Le passage des Dix Commandements est le point culminant de la paracha de cette semaine, Yitro.

La quatrième mitsva consiste à se souvenir du Chabbat[1] et la cinquième est celle d’honorer ses parents[2]. Leur juxtaposition peut sembler insignifiante, mais ce n’est pas la seule fois dans la Thora que ces deux mitsvot « dissociées » sont accolées. Dans la parachat Kedochim, ces deux mitsvot sont mentionnées dans le même verset : « Un homme craindra sa mère et son père ; et Mes Chabbatot vous garderez – Je suis Hachem votre D. »[3]

Sur ce verset, ‘Hazal expliquent que bien que l’on doive honorer et révérer ses parents, l’obligation ne va pas jusqu’à leur obéir s’ils demandent d’enfreindre le Chabbat ou toute autre mitsva de la Thora[4].

Les commentateurs demandent pourquoi la Thora choisit précisément le Chabbat — qui est l’une des mitsvot les plus fondamentales et qui est très sévèrement punie si elle est transgressée — pour nous délivrer cet enseignement.

Rav Yaacov Kamenetsky zatsal propose une autre interprétation quant à la juxtaposition de ces deux mitsvot. On pourra, à travers cet éclaircissement comprendre pourquoi le verset choisit la mitsva du Chabbat pour nous apprendre que le respect dû aux parents ne passe pas avant l’observance des autres mitsvot.

Quand il eut atteint un âge avancé, rav Kamenetsky voyagea en avion avec l’un de ses petits-enfants. Il était assis à côté d’un professeur israélien à la retraite. Ce dernier, qui n’était guère pratiquant remarqua à quel point le petit-fils du rav le vénérait et se montrait à ses petits soins. Il avoua à rav Kamenetsky que ses petits-enfants ne lui témoignaient pas du tout le même respect et il demanda au rav quelle était la raison de cette différence.

Le rav lui répondit que selon le mode de pensée laïc, l’homme descend du singe. Donc, chaque génération s’éloigne un peu plus de l’aspect et des caractéristiques de cet animal. Il est donc logique que les enfants soient plus évolués que leurs prédécesseurs et ils n’ont donc aucune raison d’honorer les personnes âgées. À la limite, cela devrait être l’inverse – les plus vieux devraient prendre exemple et vénérer les jeunes, plus « avancés ». Voilà pourquoi les petits-enfants de ce professeur ne lui accordaient aucun honneur.

En revanche, selon la conception de la Thora, plus on remonte dans l’histoire, plus on se rapproche de la Création et d’Adam Harichon. Il était le plus saint des hommes, puisqu’il fut créé par Hachem « en personne ». Chaque génération qui suit s’éloigne donc de la Création. Donc, plus on avance, plus on considère la génération précédente supérieure. C’est la raison pour laquelle, expliqua rav Kamenetsky, ses petits-enfants le respectaient tant.

Ceci élucidé, rav Kamenetsky expliqua le rapprochement des deux mitsvot énoncées – le respect des parents et le Chabbat.

Chabbat témoigne de notre croyance en la création du monde par Hachem en six jours et en Son « repos » le septième jour. Une fois que l’on reconnaît cette vérité, on en viendra automatiquement à réaliser que chaque génération est plus proche de la Création que nous et est donc digne de respect. C’est le rapport entre ces deux mitsvot – toutes deux émanent de la même conviction à propos de la création du monde par Hachem.

L’explication de rav Kamenetsky peut ainsi nous servir à expliquer pourquoi ‘Hazal choisirent précisément le Chabbat pour nous enseigner que le respect des parents n’outrepasse pas les autres mitsvot de la Thora.

Comme l’affirme le Or Ha’Haïm, la fin du verset : « Je suis Hachem » nous montre que l’honneur dû aux parents ne supplante pas les autres mitsvot, parce que tous les commandements émanent de la nécessité d’accomplir la volonté d’Hachem, y compris celui d’honorer ses parents.

Pourtant la Thora mentionne notamment le Chabbat, parce que le message qu’il véhicule est intrinsèquement lié à celui du respect des parents. Celui qui honore ses parents montre son lien avec les générations antérieures et donc sa croyance en la création du monde et il pourra respecter également le Chabbat qui représente la commémoration suprême de la Création.[5]

Cette façon de considérer les personnes âgées et, plus généralement, le passé est très contrastée avec la perception laïque du monde. Celle-ci met l’accent sur le progrès et sur son importance, ce qui implique souvent une dépréciation du patrimoine culturel. La Thora quant à elle insiste sur l’adhésion aux valeurs transmises depuis le Don de la Thora. Elle aborde les changements du monde moderne en fonction de ces valeurs et non l’inverse.

Ainsi, bien qu’il y ait souvent eu de nouvelles approches et des mouvements « innovateurs » dans l’histoire de notre peuple[6], ils restèrent toujours dans le contexte des valeurs de Mathan Thora.

Nous avons compris que les mitsvot du Chabbat et du respect des parents sont étroitement corrélées. Toutes deux mettent l’accent sur la création du monde ; elles nous apprennent à nous reposer le septième jour et à respecter nos anciens, ce qui nous rapproche de Briyat Haolam.

Puissions-nous tous intérioriser ces leçons et observer ces deux mitsvot de notre mieux pour ensuite renforcer notre émouna en Hachem Qui est l’unique Créateur du monde.



[1] Chemot, 20:8-11.

[2] Chemot, 20:12.

[3] Vayikra, 19:3.

[4] Rachi, Vayikra, 19:3, basé sur la guemara dans Yébamot, 6a.

[5] Voir Kli Yakar qui propose une explication quelque peu différente.

L’explication du rav Kamenetsky semble impliquer qu’il faut honorer toute personne appartenant à la génération précédente et donc que l’obligation ne se limite pas aux parents. Voir Séfer Ha’Hinoukh, mitsva 33 et Mechekh ‘Hokhma, Vayikra, 19:2 qui évoquent ce sujet.           

[6] Par exemple, le mouvement ‘hassidique ou le mouvement du moussar. Il est intéressant de noter que même des mouvements conformes comme ceux-ci durent affronter une forte opposition à leurs débuts. C’était pour s’assurer qu’ils ne seraient pas extrémistes. En effet, plusieurs nouvelles écoles de pensée furent considérées comme inacceptables parce qu’elles n’adhéraient pas suffisamment aux valeurs transmises depuis le don de la Thora.