La Haftara de cette semaine est issue du livre de Jérémie. Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, le prophète Jérémie est un des trois grands prophètes de la tradition juive. Il est resté célèbre notamment pour avoir prophétisé la destruction du Temple de manière précise, et en avoir été le contemporain. Son livre contient ainsi de nombreuses mises en garde à l’égard du peuple juif, mais aussi des paroles d’encouragement et de consolation exhortant les enfants d’Israël à se rapprocher du Créateur.

La Haftara de cette semaine dénonce, dans un premier temps, les cultes idolâtres qui s’étaient répandus dans le monde et qui avaient malheureusement contaminé une partie du peuple d’Israël. Le prophète rappelle les conséquences terribles auxquelles s’exposent ceux qui contreviennent à la volonté divine et qui ne respectent pas les commandements divins.

Jérémie énonce également dans cette Haftara un principe cardinal de la foi juive, celui de la confiance que l’homme doit mettre en l’Eternel et, inversement, il met en garde les hommes contre la confiance excessive qu’ils ont tendance à placer dans les hommes. Enfin, le prophète rappelle ce que recherche Hachem, et ce qui est le plus précieux à Ses yeux : un cœur pur et une volonté authentique de le servir de la manière la plus droite possible.

Liens avec la Paracha

Plusieurs liens unissent les textes de la Paracha de cette semaine avec celui de la Haftara.

Tout d’abord, le texte de la Torah tout comme celui du prophète dénoncent les tentations idolâtres des enfants d’Israël, et les conséquences auxquelles s’exposent ces derniers en transgressant la parole de D.ieu.

De même, nos deux textes relèvent la gravité de transgresser le repos de la terre, la Chemita.

Toutefois, la Paracha comme la Haftara se terminent sur une note positive et un message d’espoir. La Paracha nous dit qu’Hachem se souviendra toujours des enfants d’Israël et de l’alliance qu’il avait scellée avec les premières générations lors de la sortie d’Égypte. De même, le prophète nous rappelle que le seul espoir d’Israël est Hachem, et qu’il convient de s’en remettre à Lui pour nous guérir et nous sauver.

L’écho de la Haftara

Lorsque la Torah évoque les tentations idolâtres des générations passées, le lecteur moderne peut avoir la tentation de restreindre la portée des versets à une époque révolue. Il est vrai qu’aujourd’hui, l’idolâtrie paraît dépassée. Vouer un culte à des statuettes ou à des dieux imaginaires semblent des pratiques totalement révolues, d’aucuns peuvent même juger avec une forme de condescendance cette faiblesse apparente des générations passées. Toutefois, la tradition juive nous invite à y regarder de plus près et à se méfier des caricatures.

Nos Sages nous disent effectivement que cette tentation était extrêmement forte et qu’il était très dur d’y résister. Dès lors, il est fort imprudent aujourd’hui au lecteur moderne de penser qu’il serait lui-même hors de cause. Non seulement nous ne pouvons pas préjuger de nos réactions dans d’autres contextes, d’autres époques et d’autres cultures, mais en outre, il convient d’examiner nos comportements avec plus de rigueur.

Les Maîtres du judaïsme nous rappellent que la tentation idolâtre, si elle a effectivement disparu dans sa forme classique, peut prendre des visages plus subtils. L’idolâtrie ne consiste pas simplement à adorer une image, une sculpture ; elle révèle avant tout un état d’esprit, une disposition de l’homme qui l’amènerait à substituer aux valeurs promues par la Torah des valeurs concurrentes.

Prenons un exemple simple : la force de l’attrait pour l’argent dans nos sociétés. Ce désir de richesse matérielle peut amener ainsi des hommes à sacrifier de nombreuses valeurs fondamentales, qui deviennent soudainement secondaires face à l’appât du gain.

La promesse d’une richesse future peut ainsi amener des hommes à s’affranchir de certains commandements de la Torah, aussi bien sur la forme (en travaillant des jours qui devraient être chômés) que sur le fond (en employant des méthodes iniques, immorales, réprouvées par nos Sages). De même, l’exercice d’un métier peut déborder le cadre d’une vie professionnelle raisonnable et empiéter sur la vie de famille, nuire à l’éducation des enfants ou bien tout simplement épuiser les réserves de patience et de disponibilité d’esprit des parents.

Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur les hommes. Chacun part avec des bases différentes dans la vie et doit essayer, avec l’aide d’Hachem, d’avancer de la meilleure façon possible.

Mais le texte du prophète peut nous aider à déceler comment nos vies sont parfois détournées, de manière progressive mais inexorable, des valeurs qui sont les plus chères à nos yeux.

Comment en arrivons-nous là ? La réponse est peut-être dans les versets même de la Haftara. Répétons ces mots du prophète Jérémie : « Malheur à l’homme qui place sa confiance entre les mains des hommes », et inversement : « Béni soit l’homme qui place sa confiance en l’Eternel ».

Pris dans le tumulte de la vie matérielle, l’homme a parfois le sentiment qu’il est le principal maître à bord, et qu’il est obligé de répondre aux sollicitations de la vie, de suivre le rythme imposé par les voies dans lesquelles il s’engage.

La Torah ne prône pas un retrait de la vie matérielle ; elle conçoit tout à fait que les individus doivent pourvoir à leurs besoins matériels. Toutefois, la Torah demande à l’homme de conserver une saine distance avec le règne du matériel. L’homme doit déployer des efforts raisonnables pour obtenir sa subsistance ; il doit faire preuve de compétence, de sérieux et d’intégrité, mais ne doit pas faire de la réussite matérielle la clé de voute de son existence, et ne doit pas considérer que sa réussite dépend exclusivement de ses efforts et des bonnes relations qu’il entretient avec ses interlocuteurs.

Notre tradition nous demande d’inscrire dans nos esprits et dans nos cœurs le principe fondamental selon lequel notre subsistance est entre les mains de D.ieu, et que l’homme ne peut rien obtenir qui ne soit pas décidé dans le Ciel. D’où l’absurdité de ceux qui emploient des méthodes immorales pour acquérir de l’argent : en effet, ce qu’ils gagnent leur était destiné, ils se sont simplement privés d’autres vecteurs plus intègres qui leur aurait apporté la même Parnassa. Ils ajoutent l’immoralité à l’inefficacité…

Le prophète met ainsi en garde les hommes contre les ruses du cœur qui amènent l’être humain vers des chemins tortueux et immoraux, tout en se parant des atours extérieurs de la vertu. Jérémie nous rappelle que l’Eternel « sonde les cœurs » de chaque homme, rien ne peut Le leurrer. Seules la sincérité et l’authenticité des sentiments que les hommes éprouvent trouvent grâce aux yeux de D.ieu.

Voilà probablement la seule voie que l’homme doit essayer de poursuivre et qui est ouverte à chacun, quel que soit son niveau, son éducation, ses origines. L’intégrité et l’authenticité des sentiments ne sont les prérogatives d’aucune catégorie d’individus, et elles permettent de se purifier dans « les eaux vives de la Providence », selon la belle formule du prophète.