La Haftara de cette semaine est la cinquième des consolations issue du livre du prophète Isaïe, comme les précédentes.

Dans cette Haftara, Hachem console à nouveau Jérusalem et lui rappelle le bonheur qu’elle connaîtra lors des temps messianiques, lorsqu’elle verra se rassembler sur sa terre tous ses enfants perdus. Notre texte assimile Jérusalem à une femme stérile dont tous les enfants se sont éloignés, en référence à l’exil que connaît le peuple juif.

Cette Haftara a ceci de particulier qu’elle est lue plusieurs fois dans l’année, lors du Chabbath Noa’h et donc du Chabbath Ki Tétsé. Il s’agit également d’un des textes les plus courts, avec seulement dix versets.

Liens avec la Paracha

Comme chaque semaine, au-delà de l’esprit de « consolation », il est possible de trouver dans notre Haftara des parallèles avec la Paracha de la semaine.

Le premier point commun entre nos deux textes réside dans l’importance attribuée au respect des vœux et des promesses que l’homme formule, et au-delà, à toute parole qui sort de la bouche d’un homme. La Haftara, quant à elle, évoque une promesse faite par D.ieu à l’humanité de ne jamais plus envoyer de déluge sur le monde.

Ensuite, la Paracha évoque à plusieurs reprises des règles relatives au mariage, au divorce, à l’union entre un homme et une femme. A cet égard, nous pouvons remarquer également que pour désigner le lien entre D.ieu et le peuple juif, la Haftara file également la métaphore de la réconciliation entre un homme et son épouse. Nous pouvons aussi mettre en parallèle l’absence d’enfants de la femme stérile évoquée au début de notre Haftara, avec le principe du lévirat exposé dans notre Paracha qui permet de pallier l’absence de descendance d’un homme.

Echo de la Haftara

Dans un des premiers versets de notre Haftara, le prophète Isaïe évoque le rassemblement de l’ensemble du peuple juif à Jérusalem. Il peut s’agir non seulement du rassemblement des exilés, mais aussi de la résurrection des morts et de leur présence à Jérusalem. Cette affluence extraordinaire amène le prophète à exhorter la ville sainte à élargir ses frontières : « Elargis l’emplacement de ta tente, qu’on déploie les tentures de ta demeure, ne t’épargne pas » (Isaïe 51-2).

Cette question de l’élargissement des frontières d’un espace restreint apparaît à plusieurs reprises dans notre tradition. Le Midrach nous rappelle plusieurs événements similaires qui eurent lieu à travers l’histoire. Le premier d’entre eux remonte à la création du monde, lorsque les eaux recouvraient totalement la terre et ne laissaient pas place à la terre ferme. C’est alors que D.ieu ordonna aux eaux de se rassembler en océan, en mer, en rivière, afin de laisser place à la terre sèche. Un miracle se produisit alors et permit effectivement à ces eaux infinies de se rassembler dans un espace limité.

On peut évoquer également le miracle qui eut lieu lorsque Yéhochoua s’apprêtait à faire traverser le Jourdain aux enfants d’Israël. Il leur demanda alors de se rassembler tous entre les deux barres de l’Arche sainte, et tout le peuple y trouva miraculeusement de la place. Leur présence physique matérielle s’était effacée devant leur présence spirituelle, nous disent nos Sages. Et Yéhochoua les exhorta alors à prendre conscience à travers ce miracle de la présence de D.ieu à leurs côtés.

Enfin, nous pouvons mentionner également ce miracle régulier qui intervenait dans l’enceinte du Temple et qui nous est rapporté notamment dans les Pirké Avot. En effet, lors des jours de fête, l’ensemble du peuple était invité à se rendre à Jérusalem, et notamment dans le parvis du Temple. Or, cette présence d’une foule nombreuse et compacte ne laissait pas de place aux pèlerins. Nos Sages nous dévoilent même que les hommes étaient tellement compressés que parfois, leurs pieds ne parvenaient pas à toucher le sol…

Et pourtant, les Sages nous enseignent que lorsqu’ils devaient se prosterner dans le cadre de la prière, chacun pouvait le faire tranquillement et trouver autour de lui un espace libre d’une « Ama », soit environ 60 cm, pour se prosterner. Chacun disposait donc miraculeusement d’un espace suffisant pour adresser ses prières à D.ieu et confesser ses fautes.

Nos Sages nous révèlent ainsi que lors des temps messianiques, Jérusalem élargira ses frontières de la même manière afin de permettre à chacun de ses enfants de trouver une place.

Au-delà du miracle matériel qui se produisait à l’époque du Temple, ces enseignements portent en eux également une dimension éthique. Le ‘Hafets ‘Haïm illustrait ainsi ce principe de la manière suivante :

Dans le passé, les communautés juives vivaient parfois dans une grande pauvreté, et les hommes n’avaient souvent pas les moyens de s’acheter un Talit personnel. Il arrivait ainsi que l’on trouve dans les synagogues jusqu’à six personnes abritées sous un même Talit…

A la question de savoir comment cela est-il possible, le Hafets ‘Haïm apportait la réponse suivante : chacune des personnes se trouvant sous ce Talit ne se préoccupait pas d’être couverte elle-même personnellement, mais il leur était insupportable que leur prochain ne soit pas couvert par le Talit. Dès lors, chacun faisait en sorte de s’effacer, de se faire petit, afin de laisser la place à autrui et lui permettre d’être lui aussi couvert sous le même Talit.

Aussi pouvons-nous comprendre cette méfiance dans la tradition juive vis-à-vis de l’expansion dans l’espace, et le peu de goût que le peuple juif a eu à travers l’histoire pour les conquêtes territoriales au-delà des frontières fixées par D.ieu pour le petit État d’Israël. Le défi qui se pose à l’homme durant sa vie n’est en effet pas de s’imposer physiquement en étendant son emprise physique et matérielle sur l’espace, mais bien davantage celui d’avoir le souci de l’autre, en étant capable d’élargir les frontières mentales qui cloisonnent les relations interpersonnelles. Cette sollicitude vis-à-vis d’autrui porte non seulement sur son bien-être matériel, mais aussi sur son épanouissement spirituel.

Isaïe, en relayant ainsi les paroles de D.ieu, nous invite à nous défaire des limites étroites de l’espace qui incite l’homme à l’égoïsme et à la volonté d’appropriation, pour faire naître dans son cœur un espace spirituel non borné. Ce dernier doit permettre d’accueillir autrui, de faire place à son égale dignité, d’entendre ses besoins et ses appels. Cet élargissement de nos cœurs individuels permettra, avec l’aide de D.ieu, de nous préparer à l’horizon décrit par le prophète où nous serons tous réunis à Jérusalem, et où personne ne souffrira d’un manque d’espace !