Durant cette année embolismique (composée de 13 mois), nous avons le plaisir de pouvoir étudier la Paracha Vayakel de manière approfondie et autonome, sans qu’elle soit liée à Pékoudé comme à l’accoutumée.

Comme nous l’avions vu précédemment pour Térouma et Tétsavé, le contenu de notre Paracha peut paraître très descriptif, voire redondant avec les sections précédentes. Aussi, nous avons parfois du mal à comprendre les enseignements profonds que nous pouvons tirer pour notre génération. Pourtant, comme toujours, une richesse insoupçonnée est sous nos yeux.

Notre Paracha introduit notamment les artisans qui vont devoir être les maîtres d’œuvre de la réalisation du sanctuaire. Outre Bétsalel et Aholiav que D.ieu désigne nommément, ces derniers seront accompagnés par d’autres artisans dont la principale qualité, nous dit le texte biblique à plusieurs reprises, sera d’être « ‘Hakham Lev », sages de cœur.

L’expression peut surprendre car en principe, la sagesse relève de l’esprit ou encore, pour des artisans, de leur expertise, de leur savoir-faire ou de leur habileté manuelle. Pourquoi le texte associe-t-il donc la sagesse au cœur ?

Pour comprendre cette question, il faut bien sûr s’intéresser aux merveilleuses capacités que recèle le cœur, et notre Paracha y fait référence à de nombreuses reprises. C’est ainsi que le peuple est appelé à faire des dons pour la construction du Temple selon « la générosité de son cœur », et Rachi de commenter ce verset de cette façon (Chémot, 35, 5) :

Tout homme au cœur spontané : Ainsi appelé parce que son cœur le porte à la générosité

Le cœur semble donc être une précieuse force intérieure pour amener l’homme à agir de manière efficace car il le « porte », le dirige et semble lever les obstacles qui peuvent se dresser sur sa route. Le cœur donne à l’homme un surplus d’énergie, de lucidité et de réussite, et l’anime d’un feu sacré qui nourrit en lui une très forte ambition.

Contrairement au cerveau ou à la raison qui s’appuient généralement sur des connaissances théoriques ou encore sur les leçons de l’expérience, le cœur est susceptible d’amener l’homme à agir selon son intuition et sa perception spontanée des évènements. Le cœur prend le relais de la raison en stimulant parfois celle-ci de manière autonome, lorsque l’homme est face à des défis existentiels et lorsqu’il est appelé à dépasser sa nature.

Cette qualité était nécessaire aux artisans qui n’avaient jamais été formés aux arts dans le passé, et qui devaient trouver en eux-mêmes, miraculeusement, l’intuition et les ressources nécessaires pour exécuter le sanctuaire dans ses moindres détails. Aucun élément rationnel ne pouvait laisser penser qu’il était possible d’y arriver, seules la conviction du cœur et la volonté inflexible d’y parvenir pouvaient donner à ces hommes la force de réussir, aidés en cela par la providence divine.

Cette sagesse du cœur porteuse de bénédiction est un enseignement particulièrement précieux de notre Paracha dont Na’hmanide, en s’inspirant du saint Zohar, trouve une trace dans un verset de notre texte. En effet, il est écrit : « Tout homme sage de cœur l’amènera ».  Nos commentateurs suggèrent que la Providence divine est ce qui sera amené par cette sagesse du cœur, c’est-à-dire la Chékhina qui viendra assister l’homme dans toutes ses entreprises (Rav Munk). En effet, dès que l’homme met tout son cœur dans l’exécution de la volonté divine, il attire à lui l’aide du Ciel qui l’amènera vers des succès insoupçonnés.

Nous pouvons illustrer cette vertu du cœur en analysant la vie des Tsadikim. Le Nétsiv (Rabbi Naftali Tsvi Berlin) dirigea la Yéchiva de Volozhin pendant près de 40 ans. Il s’occupa ainsi non seulement de centaines d’étudiants, mais il dut aussi assurer le financement de son centre. Outre cette activité débordante, il publia en parallèle de très nombreux ouvrages d’une richesse et d’une profondeur très impressionnantes.

On pourrait penser qu’il s’agissait d’un pur génie et qu’il était particulièrement doué depuis son plus jeune âge, mais il n’en est rien ! En effet, il rapporta lui-même que lorsqu’il était jeune, ses parents songèrent à lui apprendre un métier, car il ne leur semblait pas que leur enfant avait des prédispositions particulières dans l’étude de la Torah. Lorsqu’il entendit ses parents envisager cela, le Nétsiv les implora de lui laisser une chance et de le laisser encore étudier. Il se mit alors à étudier de tout son cœur en redoublant d’efforts, et c’est ainsi qu’il parvint à des résultats prodigieux.

Une anecdote complémentaire permettra de mieux percer le secret des Justes. Dans la Yéchiva de Volozhin, plusieurs cours avaient parfois lieu simultanément avec différents maîtres prestigieux. On demanda une fois à un élève, très assidu au cours du Nétsiv, d’où lui venait une telle fidélité à son maître. Il leur rapporta alors l’anecdote suivante :

Alors qu’il était confronté à une difficulté d’interprétation d’un commentaire de Baba Batra (un traité du Talmud), il interrogea le Nétsiv connu pour ses connaissances prodigieuses. Ce dernier fut bien embarrassé et lui confia qu’en dépit de ses efforts et de ses Téfilot, il n’était lui-même pas parvenu à comprendre cet enseignement. Il lui confia aussi qu’il était même parti prier plusieurs fois sur la tombe des Tsadikim afin qu’ils intercèdent en sa faveur et l’aident à saisir cet enseignement.

L’élève comprit alors que ce qui avait amené le Nétsiv à ce niveau de connaissances et d’intimité avec la Torah, c’était avant tout son cœur. Il souhaitait donc s’attacher à son maître notamment pour apprendre comment incarner cette vertu (Rav Rozenberg).

Son cœur l’amenait à ressentir toute la Torah de manière existentielle. Il lui était inconcevable de ne pas comprendre ne serait-ce qu’un commentaire d’un des traités du Talmud. Il était toujours porté par son cœur, par une volonté qui dépasse la raison, par un amour de la Torah qui ne supporte aucune démonstration rationnelle. C’est en étant porté par son cœur que le Nétsiv est devenu l’homme de Torah extraordinaire que nous continuons tous de lire et d’admirer.

Le chemin qui mène à la Torah, et bien sûr à D.ieu, passe ainsi par le cœur. Nos Sages enseignent : « Ra’hamana ‘Hafets Liba », D.ieu désire que les hommes agissent avec leur cœur, car ce dernier est le meilleur moteur pour amener tout un chacun à ressentir avec authenticité sa proximité avec Hachem, et renouer avec l’essence de son âme.

Concluons sur ces versets du prophète Jérémie qui énoncent de manière précise où se loge l’alliance entre Hachem et chacun d’entre nous (31, 32) :

« Mais voici quelle alliance Je conclurai avec la maison d'Israël, au terme de cette époque, dit l'Eternel : Je ferai pénétrer Ma loi en eux, c'est dans leur cœur que Je l'inscrirai ; Je serai leur D.ieu et ils seront Mon peuple ».