La paracha de la semaine nous dit : « Tu les enseigneras à tes enfants, tu parleras d’eux quand tu seras assis dans ta maison, quand tu seras en chemin, en te couchant et en te levant. »[1]

Ce Passouk est la base de la Mitsva de Talmud Torah (l’étude de la Torah), un commandement qui est décrit comme équivalent à tous les autres réunis. Il est intéressant de noter que l’obligation imposée par la Torah est « Tu enseigneras » et non « Tu apprendras ». Pourquoi ?

Le Ktav Sofer souligne que le verset nous enjoint d’étudier (Védibarta Bam), mais seulement après nous avoir ordonné d’enseigner (Véchinantam). L’ordre aurait dû être inversé — en général, on apprend avant de transmettre !

Il explique que la Torah vient sous-entendre que l’étude de la personne doit avoir la transmission comme but ultime[2]. Ceci explique aussi pourquoi l’élément principal de la Mitsva de Talmud Torah est l’enseignement – car le Takhlit (l’objectif) de l’étude est la capacité d’instruire. Évidemment, l’étude de la Torah n’est pas seulement un moyen pour enseigner ; l’individu a besoin de la Torah pour l’aider à améliorer sa relation avec Hachem, ce qui serait impossible sans l’étude. Néanmoins, l’apprentissage seul, sans transmission indique une grande faille dans l’accomplissement de la Mitsva de Talmud Torah. C’est la raison pour laquelle ’Hazal affirment que « Lilmod Al Ménat Lélamed » est un prérequis à l’étude. En outre, le Méiri[3] et le Maharal[4] estiment qu’une personne qui apprend, mais qui n’enseigne pas ne peut atteindre la véritable Chlémout (perfection)[5].

Nous comprenons donc pourquoi la Torah met l’accent sur l’enseignement. Toutefois, le choix du terme employé est surprenant : généralement, « tu enseigneras » est la traduction de « Limadta » ; or la Torah utilise ici le mot « Véchinantam ». D’après Rachi, il implique un haut niveau de clarté dans l’étude, au point de pouvoir répondre à celui qui questionne, sans faire de faux pas. Nous en déduisons qu’une personne peut gagner en clarté dans son analyse, si celle-ci est une préparation à l’enseignement. Celui qui étudie la Guémara sachant que d’autres lui demanderont des explications, sera bien plus motivé à travailler avec plus de zèle et d’assiduité. C’est ainsi que les commentateurs interprètent la Guémara : « Rebbi dit : "J’ai appris beaucoup de Torah de mes professeurs, plus encore de mes amis, mais j’ai d’autant plus appris de mes disciples." »[6]. Les élèves forcent le maître à atteindre un plus haut niveau de compréhension.

Les Guédolim mettent l’accent sur ce point. Un Avrekh (personne qui étudie la Torah dans un Kollel) qui ne réussissait pas dans son étude alla voir le Steipler zatsal pour lui demander s’il devait poursuivre son programme au Kollel ou bien commencer à enseigner. Le Rav lui répondit : « Auparavant, tout le monde voulait enseigner et que celui qui ne trouvait pas d’emploi dans ce domaine continuait d’étudier au Kollel. Chaque Gadol Hador des générations précédentes grandit énormément grâce aux Chiourim (cours) qu’il donnait »[7].

L’enseignement est également un moyen très efficace pour retenir son étude. Le Steipler conseilla à un autre Avrekh de donner un cours dans une Yéchiva Kétana en expliquant que quand on transmet un passage de Torah à d’autres personnes, cela équivaut à l’étudier vingt fois. Il raconta par la suite : « Je sais de ma propre expérience que ce que j’ai appris seul, je l’ai oublié, tandis que ce que j’ai enseigné, je m’en souviens encore aujourd’hui ».[8]

Comment savoir combien de temps consacrer à l’enseignement ? Ce n’est pas chose facile, et cela varie en fonction de plusieurs facteurs. Les Guédolim s’accordent toutefois à dire que les Bné Torah doivent consacrer une partie de leur temps à transmettre, en particulier à ceux dont l’observance des Mitsvot est défaillante[9]. Rav Moché Feinstein zatsal estime que de la même manière que l’on doit donner au moins 10 % de notre argent à la Tsédaka, un Ben Torah doit consacrer un dixième de son temps pour les autres, pour les rapprocher de la Torah. Il ajoute que celui qui a des capacités et des connaissances plus grandes doit mettre plus de temps au profit de l’autre, de manière proportionnelle.[10]

L’enseignement de la Torah est donc d’une importance capitale. Mais pourquoi est-ce plus remarquable encore que l’étude de la Torah ?[11] L’une des réponses à cette question se trouve dans le Passouk précité. La Torah ordonne : « Tu l’enseigneras à tes enfants. » ’Hazal déduisent que ce verset ne s’applique pas seulement aux enfants biologiques, mais également aux élèves. Pourquoi la Torah ne nous enjoint-elle pas simplement d’enseigner à des disciples ? En réalité, la Torah nous apprend que dans un sens, transmettre la Torah équivaut à avoir des enfants. Quand une personne met un enfant au monde, elle lui offre le magnifique cadeau qu’est la vie. En enseignant la Torah à quelqu’un, on lui donne l’opportunité d’avoir la vie éternelle. Ainsi, en transmettant la Torah, on peut acquérir le titre de parent – car on engendre la vie.

C’est pourquoi les élèves sont appelés « enfants ». En effet, enseigner la Torah à un enfant est considéré comme un ’Hessed encore plus grand que de lui donner naissance, comme l’affirme la Michna dans Baba Métsia : « Si une personne voit des objets perdus appartenant à son père et à son maître, celui de son maître a la priorité. Pourquoi ? Parce que son père l’a conduit au Olam Hazé, mais son professeur qui lui a incarné la sagesse, le mène au Olam Haba. »[12]

Enseigner la Torah est l’ultime ’Hessed que l’on puisse faire – puissions-nous tous mériter de le prodiguer.



[1] Parachat Vaét’hanane, Dévarim, 6:7.

[2] Rapporté dans Dvar Yérouchalaïm, 181.

[3] Méiri, Sanhédrin, 24a. Voir également Méiri, Avot, 4:6.

[4] Maharal, ’Hidouché Haggadot, 23b. Voir également Natsiv Al Hatorah, Ch. 8 pour un développement plus détaillé sur ce point.

[5] Plusieurs Guémarot critiquent très sévèrement celui qui apprend et qui n’enseigne pas. Voir Roch Hachana, 23a ; Sanhédrin, Pérek ’Hélek.

[6] Makot, 10a ; Taanit, 7a.

[7] Rapporté dans Michel Avot, Kinyané Torah, « Halomed Al Ménat Lélamed ».

[8] Ibid.

[9] Certains Guédolim demandèrent que les Avrékhim consacrent une soirée par semaine à enseigner ou à rapprocher des Juifs moins pratiquants au judaïsme – entre autres, Rav Wolbe zatsal, Rav Eliachiv zatsal et Rav Steinman chlita.

[10] Tiré du « Jewish Observer », juin 1973, rapporté par Coopersmith, « Eye of a needle », p. 232.

[11] Introduction à Eglé Tal – il le prouve d’une Guémara dans Kétoubot, 17a.

[12] Baba Métsia, 33a.