La paracha Choftim écrit : « Qui est l’homme qui a peur et dont le cœur est fragile ? Qu’il parte et retourne chez lui et qu’il n’affaiblisse pas le cœur de ses frères comme le sien. »[1]

La Torah enjoint à toute personne qui redoute d’aller en guerre, de quitter le champ de bataille, à cause de l’influence négative que son attitude peut avoir sur les autres soldats. Ces derniers risquent d’être affectés par son angoisse et d’être, à leur tour, plus craintifs. Selon Rav ’Haïm Chmoulévitz zatsal, cette Mitsva nous enseigne qu’il est interdit d’agir, dans tous les domaines de la vie, d’une façon qui influera négativement sur d’éventuels spectateurs, ceci même si l’action est justifiée, mais qu’elle risque d’être interprétée négativement.

Pourquoi serait-on jugé sur les conséquences de nos actes, si ceux-ci ne sont pas mauvais en soi ? Nous avons l’obligation de respecter les 613 Mitsvot ; si quelqu’un les observe, pourquoi devrait-il souffrir du fait que d’autres l’émulent incorrectement ?

Le Rav ’Haïm de Volozhin zatsal écrit que dans la Amida de Roch Hachana, nous disons qu’Hachem juge « Maasé Ich Oupékoudato ». « Maassé Ich » évoque les actions de la personne, mais à quoi se réfère « Pékoudato » ? Il explique que chacun a une sphère d’influence qui touche les membres de sa famille, ses élèves ainsi que toute personne qui le côtoie. La façon qu’il a d’influer sur son entourage, par le biais de ses actions, est appelée « Pékoudato » et l’individu est également jugé sur cela. Si, en observant son comportement, d’autres personnes perfectionnent leur Avodat Hachem, alors il sera largement récompensé, mais si c’est l’inverse qui se produit, il sera condamné pour la part qu’il aura dans leurs Avérot, autant que pour ses propres fautes[2]. Les actions de la personne ne se font pas en vase clos, nous sommes constamment observés, et, par conséquent, nous devons toujours être conscients des éventuelles répercussions de nos actes, même quand nous ne communiquons pas directement avec une autre personne.

Cette idée est illustrée par l’histoire suivante, racontée par Rav David Kaplan chlita.

Un cordonnier décéda et se retrouva devant le Tribunal Céleste. Une immense balance se trouvait devant lui et une voix profonde annonça : « Apportez les Mitsvot ! » Des anges vêtus de blanc apportèrent plusieurs sacs remplis de Mitsvot. Ils les versèrent sur la balance et le côté des mérites s’abaissa, tandis qu’un large sourire se dessinait sur le visage du cordonnier. Puis la voix dit : « Apportez les Avérot ! » Des charrettes pleines d’anges noirs à l’allure épouvantable arrivèrent et se mirent à déverser les péchés de l’autre côté de la balance. Le sourire disparut bien vite du visage du cordonnier. Il remarqua alors quelque chose de bizarre. « Un instant, s’écria-t-il, parmi ces Avérot, certaines ne sont pas à moi. Je n’ai jamais fait ceci, ni cela… 

-       Non, lui répondit-on au Beth Din Chel Maala, tu ne les as effectivement pas commises. Ce sont les Avérot de personnes qui t’ont vu agir et qui ont appris de tes actes. Tu es responsable de leurs fautes. Quand tu as parlé à la synagogue, Untel t’a vu et a pensé qu’il était permis de discuter – tu prends sa Avéra. Un jour, tu es sorti de la synagogue avant l’heure et le chapelier a pensé qu’il pouvait le faire aussi ; tu es responsable de cette erreur également. Lorsque tu as dit du Lachone Hara et que tes amis ont pensé qu’il leur était sûrement permis d’écouter puisque c’était toi qui parlais, tu dois en assumer la responsabilité… ! »

Heureusement, nous pouvons profiter de cette façon de juger en ce qui concerne les effets positifs que nous avons eus sur notre entourage.

Rav Aharon Kotler zatsal[3] estime qu’il est très difficile, à notre époque, de réprimander quelqu’un efficacement sans le mettre dans l’embarras. Il propose, pour l’aider sans craindre de lui faire de peine, de réprimander à travers l’exemple ; c’est-à-dire d’agir de manière à inciter autrui à nous imiter.[4]

Par exemple, un Ba’hour Yéchiva (étudiant dans une Yéchiva) qui arrive journellement à l’heure à la Téfila peut influencer ses camarades de chambre à faire de même ; un homme qui décide d’être Kovéa Etim Latorah (se fixer un temps d’étude) servira d’exemple pour ceux qui n’étudient pas de façon régulière ; si quelqu’un prend soin de ne pas dire ni écouter de Lachone Hara, son entourage aura du mal à en dire en sa présence.

Rav Kotler écrit que si une personne excelle délibérément dans un domaine de la Avodat Hachem dans le but d’influer sur ceux qui l’observent, elle accomplit la Mitsva de Tokha’ha (réprimander son prochain).

On ne peut jamais savoir quand nos actes auront de l’influence, même les plus minimes peuvent avoir de grandes répercussions, comme le prouve l’histoire suivante. Dans l’attente d’une grande assemblée pour Yom Kippour, Rav Elia Dushnitzer se soucia de découper des morceaux de papier toilette pour tous les fidèles de la grande synagogue de Péta’h Tikva. Un homme non-pratiquant s’arrêta pour observer cette scène étrange. « Que faites-vous ? » demanda-t-il. Le Rav lui répondit : « Demain, la foule sera grande et je ne veux pas que quelqu’un soit incommodé. » Après avoir fait Téchouva, cet homme expliqua ce qui l’avait poussé à effectuer ce changement crucial dans sa vie. « C’est ce Rav. Chaque papier découpé par cet homme si sensible m’allait droit au cœur. »[5]

Si quelqu’un provoque un changement positif dans la vie d’autres personnes, il ne reçoit pas simplement une récompense pour l’acte en question. La Michna dans Pirké Avot affirme que celui qui donne du mérite aux autres bénéficie d’incroyables bienfaits[6]. Tout d’abord, « la faute ne viendra pas entre ses mains » — ce qui signifie, selon plusieurs commentateurs, qu’il profitera d’une grande Siyata Dichmaya (aide divine) pour éviter de trébucher[7]. Puis la Michna décrit Moché Rabbénou comme un exemple de Mézaké Harabim et affirme qu’il reçoit une récompense pour chaque Mitsva qu’il a engendrée, comme s’il l’avait faite lui-même.

Rav Aharon Kotler ajoute que cela peut jouer en notre faveur, le jour de notre Jugement. La Guémara nous informe que les Sifré ’Haïm et les Sifré Métim (littéralement, « Livres des Vivants » et « Livres des morts ») sont ouverts à Roch Hachana. Tossefot expliquent que les morts sont aussi jugés[8]. Sur quoi leur verdict est-il prononcé ? Rav Kotler répond que même après le décès d’une personne, les actions qu’elle avait faites dans ce monde influencent les autres, que ce soit de manière positive ou négative. Ainsi, si l’aide que l’on fournit aux autres se perpétue dans le temps, on continue d’en tirer profit et de recevoir une récompense, même après la mort.



[1] Parachat Choftim, Dévarim, 20:8.

[2] Rapporté dans Séfer Kerem Hatsvi du Rav Tsvi Hirsh Farber, Nitsavim, rapporté dans Méoré Tefila du Rav Immanouel Bernstein, p. 207.

[3] Michnat Rabbi Aharon, 1er volume, p. 252-253.

[4]  On peut également enseigner ou encourager les gens à améliorer leur Avodat Hachem. Cela fait aussi partie de notre devoir, mais nous nous focaliserons ici sur la façon dont nos actions peuvent affecter les autres (positivement ou négativement), sans communication directe.

[5] Major Impact, Kaplan, 9. 96.

[6] Pirké Avot, 5:18.

[7] Voir Rambam, Pirouch Hamichnayot. Voir également la Guémara dans Yoma, 87a, avec Rachi.

[8] Roch Hachana, 32b.