lorsque nous sommes confrontés à un choix, nous ne devons pas nous hâter de choisir l’option la plus facile, parce que cette décision découle très probablement de notre paresse.

Le Messilat Yécharim nous enseigne que même le plus « valable » des arguments peut être un voile dissimulant les désirs de la personne qui ne veut pas agir. Le ‘Hovot Halevavot, dans son introduction, nous en offre un exemple marquant. Il écrit qu’après avoir projeté d’éditer cet ouvrage, il changea d’avis, pour plusieurs raisons. « Je sentais que mes forces étaient limitées et que mon esprit était trop faible pour comprendre les raisonnements. De plus, mon style littéraire en arabe, langue de rédaction du livre, n’est pas des plus élégants … Je craignais d’entreprendre une tâche qui ne parviendrait qu’à exposer mes défauts… C'est pourquoi j’ai décidé de renoncer à mon projet et de revenir sur ma décision. »

Il reconnut cependant que ses intentions n’étaient peut-être pas entièrement pures. « J’ai commencé à suspecter la sincérité de mes intentions, à penser que j’avais opté pour la facilité, que j’avais aspiré à la paix et à la tranquillité. Je me demandai anxieusement ce qui avait motivé l’annulation du projet : n’était-ce pas le désir d’une autosatisfaction qui m’avait poussé à rechercher le confort, à choisir l’inactivité, à rester sans rien faire. » Pour le bien-être éternel du Klal Israël, il décida d’écrire le séfer et il est à présent difficile d’imaginer le peuple juif démuni de ce guide spirituel. Les raisons qu’il avança au départ pour ne pas écrire le séfer semblaient plausibles et légitimes, mais il admit qu’à son niveau, elles étaient ternies par un désir de commodité.

Si un homme aussi illustre que l’auteur du ‘Hovot Halevavot se sentit être la victime du yétser hara de la paresse, il ne fait aucun doute que chacun risque d’être séduit et pris au piège par cette force destructive. L’individu a généralement de bonnes raisons de vouloir éviter des situations qui l’obligeraient à améliorer sa Avodat Hachem, mais il faut être conscient que sa véritable motivation est vraisemblablement la paresse.

Le yétser hara de l’oisiveté est si malin et astucieux qu’il peut prendre la forme de la plus admirable des qualités, en particulier la modestie. Le rav Moché Feinstein zatsal parle d’une forte tendance qu’ont certaines personnes à se sous-estimer en prétendant qu’elles sont très peu talentueuses et qu’elles ne pourront jamais atteindre de hauts niveaux. Il écrit que ce genre d’humilité émane en réalité du yétser hara.[5] Cette attitude provient de la paresse, qui est en fait la manifestation d’un désir de confort.

Il n’est pas facile d’accéder à la grandeur, cela demande de gros efforts, il faut être prêt à s’exposer à des déconvenues, voire même à des échecs. C’est une lourde tâche, on peut donc être tenté de « faire une croix » et de se dispenser d’essayer de l’assumer — c’est certainement l’option la plus « confortable ».

L’individu a constamment l’opportunité de s’améliorer et de s’élever dans sa avodat Hachem et dans l’influence qu’il exerce sur les autres. Nous apprenons de l’épisode des nessiim que l’élément qui nous empêche le plus de réaliser notre potentiel est le désir de commodité qui découle de la paresse. Celui-ci nous incite à alléguer plusieurs « raisons » qui justifient le fait que nous ne progressons pas comme nous le pourrions.

Le Messilat Yécharim nous enseigne qu’il nous faut reconnaître que ces excuses sont très souvent une simple ruse du yétser hara et qu’il faut la repousser et persévérer dans nos efforts pour grandir et agir.

Puissions-nous tous mériter de vaincre ce puissant yétser hara et de prendre les bonnes décisions, même quand cela nous est difficile.



[1] Parachat Terouma, Chemot, 25:3-7.

[2] Parachat Vayakel, Chemot, 35:27. Voir Si’hot Moussar du rav ‘Haïm Chmoulewitz zatsal, pour une explication détaillée sur la signification de l’absence du « youd » dans leur nom (p. 214).

[3] Rachi, Parachat Vayakel, 35:27.

[4] Messilat Yécharim, fin du 6ème chapitre.

[5] Darach Moché, Parachat Nitsavim.