La paracha de cette semaine est probablement un moment opportun pour réfléchir sur un concept central du judaïsme : la émouna, la foi, et pour analyser sa contribution au bonheur des hommes.

En effet, deux passages de la paracha de Vahet’hanan nous invitent à nous pencher sur la foi. Le premier repose bien-sûr sur la première des dix paroles communiquées au peuple Juif sur le Mont Sinai « Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, d'une maison d'esclavage. » (Deutéronome, ch.5, v.6). Et le deuxième passage est celui bien connu du premier paragraphe du Shéma’ Israël, expression emblématique de la foi du peuple Juif, mentionnée dans notre Paracha également.

Le principe de la foi a donné lieu à de très nombreux débats philosophiques parmi les penseurs les plus éminents du peuple Juif. S’agit-il d’un commandement positif de « croire » en D.ieu ? S’acquitte-t-on de ce commandement en « croyant » simplement en D.ieu ou bien en étant rationnellement et logiquement convaincu de Son existence ?

Le Hafetz Hayim dans son ouvrage sur les mitsvot considère pour sa part la émouna comme une mitsva fondamentale de la Torah « Il s’agit d’un commandement positif de la Torah de croire dans l’existence de D.ieu, comme il est écrit «  Je suis l'Éternel, ton Dieu… » et de savoir que c’est Lui, Béni et Loué soit-Il, qui donne la vie à chaque entité, et à tous les mondes […]. C’est Lui qui veille sur chacun d’entre nous. C’est là le fondement de notre foi ». (Sefer Hamitsvot Hakatser)

Lorsque l’on évoque la foi, on aimerait évoquer de nombreux arguments « rationnels », « logiques » pour justifier qu’il ne s’agit pas seulement d’une « croyance » mais d’une « certitude ». Mais nous savons que de tels arguments peuvent se retourner contre ceux qui les invoquent.

En outre, l’homme a vite fait d’instrumentaliser sa raison, et sa logique pour justifier ses envies, ses désirs, et l’orientation de sa foi. A cet égard, beaucoup s’étonnent que les Bné Israël aient pu commettre la faute d’idolâtrie. En effet, d’une part, le peuple Juif s’est illustré, dès les premières heures de la sortie d’Ergypte, par son esprit exigent, son scepticisme, et d’autre part, il a été lui-même témoin de miracles inouïs tels que l’ouverture de la mer des Joncs, la manne quotidienne... Comment des hommes et des femmes aussi avertis pouvaient-ils penser que des idoles avaient un quelconque pouvoir ?

Le talmud nous dit à cet égard, qu’ils avaient un intérêt dans cette croyance « les Juifs savaient fort bien que les idoles n’avaient aucune valeur. Mais ils souhaitaient trouver une « religion » qui leur permette ce que la Torah interdit ! » (Sanhedrin 63). (Rav A. Twerski, Simcha, it’s not just happiness).

Aussi, ni la raison, ni la logique ne semblent suffisantes et fiables pour ancrer la foi en D.ieu dans le cœur des hommes. Elles peuvent être facilement assujetties par l’homme pour justifier ses turpitudes.

Il faut probablement chercher ailleurs une source durable pour la foi. La foi échappe par définition à la rationalité si chère aux esprits modernes. Mais, là où certains y voient faiblesse et obscurantisme, nous voulons y voir une force et une grandeur.

Elle témoigne tout d’abord de la capacité de l’homme à développer en lui une force d’âme, d’intuition et de fidélité. Il est, en effet, facile de régler sa vie sur le domaine du rationnel, du démontrable, dans la mesure où cela est, a priori, sans risque, sans incertitude. En revanche, il est plus difficile d’écouter les ressorts profonds de son être, de donner droit au chapitre à une petite voix intérieure, d’accueillir des sentiments millénaires qui ont survécu à l’histoire des hommes, et à celle des idées, qui les ont chacune mis à mal.

Or, la foi relève précisément de cette volonté de faire échapper sa vie au règne sans partage de la prétendue raison et de la logique. A la prose d’une vie bâtie sur des certitudes, elle préfère la poésie d’une vie dédiée à déchiffrer dans le monde les traces et les messages subtils envoyés à l’homme par l’Eternel.

La foi invite également l’homme à prêter l’oreille aux voix des générations passées qui ont traversé les siècles, et les épreuves, confiant dans la providence divine. La mélodie de ces voix disparues, imperceptible aux oreilles de la raison, compose une merveilleuse symphonie. Elle rappelle à l’homme qu’il n’est pas un être isolé, que son existence dépasse de loin l’horizon limité de ses années sur terre et elle fait de lui le maillon d’une chaîne de transmission ininterrompue depuis des millénaires.

Car l’enjeu de la foi est aussi celui-ci : la fidélité à l’héritage du passé, l’exigence du présent, et la préparation vertueuse de l’avenir.

Elle permet à l’homme d’élargir toujours davantage les frontières et les limites de son existence, d’imaginer pour l’avenir les projets les plus ambitieux furent-ils improbables ou irrationnels. Elle encourage à l’homme à raffiner ses qualités morales : sa sollicitude à l’égard des hommes, sa maîtrise de la colère et des passions négatives, sa capacité à s’élever spirituellement et à acquérir progressivement la sagesse. Aussi, le prophète Habakuk avait-il pu proposer de résumer l’ensemble de la Torah par un principe « Le Juste vivra par sa foi » (Traité Makot, 24a).

La foi est sans cesse fragilisé par le questionnement sans fin de la raison. Aussi convient-il de la renforcer et la renouveler en permanence. C’est là un des objectifs du Shéma’ Israël répété plusieurs fois par jour, et mentionné pour la première fois dans notre paracha. La foi rappelle ainsi à l’homme l’enjeu de son héritage, et la nécessité de le préserver.

Notons enfin que l’expression de la foi juive est intimement liée, aussi bien dans la première des dix paroles, que dans le Shema’, à la sortie d’Egypte. Celle-ci nous rappelle, comme l’évoque R. Y. Halevy dans le Kuzari, que l’Eternel n’est pas seulement le Créateur du ciel et de la terre, mais qu’Il intervient sur terre et se préoccupe de la vie des hommes. C’est Lui qui est intervenu directement pour sauver les enfants d’Israël d’Egypte et c’est Lui continue des les aider, de les protéger et les guider au quotidien.

Fort cette foi, l’homme peut alors aborder la vie avec un cœur entier, confiant qu’il n’est pas livré au hasard chaotique de la nature, mais porté sur les ailes de la providence Divine. En donnant aux hommes la Torah, l’Eternel leur a donné le secret du bonheur et de la sagesse, la meilleure boussole pour orienter sa vie et prendre les meilleures décisions.

Il suffit de lire et relire les versets de notre paracha à propos de la Torah et des mitsvot qui indiquent à l’homme de manière explicite la source de son bonheur et de sa sagesse : « Observez-les et pratiquez-les ! Ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples, car lorsqu'ils auront connaissance de toutes ces lois, ils diront : "Elle ne peut être que sage et intelligente, cette grande nation!" (Deutéronome, 4, 6). « Reconnais à présent, et imprime-le dans ton cœur, que l'Éternel seul est Dieu, dans le ciel en haut comme ici-bas sur la terre, qu'il n'en est point d'autres ! Et tu observeras ses lois et ses commandements, que je te prescris aujourd'hui, pour ton bonheur et pour celui de tes enfants après toi, et afin que ton existence se prolonge sur cette terre que l'Éternel, ton Dieu, te donne à perpétuité. » (Deutéronome, 4, 39-40)