« Parle aux enfants d’Israël et dis-leur : "Quand vous rentrerez dans le pays que Je vous donne, la terre sera soumise à un Chabbat en l’honneur d’Hachem". » (Vayikra, 25:2)

« Si vous dites : "Que mangerons-nous la septième année, puisque nous ne sèmerons pas et que nous n’engrangerons pas nos récoltes ?" Je vous octroierai Ma bénédiction dans la sixième année, tellement qu’elle produira la récolte de trois années. » (Vayikra, 25:20-21)

La paracha de cette semaine commence par l’obligation de respecter la Chemita (l’année sabbatique) et consacre plusieurs versets aux diverses lois qui constituent cette mitsva. Puis, la Thora anticipe l’inquiétude de certaines personnes quant à leur survie durant la septième année, si elles ne travaillent pas la terre. Et elle répond à ce souci en promettant qu’elles seront bénies d’un surplus alimentaire lors de la sixième année.

Pourquoi la Thora a-t-elle besoin d’exposer si longuement les préoccupations des gens concernant la Chemita – n’aurait-il pas été plus concis de dire simplement qu’il n’est pas nécessaire de s’inquiéter de la subsistance, parce qu’Hachem enverra Sa bénédiction sur la terre ?

Rav Yaacov Nyman zatsal, dans Darké Moussar explique qu’il existe deux niveaux dans l’accomplissement d’une mitsva[1]. Le plus haut niveau est atteint lorsque l’on exécute l’ordre pour la simple raison qu’Hachem l’a ordonné – même lorsqu’il nous semble difficile ou coûteux. La personne moins élevée désire respecter les mitsvot, mais elle se demande avec anxiété si elle en pâtira. Elle les observe tout de même, parce qu’elle sait que finalement elle ne perdra rien à se conformer à la volonté de D.

Il donne un exemple au sujet du respect du Chabbat en Amérique au début du siècle dernier. Il était très difficile de trouver un travail qui n’exigeait pas de travailler pendant Chabbat. De nombreux Juifs pratiquants succombèrent à ces grandes pressions tout en continuant de respecter les autres mitsvot. Rav Nyman raconte qu’il discourut devant des Juifs américains qui devaient affronter ce défi éprouvant. Il leur expliqua qu’une personne ne perdra rien à garder le Chabbat. Mais ce n’est pas pour cette raison que nous le respectons. On doit observer le Chabbat, parce que c’est un ordre d’Hachem, même si cela occasionne une importante perte d’argent.[2]

Le même principe s’applique à la Chemita. C’est pour cela que la Thora commence par détailler la mitsva puis aborde la question des gens qui ont un faible niveau de bita’hon (foi en D.). La Thora a délibérément apaisé tardivement les craintes des gens, pour nous apprendre que l’on ne respecte pas la Chemita parce qu’elle ne nous cause aucun préjudice, mais parce que la Thora nous y soumet. Seulement après avoir mis ceci en avant, elle annonce à ceux qui ont une confiance moins grande et qui ont besoin d’être rassurés, qu’ils ne souffriront pas de l’observance de cette mitsva – pour nous montrer que ce niveau est moins élevé.

L’explication du rav Nyman nous rappelle la nécessité de messirout néfech (sacrifice de soi, dévouement) pour le respect des mitsvot. Les difficultés à garder la Chemita de nos jours sont, pour la plupart des gens, bien moindres qu’avant. Cependant, les agriculteurs israéliens affrontent un très grand nissayon (épreuve) au quotidien. Rares sont les personnes qui réalisent à quel point ils sont attachés à leurs terrains et à leurs récoltes. L’un d’eux écrit : « Nous nous investissons corps et âme dans ce que nous créons. Souvent, nos réalisations deviennent une partie de nous-mêmes. Nous éprouvons un grand plaisir à chaque fois que nous contemplons un travail remarquable et nous sommes fiers de voir ce que nous avons produit. Il est donc naturel d’avoir un pincement au cœur quand nous devons endommager ce pour quoi nous nous sommes échinés. Détruire ce que l’on aime revient à s’autodétruire. »[3]

L’histoire suivante, à propos de la Chemita aborde ce même point. Doron Twing, un agriculteur du Mochav Azraya cultive des aubergines. La première fois qu’il observa la Chemita, il fut confronté à défis considérables. Il n’avait pas arrosé ses aubergines pendant des mois, mais elles continuaient à pousser. Son terrain n’en contenait pas moins de 35 000 ! Il savait qu’il n’avait rien le droit de faire pour les aider à grandir et craignait que, dans un moment de faiblesse, l’épreuve soit trop grande[4]. Il agit alors en opposition complète avec tout ce pour quoi il avait travaillé durant tant d’années. « J’ai pris des gallons de pesticides (plusieurs milliers de litres), que l’on utilise généralement en petites quantités pour faire face aux infestations et j’ai vaporisé tout le champ. J’allais d’une parcelle à l’autre, tuant tous mes légumes. Comprenez-vous ce que cela signifie pour moi ? »[5] Il en pleurait, sa douleur était manifeste. Il est certain que cet agriculteur sera grandement récompensé pour son incroyable messirout néfech ; il alla contre sa nature pour accomplir la volonté de D.

Il existe bien d’autres histoires d’agriculteurs qui virent de grands miracles au cours de la Chemita qu’ils décidèrent de respecter.[6]

Puissions-nous mériter d’agir avec messirout néfech et de recueillir le fruit de notre labeur.



[1] Darké Moussar, p. 170.

[2] Il n’est permis (voire recommandé) de transgresser le Chabbat que dans un cas de pikoua’h néfech (pour sauver une vie en danger) – tous les dirigeants spirituels d’Amérique tranchèrent que la situation, bien que très pénible, ne cnostituait pas un pikoua’h néfech.

[3] Hamodia (version anglaise), 23 avril 2015, p.6.

[4] Il est également interdit de consommer des légumes qui ont poussé d’eux-mêmes – appelés sefi’him. (Cette interdiction ne s’applique pas aux fruits qui ont poussé d’eux-mêmes).

[5] Hamodia, ibid.

[6] On raconte, par exemple, qu’une épidémie détruisit de nombreux champs appartenant à des agriculteurs ne respectant pas la Chemita, tandis que les quelques champs qui furent épargnés étaient ceux de paysans qui s’y conformaient.