La Paracha de cette semaine évoque le principe de la Chemita et les lois relatives à son observance. La Chemita correspond au commandement de laisser la terre au repos la dernière année d’un cycle de 7 ans. Le Chemita a une valeur particulière du point de vue de la Emouna, de la foi, car elle suppose une confiance absolue en Hachem. En effet, Seul Hachem pourra pourvoir de manière miraculeuse aux besoins des hommes durant cette année où la terre ne sera pas exploitée. Plus précisément, c’est la sixième année qui est censée donner une récolte abondante afin de répondre aux besoins de la sixième, septième et huitième année, le temps que la nouvelle récolte soit produite et puisse être consommée.

Le miracle opéré par Hachem peut être appréhendé à différents niveaux, d’un point de vue quantitatif et d’un point de vue qualitatif, pourrions-nous dire. En effet, chacun comprend bien que pour subvenir aux besoins de presque trois ans, la récolte de la sixième année devait en premier lieu être quantitativement très importante. Mais ce n’est pas tout. En effet, la bénédiction qu’Hachem promet aux hommes n’est pas seulement une récolte abondante, il s’agit également d’une capacité à se sentir rassasié avec ce que l’on a, parfois avec peu, et sans éprouver ni besoin, ni sentiment de manque.

Aussi, à propos du verset (Vayikra, 25, 19) qui garantit au peuple qu’il mangera à satiété durant ces trois ans, Rachi apporte le commentaire suivant :

Vous mangerez à satiété : La bénédiction résidera même dans les entrailles.

Cette bénédiction des entrailles signifie précisément que ce que l’homme mangera sera bénéfique pour lui, il ne sera pas malade et il sera satisfait, repu par ce qu’il a consommé sans que cela soit nécessairement abondant quantitativement.

Notre Paracha nous indique ici un principe essentiel de notre tradition, évoqué à de nombreuses reprises dans les textes de nos Sages :« Qui est l’homme riche ?Celui qui est heureux de sa part », nous disent les Pirké Avot, et c’est cette même réponse que donnèrent les Sages du « Néguèv » lorsqu’Alexandre de Macédoine les questionna au sujet de la richesse (Talmud de Babylone, Tamid, 32a).

L’homme est réputé pour avoir généralement un désir insatiable. A peine a-t-il satisfait une envie qu’une nouvelle apparaît, qu’un nouveau besoin naît. L’horizon des désirs humains est en expansion permanente, il se nourrit des besoins qui naissent dans l’esprit de chacun, et s’accroît par la comparaison avec les biens d’autrui. Cette quête est infinie et ne connaît pas de limites. Aussi, nos Sages nous mettent en garde et nous rappellent que bien souvent, l’homme quitte ce monde en n’ayant pas satisfait la moitié de ses désirs.

Ce sentiment de manque et cette absence de satisfaction sont préjudiciables à l’homme, car ils ne lui offrent pas la possibilité de se réjouir de ce qu’il possède et ne lui permettent pas de témoigner à Hachem la gratitude qui convient. Parfois même, l’homme en est attristé, car il n’arrive pas à se détacher de ce sentiment de manque. Cette tristesse ou cette mélancolie l’obsèdent et nuisent à son service divin aussi bien qu’à sa dynamique vitale. C’est la raison pour laquelle ce sentiment est si délétère, et voilà pourquoi il s’agit véritablement d’une grande bénédiction de savoir « être heureux de sa part ».

Comment l’homme peut-il se réjouir de sa part ? Tout d’abord en étant convaincu que ce qu’Hachem lui donne correspond précisément à ce qui est bon pour lui. En outre, l’homme doit réfléchir profondément à l’objectif de sa vie qui est avant tout spirituel, le matériel n’étant là que pour aider l’homme à accomplir sa mission spirituelle.

Être satisfait de sa part à cet égard revient donc à se réjouir d’être appelé par Hachem au cours de notre vie à une élévation permanente, et à ne pas être condamné à accumuler des richesses vides de sens. Dès lors, toute richesse matérielle, aussi modeste soit-elle, doit être interprétée comme un moyen offert par Hachem pour accomplir notre vocation spirituelle. Elle n’est pas la finalité de notre existence, et ni notre vie ni notre grandeur ne sont évaluées à l’aune de nos biens matériels.

Par ailleurs, être satisfait de sa part consiste à être heureux et comblé par la partie de nos « besoins » que D.ieu nous a permis de combler, sans penser à tous les autres « besoins » que nous pourrions ressentir, et d’éprouver une grande reconnaissance envers Hachem pour cette bonté.

Enfin, la « part » qui doit nous réjouir doit être celle qui nous reste après nous être acquittés de nos obligations de Tsédaka et de Maasser. Il ne s’agit pas dans la formulation de nos Sages d’être heureux par « la totalité » de nos biens, mais simplement d’être heureux de notre « part », heureux de ce que l’on possède, mais avant tout, heureux parce que nous avons partagé avec nos prochains et parce que nous en avons fait profiter autrui (Rav Rozenberg sur Tamid 32a).

Précisons, comme le font nos Sages, que la part dont nous devons nous satisfaire n’est pas seulement la richesse matérielle, elle se décline également dans tout ce qui compose la vie d’un homme : son époux ou son épouse, ses enfants, son environnement etc. En effet, l’homme a vite fait de comparer tous les paramètres de son existence à ceux de ses amis, et de regretter ceux qui ne lui donnent pas entière satisfaction. Ce réflexe est évidemment un leurre suggéré par le Yétser Hara (mauvais penchant) pour maintenir l’homme dans une situation de mélancolie préjudiciable à son épanouissement spirituel.

Concluons sur cette anecdote qui témoigne comment l’homme peut incarner cette qualité « d’être heureux de sa part » d’une manière authentique.

Un jour, Rabbi Zoucha reçut un hôte dans son humble demeure qu’il avait invité à partager son repas. Son invité était fort surpris par les conditions de pauvreté matérielle dans lesquelles vivait ce si grand Rav. Il était surpris par l’état de sa maison, par les meubles qui la composaient, et même par les couverts et les assiettes très modestes dans lesquels le Rav prenait ses repas. Rabbi Zoucha remarqua que son invité était particulièrement absorbé dans ses réflexions, et qu’il regardait avec insistance l’assiette dans laquelle son plat était servi. Aussi, il s’empressa de lui préciser :

« Ecoute, je ne veux surtout pas que tu transgresses le commandement de ne pas « envier » son prochain. Si vraiment cette assiette te plaît, je te l’offre avec grand plaisir ! »