En nous décrivant les différents korbanot (sacrifices), la Thora interdit d’apporter des offrandes de levain et de miel.[1] Immédiatement après, elle nous enjoint de mettre du sel dans tous les sacrifices.[2] Quelle différence y a-t-il entre le sel et le miel ou le levain, au point que le sel est obligatoire alors que les deux autres ingrédients sont interdits ? Les commentateurs soulignent que les korbanot ont une portée très symbolique et chacune de ces substances représente un trait de caractère distinct – en les analysant, nous pouvons répondre à cette question.

Le Séfer Ha’Hinoukh[3] écrit que le miel représente les désirs physiques (taava), parce qu’il est doux au goût. L’interdit d’ajouter du miel aux offrandes nous enseigne que l’on doit s’abstenir de courir après les mets savoureux, et que nous devons nous focaliser sur les denrées nécessaires à notre alimentation et à notre bien-être.

Il explique ensuite que le levain représente l’orgueil, l’arrogance, parce qu’il gonfle. À ce propos, il cite un verset de Michlé (Proverbes) : « Tout cœur hautain est une abomination aux yeux d’Hachem. »[4]

Le ‘Hatam Sofer zatsal partage l’opinion du Séfer Ha’Hinoukh concernant le miel et le levain, puis il évoque la symbolique du sel.

Le deuxième jour de la Création, Hachem sépara les eaux en deux, gardant une partie des eaux dans les Cieux et laissant l’autre partie sur terre. Les eaux d’en bas se plaignirent, car elles voulaient également monter vers les Cieux purs plutôt que de rester dans ce bas monde. Hachem les apaisa en leur disant que dans le futur, le sel présent dans l’eau serait placé sur l’Autel, avec les korbanot.[5]

Le ‘Hatam Sofer explique, sur la base de ce Midrach, que le sel représente la jalousie, parce qu’il est apporté à cause du souhait des « eaux inférieures » d’avoir le même sort que les « eaux supérieures ». Il établit ensuite un parallèle entre le miel, le levain, le sel et les trois défauts principaux : la kina (jalousie), le kavod (quête des honneurs) et la taava (les envies).[6] Cependant, il note que la jalousie est très différente des deux autres. Le miel et le levain n’ont pas leur place dans le Michkan, et il en est de même pour leurs équivalents dans la avodat Hachem (le service Divin).

En revanche, la jalousie peut être bénéfique dans la avodat Hachem. La guemara affirme que « kinat sofrim tarbé ‘hokhma » — la jalousie chez ceux qui étudient augmente, renforce la sagesse[7]. Cela signifie que la jalousie peut s’avérer utile dans la spiritualité, parce qu’elle peut motiver la personne à s’élever quand elle voit que les autres se trouvent à un niveau supérieur au sien. L’aspiration des eaux terrestres est un exemple de bonne jalousie – elles désiraient être aussi proches d’Hachem que celles placées aux Cieux. En récompense, le sel allait être offert avec les sacrifices. Le sel reste donc un rappel d’une jalousie digne d’éloges.[8]

L’explication du ‘Hatam Sofer nous enseigne que quand la jalousie, d’ordinaire néfaste, est utilisée pertinemment, elle peut rehausser la avodat Hachem de l’homme. Il est intéressant d’analyser la différence entre la jalousie dans le domaine spirituel dans la matérialité. Notons-en deux principales.

Tout d’abord, ce qui motive ces deux sortes de jalousie ; dans le domaine matériel, elle prend souvent un aspect méprisable — non seulement la personne désire ce que l’autre a, mais elle souhaite aussi qu’il ne possède pas cet objet. D’ailleurs, l’interdit de lo ta’hmod[9] (Tu ne convoiteras pas), n’est enfreint que lorsque l’on désire l’objet même que possède autrui, et non si l’on veut avoir un objet identique à celui du prochain.[10]

Les Maîtres du Moussar (morale juive) soulignent que la jalousie spirituelle n’est tolérable que si l’on ne veut pas nuire et compromettre le succès de son prochain, mais que l’on utilise cette réussite comme stimulation pour atteindre un niveau équivalent. Si on lui en veut à cause de sa réussite, alors cette jalousie devient totalement inacceptable, parce qu’elle ne provient pas du tout de motivations pures.

L’autre différence est expliquée par le Ibn Ezra concernant la mitsva de lo ta’hmod. Il propose l’analogie d’un paysan qui désire se marier avec une princesse. Ils n’occupent pas du tout la même position sociale, il ne peut demander sa main en mariage, rien ne sert d’espérer une telle union.

De même, chacun reçoit précisément ce dont il a besoin, dans le monde matériel. Tout ce que les autres possèdent ne nous concerne pas du tout. Nous n’avons aucune raison, ni le droit de l’envier, parce qu’Hachem alloue à chacun exactement ce qu’il lui faut.[11] Le raisonnement du Ibn Ezra ne s’applique qu’à la jalousie dans la matérialité, parce qu’aucune hichtadlout (effort) ne pourra priver quelqu’un des biens qui lui sont accordés – ceci est entièrement entre les mains d’Hachem. Le seul domaine dans lequel Hachem reste, pour ainsi dire, en retrait, c’est la spiritualité. Il n’existe alors pas de limite prédéfinie à ce que la personne peut accomplir et atteindre. Cela dépend entièrement de son libre arbitre. Ainsi, il n’est pas inutile de vouloir s’inspirer des réussites spirituelles d’une autre personne et les atteindre également.

En gardant ces deux points à l’esprit – que la kinat sofrim incite à émuler son prochain sans lui en vouloir de sa réussite, et que l’on a le droit de vouloir avoir plus que ce que l’on possède présentement –, nous pouvons comprendre avec plus de profondeur le rôle de la jalousie dans nos vies.

Le ‘Hatam Sofer nous enseigne que bien que la jalousie soit souvent considérée comme un vilain défaut, elle peut, quand elle est utilisée correctement, nous aider à nous rapprocher d’Hachem et ainsi à prendre exemple sur les eaux restées sur terre dont le désir ardent d’être pures, proches d’Hachem, porta ses fruits.



[1] Le miel dont il est question n’est pas un miel d’abeille, mais le doux nectar de fruits.

[2] Vayikra, 2:11-13.

[3] Parachat Vayikra, mitsva 117.

[4] Michlé, 16:5.

[5] Rachi, Vayikra, 2:13. Voir Gour Arié, Sifté ‘Hakhamim et Émet LeYaccov pour comprendre pourquoi c’est le sel présent dans l’eau qui est offert et non pas l’eau elle-même.

[6] En effet, la Michna dans Pirké Avot (4:28) nous apprend que ces trois défauts font sortir l’homme du monde.

[7] Baba Batra, 21a.

[8]Hatam Sofer, Vayikra, 2:11.

[9] Chemot, 20:14.

[10] Notons que l’on ne transgresse l’interdiction de lo ta’hmod que quand on cherche à acquérir l’objet en question ; un simple désir ne constitue pas un interdit bien que ce soit critiqué par différents commentateurs.

[11] Ibn Ezra, Chemot, 20:14.