Parmi les oiseaux interdits à la consommation énumérés dans la Paracha de cette semaine, Chémini, on trouve celui dénommé, de manière intéressante, « ’Hassida ». Rachi rapporte la Guémara dans ’Houlin qui explique que ce volatile est connu pour son ’Hessed, parce qu’il partage sa nourriture avec ses proches[1]. Le Rizhiner Rebbe demande pourquoi une si grande qualité ne le rend pas digne d’être Cacher.[2] Il répond que la ’Hassida ne prodigue ses bienfaits qu’aux oiseaux de son espèce, mais pas aux autres. Cette forme de ’Hessed n’est pas compatible à la Torah, c’est un « ’Hessed Treif », donc l’animal est interdit à la consommation.

Selon cette réponse, il n’est pas correct d’accorder des faveurs uniquement à nos « semblables », il faut être bienveillant envers tous, de manière égale. Or, la Halakha stipule qu’il faut subvenir à ses propres besoins avant d’aider autrui, selon le principe de ’Hayékha Kodmim. Et il y a une liste des priorités dans les lois de charité, selon laquelle l’individu doit soutenir ses proches avant de venir en aide aux autres.[3] Le ’Hafets ’Haïm écrit que cette hiérarchie n’est pas valable que pour la charité, mais pour toute forme de ’Hessed[4]. Alors en quoi le précepte de ’Hayékha Kodmim diffère-t-il des actions de la ’Hassida ?

Tout d’abord, le ’Hessed de la ’Hassida est exclusif, tandis que ’Hayékha Kodmim n’empêche pas de donner à notre prochain. Certes, il donne priorité à certaines personnes, mais ne nous exempte pas de l’obligation d’aider d’autres gens moins proches.[5] Et puis ’Hayékha Kodmim s’applique dans le cas où les deux personnes ont des besoins identiques (par exemple, tous deux manquent de pain). Mais si l’indigent moins proche est plus nécessiteux que celui que nous connaissons mieux (le premier manque de pain, tandis que l’autre en a, mais c’est la viande qui lui fait défaut), c’est lui qu’il faut aider en priorité.[6]

La ’Hassida est égoïste, elle n’est concernée que par ses égaux, alors que la loi de ’Hayékha Kodmim est basée sur un sens de responsabilité ; nous avons un devoir vis-à-vis de nous-mêmes et de note famille ; leurs besoins sont donc prioritaires, et le fait de les négliger serait une entorse au règlement de la Torah. Cela n’enlève rien au privilège que l’on a d’aider tout Juif dans le besoin ; mais cela nous donne une échelle de valeurs ; nous sommes prioritaires, avec notre conjoint et nos enfants ; puis on fait passer les autres membres de notre famille, nos amis, de notre communauté, avant les étrangers.

Le non-respect de cet ordre des priorités peut avoir de graves conséquences. On raconte qu’un enfant issu d’une famille pratiquante s’était éloigné de la voie de la Torah et s’engageait dans certaines activités très douteuses. Un organisme spécialisé décida de s’occuper de ce garçon et de le placer une famille chaleureuse et bienveillante qui lui porterait l’affection et l’attention dont il manquait. On trouva une famille d’accueil tout à fait appropriée, réputée pour son ’Hessed débordant envers les membres de sa communauté. Quelle surprise quand on découvrit que l’enfant en question n’était autre que le fils de ces mêmes gens ! Ses parents étaient tellement intéressés et occupés à aider les autres qu’ils négligèrent les besoins de la personne envers qui ils avaient la plus grande obligation. C’est un très grand challenge pour toute personne qui souhaite œuvrer pour la collectivité. D’autre part, cela ne signifie pas qu’il faut négliger toute personne qui ne fait pas partie de notre famille. L’un n’empêche pas l’autre ; au contraire, le ’Hessed à l’égard d’autrui peut être un outil très bénéfique dans l’éducation de nos enfants, cela peut leur inculquer certaines qualités, telles que la générosité ou l’empathie. Si l’équilibre est gardé, le ’Hessed peut cibler plusieurs bénéficiaires.


[1] Rachi, Parachat Chémini, Vayikra, 11:19.

[2] La véritable raison de la permission ou non des certains animaux est au-delà de notre compréhension. Mais on peut trouver des Taamim aux lois, en tirer des enseignements.

[3] Voir Choul’han Aroukh, Yoré Déa, Siman 251.

[4] Ahavat ’Hessed, 1ère partie, Chap. 6, Séif 14.

[5] Entendu de Rav Its’hak Berkovits.

[6] Pirké Téchouva, Yoré Déa, Siman 251, s.k. 4, Igrot Moché – Even Haézer, 4ème partie, Siman 26, Oth 4. Voir également la Guémara dans Nédarim, 80b, 81a avec les commentaires du Ran, du Roch et de Tossefoth.