La Haftara de cette semaine nous renvoie pour la deuxième fois au prophète Ezéchiel. Comme nous l’avions déjà mentionné à l’occasion de la Haftara de Vayigach, Ezéchiel est considéré dans notre tradition comme le troisième des grands prophètes, aux côtés d’Isaïe et de Jérémie.

La prophétie d’Ezéchiel embrasse des sujets divers depuis la destruction du Temple jusqu’à sa restauration avec une vision des temps messianiques, mais aussi des prophéties relatives aux nations proches d’Israël.

Notre Haftara nous fait entrer de plein pied dans les considérations géopolitiques qui prévalaient à l’époque des Royaumes de Juda et d’Israël. Rappelons quelques éléments de contexte pour mieux comprendre les propos du prophète, et mentionnons également que cette Haftara doit être lue à la lumière de certaines prophéties de Jérémie, qui avait mis en garde à de nombreuses reprises les enfants d’Israël contre leur mauvaise stratégie internationale.

Le Royaume de Juda était devenu depuis le sixième siècle, sous le règne du roi Ezéchias (‘Hizkiyaou), un protectorat soumis à des puissances étrangères, généralement les puissances dominantes de l’époque. Ce fut d’abord l’Assyrie qui dominait la région, avec sa capitale Ninive, puis elle céda la place aux babyloniens, désignés également comme l’Empire Chaldéen (Kasdim).

Malgré la puissance de ce dernier, une autre superpuissance régionale, l’Egypte, souhaitait imposer son influence dans la région et remettait en cause le pouvoir babylonien, jusqu’à sa défaite sans appel à Karkemich face à Nabuchodonosor.

Curieusement, les dirigeants de Juda ont toujours refusé de se soumettre aux Chaldéens et ont privilégié les alliances avec l’Egypte. Or, comme nous le voyons dans notre Haftara, les Égyptiens ne porteront pas un secours efficace à leurs alliés et feront demi-tour lorsqu’ils les appelleront à l’aide.

Notre Haftara évoque précisément la chute définitive de l’Egypte qui se caractérise par la démesure de ses dirigeants, la mégalomanie des Pharaons qui se prennent pour des divinités créatrices de la nature, en l’occurrence du Nil. Ils sont également coupables de proposer un « appui de roseau » à ses alliés, soutien qui se brise aux premières attaques des ennemis.

Le prophète annonce ainsi la chute l’Egypte qui ne se relèvera jamais de sa décadence et ne deviendra jamais, à nouveau, une grande puissance mondiale. Ce que l’histoire a bien entendu confirmé.
 

Liens entre la Haftara et la Paracha

La Haftara et la Paracha évoquent toutes deux les punitions adressées par Hachem à l’Egypte. La Paracha évoque les plaies qui s’abattent sur le peuple égyptien, alors que la Haftara évoque la chute de la puissance égyptienne et son exil durant 40 ans.

Ces punitions sont à chaque fois liées à la présence à la tête de l’Egypte d’un Pharaon pervers qui opprime les Bné Israël à travers l’esclavage dans la Paracha, qui ne respecte pas le pacte de protection qu’il avait signé avec Israël et l’abandonne à ses ennemis dans la Haftara.

A chaque fois, aussi bien dans la Paracha que dans la Haftara, le Pharaon est atteint de mégalomanie. Il se prend pour une divinité, et le Nil est l’une des incarnations de sa supposée puissance. Cet orgueil qui dépasse l’entendement le confine dans une ingratitude totale vis-à-vis du Créateur qu’il ne reconnaît pas.

Cette reconnaissance d’Hachem est également un fil rouge qui traverse à la fois la Paracha, où nous trouvons : « Par ceci, tu sauras (Téda) que je suis Hachem » (Chémot, 7-17), et la Haftara qui indique : « Et ils sauront (Yadou) que Je suis Hachem ».

Enfin, mentionnons la présence dans nos deux textes du terme « Tanine » qui peut désigner crocodile ou montre marin. Dans notre Paracha, il s’agit de la forme que prend le bâton de Moché tel un serpent, mais traduit par Rachi comme Tanine. Et dans notre Haftara, c’est le Pharaon lui-même qui est comparé à un crocodile (Tanine) régnant sur le Nil auquel s’accroche différents petits poissons (les égyptiens, ou bien les autres nations vassalisés à l’Egypte).
 

L’écho de la Haftara

Cette Haftara nous invite à une réflexion d’actualité sur la nature de la confiance que nous pouvons accorder aux alliances passées avec les nations du monde.

Notre tradition nous recommande certes de faire une « Hichtadlout », c’est-à-dire de mettre en œuvre tous les efforts rationnels nécessaires pour ne pas compter uniquement sur les miracles. Nous devons ainsi faire preuve de prudence et de sagesse dans la gestion de nos affaires personnelles ou professionnelles. Nous devons également faire des efforts pour obtenir les moyens de notre subsistance et ne pas nous exposer, de manière inconsidérée, à des situations risquées voire dangereuses.

Toutefois, l’art de la Hichtadlout repose sur notre faculté à mettre le curseur au bon niveau entre ce qui relève de l’effort légitime et ce qui relève de l’excès. Aussi, il convient de savoir ne pas trop en faire, afin ne pas être aspiré dans une spirale où nous finissons par croire que nous sommes nous-mêmes les artisans de nos vies. Il s’agit là d’un écueil très courant qui menace la plupart des hommes : dès lors que nous mettons en œuvre des moyens au service d’une fin, nous pensons que nous sommes les seuls responsables du résultat.

Or, notre tradition nous enseigne que, certes, l’homme doit agir pour atteindre ses objectifs, mais qu’il doit aussi et surtout savoir que le résultat est entre les mains de D.ieu. Lui seul est susceptible de nous procurer l’aide et l’assistance nécessaire pour arriver à nos fins.

Dans ce réglage subtil entre le rôle de l’homme et la place faite à l’action divine, se joue l’une des prérogatives les plus éminentes de l’homme. C’est également dans ce sens que nous pouvons interpréter un enseignement étonnant des Sages du Talmud : « Tout est entre les mains de D.ieu, sauf le sentiment de froid et de chaud ».

Nous pourrions ainsi dire qu’il appartient à l’homme de garder la tête froide face aux actions qu’il met en œuvre matériellement, mais être beaucoup plus « chaud » et énergique dans la confiance qu’il place en Hachem, dans ses prières et ses bonnes actions (Rav Rozenberg).

Notre Haftara met ainsi en lumière la confiance excessive qu’Israël a placée dans l’une des super puissances de l’époque : l’Egypte. Rassurée par le pacte de protection qu’il avait passé avec elle, le roi d’Israël a été encouragé se rebeller contre les Chaldéens, et, bien sûr, il ne put compter sur le soutien égyptien qui se détourna alors d’Israël. Un Midrach nous dit qu’alors que les Egyptiens partaient pour soutenir Israël, ils virent flotter dans l’eau des corps qui leur rappelèrent leurs ancêtres noyés lors de la sortie d’Egypte. Ils décidèrent alors que cela ne valait pas la peine de secourir Israël. Le prophète Jérémie (2.37) nous avait prévenus : « Qu'as-tu à te presser de la sorte pour changer ta direction ? Tu seras couverte de honte du fait de l'Egypte comme tu l'as été du fait de l'Assyrie. Tu t'en retireras également, les mains sur la tête ; car le Seigneur repousse ceux en qui tu mets ta confiance, et tu n'as rien à gagner avec eux. »

Nous ferions probablement bon usage de cette Haftara en la relisant à la lumière de l’actualité. Il est certes justifié d’entretenir de bonnes relations avec les puissances internationales, mais il faut garder la tête froide, ne pas surestimer leur importance. Nous devons au contraire garder notre énergie et notre force pour améliorer notre relation à Hachem, seule garante de la sécurité éternelle du peuple juif.

Rappelons-nous ces merveilleux versets du prophète Osée (Hochéa, 14.3-7) que nous lisons lors du Chabbath Chouva : « Armez-vous de paroles [suppliantes] et revenez au Seigneur ! Dites-lui : "Fais grâce entière à la faute, agrée la réparation, nous voulons remplacer les taureaux par cette promesse de nos lèvres. Nous ne voulons plus de l'appui d'Achour, nous ne monterons plus sur les chevaux [de l'étranger], et nous ne dirons plus : "Nos dieux !" à l'œuvre de nos mains ; car auprès de Toi, seul le délaissé trouve compassion. Alors Je les guérirai de leur égarement, Je les aimerai avec abandon, parce que Ma colère sera désarmée. Je serai pour Israël comme la rosée, il fleurira comme le lis et enfoncera ses racines comme [le cèdre] du Liban. Ses rejetons s'étendront au loin ; il aura la beauté de l'olivier, la senteur embaumée du Liban ! »

Les empires passent, les civilisations se succèdent, mais Israël est toujours vivant, grâce au soutien éternel du Tout Puissant, dans l’attente impatiente de l’accomplissement des derniers mots de notre Haftara relatifs aux temps messianiques : « Ce jour-là, je relèverai la puissance de la maison d'Israël. » (Ezéchiel 29.21)