Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.

Chaque mercredi, vous découvrirez cette histoire, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte, et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture !


Dans l’épisode précédent : Notre jeune Ba’al Téchouva a eu la merveilleuse surprise de retrouver de façon très romantique celle qui fait battre son coeur depuis deux ans. Eh oui, après tout ce temps, Perla et Steeve, devenu Shimon, se sont enfin avoués leurs sentiments réciproques devant le Kotel, le mur des lamentations. Ce qui est encore plus beau dans cette véritable histoire d’amour des temps modernes, c’est que, pour la première fois de sa vie, notre joli coeur, a vu battre son coeur, sans avoir besoin de « sortir avec la fille » avant pour vérifier si elle est bien la femme de sa vie. Car elle l’est, tout simplement !

Nous voilà quatre semaines après, le fameux soir où Perla et moi nous nous sommes fiancés. Pour que notre mariage avance au plus vite, j’ai planifié un petit voyage express pour Paris afin d’organiser une rencontre « officielle » entre nos deux familles.

C’est pourquoi, aujourd’hui, je suis en compagnie de mes parents pour nous rendre chez Elnathan… mon futur beau-père. J’ai encore du mal à le croire, tellement je suis heureux. Ensemble, nous allons discuter des préparatifs du mariage. Je suis assez serein, même si j’ai toutes les raisons du monde de ne pas l’être.

En effet, dès le lendemain du jour où Perla a accepté de m’épouser, j’ai appelé mes parents pour leur annoncer la bonne nouvelle. Je me doutais qu’ils allaient être légèrement surpris par notre décision qui, vu de l’extérieur, peut peut-être paraître prématurée, mais quand on évolue dans un milieux dit religieux comme le nôtre, c’est juste normal de ne pas rester trop longtemps fiancés.

J’ai pu rapidement qualifié leur réaction de légèrement virulente. J’ai même découvert une facette de mes parents que je ne connaissais pas, qui est : la peur !

Je me souviens très bien que, pour discuter tranquillement, j’étais partie dans une cabine téléphonique pour avoir cette conversation. Connaissant le caractère de mon père, il était évident qu’il n’allait pas prendre des gants pour me dire ce qu’il pensait de mon futur mariage, mais j’espérais au moins obtenir un Mazal Tov. Pour moi, l’heure était à la réjouissance, il était clair qu’il fallait savourer ce moment de joie intense qu’Hachem nous offrait, et ne pas vouloir absolument résoudre d’un coup tous les éventuels problèmes financiers que mon père allait forcément avancer. Il fallait que je garde en tête que j’évoluais depuis plus de deux ans dans un monde religieux qui n’était pas le leur, et duquel ils n’avaient aucune notion.

Au lieu de me braquer contre lui, je me disais que la notion du Kibboud Av Vaèm, le respect des parents, devait forcément englober le fait de savoir rassurer ses parents sur ses propres choix :

– Mais enfin, Steeve, tu n’y penses pas ! Dans huit semaines, tu dis ? Je vais finir par croire que tu as vraiment perdu la tête. Tu sais, j’ai lu récemment dans Le Point, un article qui explique scientifiquement parlant que lorsque l’on respire un peu trop l’air de Jérusalem, on développe un syndrome.

– Quel syndrome, papa ?

– Le syndrome de Jérusalem. D’un coup, les gens se prennent pour le messie et deviennent fous. Tu ris ? Mais arrête de rire enfin, je suis très sérieux ! Tu sais, Steeve, j’ai accepté beaucoup de choses depuis que tu es parti de la maison, mais je trouve que te marier à seulement à vingt ans frôle la démence. Il est normal que je me pose des questions sur ta santé mentale.

– Mais papa, je vais bien. Très bien même, je ne peux pas être plus heureux ! Epouser Perla me comble d’une joie immense.

– Tu m’annonces que tu vas te marier avec la fille du rabbin Levy, allons bon ! Qui se marie si jeune ? Personne ! Moi-même je ne me suis marié avec ta mère qu’à l’âge de vingt sept ans, ce qui me paraît un âge parfait ! J’avais déjà ma situation professionnelle, un appartement, une voiture ! Toutes les bases solides qu’un mariage a besoin pour fonctionner. Mais toi, comment vas-tu faire pour faire vivre ton foyer ? C’est moi qui te finance depuis que tu es rentré dans cette maison d’étude ! Il faut que tu cesses de vivre sur mon dos et que tu trouves un vrai travail. Reviens en France, fait une école de commerce pour avoir un minimum de bagages pour commencer votre vie. Le mieux c’est que l’on reparle mariage d’ici trois ans !

– Sans vouloir te manquer de respect, je ne pense pas qu’avoir une situation professionnelle est la garantie de réussir son mariage. Il est clair que cela aide pour démarrer une nouvelle vie à deux, mais je crois plus à une bonne préparation au mariage en prenant des cours de Torah sur le sujet. Pour la Parnassa (le gagne-pain), nous nous débrouillerons, tout est entre les mains d’Hachem.

– Ah non ! Tu ne commences pas avec tes mots et tes grandes phrases en hébreu. J’ai de plus en plus de mal à te comprendre. Je vais t’envoyer l’article par la poste, tu vas voir, je suis certain que tu vas te reconnaître.

– Papa, je sais que tu t’en fais pour moi, mais ne t’inquiète pas. Je vais trouver un travail à mi-temps et…

– Pourquoi à mi-temps ?

Je n’aurais peut-être pas dû lui parler de ça aussi. Avec Perla, on s’est tout de suite mis d’accord qu’il est primordial que je continue d’étudier, et c’est ce que j’ai répondu à mon père.

– Allo ? Allo ? Papa, tu es là ?

– Oui ! Je suis tout simplement choqué par ce que j’entends ! Tu es en train de me dire que non seulement tu ne vas pas commencer tes vraies études, mais en plus tu vas prendre un travail la moitié du temps. Sois un peu sérieux Steeve ! J’ai travaillé toute ma vie, plus de douze heures par jour, pour vous offrir ce qu’il y a de mieux, et tu me sors que tu vas à peine travailler ! Tu fais n’importe quoi, n’importe quoi.

– J’ai toujours admiré ton côté travailleur et acharné, mais tu veux que je te dise, j’aurais préféré un peu moins de vacances dans les beaux hôtels et un peu plus de temps avec toi, papa. Ne m’en veux pas si je ne veux pas la même vie que toi.

– Ne commence pas Steeve, ou je vais finir par me mettre en colère ! Perla est une charmante jeune fille, mais tu ne trouves pas que sur le long terme cela ne va pas coller entre vous ? Je veux dire, elle a eu une éducation très différente de la tienne. Regarde avec ta mère, nous venions tous les deux de Tunisie, nous avions les mêmes coutumes, et pourtant, même avec ses atouts, crois-moi, maintenir un mariage n’est jamais facile ! Alors entre vous deux, je n’imagine même pas le désastre !

– Perla et moi, nous ne sommes pas toi et maman. Je vais l’épouser, et tout va bien se passer. Bon, tu me passes maman pour que je le lui annonce.

J’entends mon père grommeler des paroles inaudibles derrière le combiné, et c’est avec soulagement que j’entends la voix de ma mère. Je suis certain qu’elle va me soutenir :

– Bonjour mon fils, ça va ?

– Allo maman, grâce à D.ieu, ça va très bien. Alors voilà, je viens d’annoncer à papa qu’hier soir, je me suis fiancé avec Perla.

– Qui Perla ? La petite de Ruth ?

– Oui, la petite de Ruth, qui a juste un an de moins que moi.

– Remarque, j’ai toujours senti qu’il y avait quelque chose entre vous deux. Une mère sent ces choses-là. Bon ba, c’est bien, je suis contente que vous sortiez ensemble.

– Maman, je ne sors pas avec elle, nous allons nous marier… dans deux mois.

– ….

– Maman ?

– Deux mois, mais tu es tombé sur la tête, mon pauvre ! Vous êtes beaucoup trop jeunes ! Et puis, tu n’as pas de travail ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire de vouloir se marier aussi rapidement.

“C’est exactement ce que je lui ai dit, Chantal !”, j’entendis mon père marmonner dans le fond.

– Déjà, il faut au moins un an pour préparer un mariage, donc, dans deux mois, c’est techniquement impossible.

– Ne t’en fais pas maman, avec Perla, nous voulons un mariage à Jérusalem, assez simple.

– Un petit mariage ? Pourquoi petit ? Pourquoi Jérusalem ? Si je dois marier mon premier fils, c’est en grande pompe que je veux le faire !

– Tu sais, pour nous, le plus important c’est de se marier et de commencer notre vie. Le reste nous importe peu.

– Mais pourquoi ? C’est magnifique une fête. Tu crois que les Levy vont vouloir d’un Henné ? Oulala, il y a une quantité de choses à faire. Je ne sais même pas par où commencer. Si je m’y mets maintenant, je peux faire venir du monde de ma famille. Le mieux c’est que l’on l’organise pour le mois d’août, comme ça les gens pourront prendre leurs vacances et combiner le voyage. On va demander à ton cousin Didier de faire le DJ. A la Bar-Mitsva de Kevin, il avait mis le feu sur la piste de danse. Non mais qu’est-ce que je raconte ? Il est hors de question que vous vous mariez, aussi vite et aussi jeunes !

– Bon, j’ai compris. Je vais réserver mon billet d’avion et je vais venir vous voir. Nous parlerons de tout ça au calme. J’en profiterai pour organiser une rencontre avec Elnathan et Ruth.

– Avec plaisir, tu viens à la maison, mais je te préviens Steeve, ne nous mets pas devant le fait accompli avec le Rav et sa femme. Nous devons d’abord finir cette conversation, afin que tu comprennes que nous voulons le meilleur pour toi.

Je raccrochais pas franchement rassuré. Ce qui m’avait le plus blessé, c’est qu’à aucun moment, ni l’un ni l’autre ne m’avait souhaité Mazal Tov. Ce qui faisait drôlement contraste avec mes amis de la Yéchiva. Dès que la nouvelle s’est répandue, c’est avec une grande réjouissance que celui qui me croisait me serrait la main ou me taper dans le dos pour me dire félicitations. Mon épreuve était de ne surtout pas perdre espoir et de penser très fort que, d’une façon ou d’une autre, mes parents allaient accepter les choses.

Lorsque mes futurs beaux-parents nous ont ouvert la porte pour nous recevoir, j’ai vu tous leurs efforts déployés pour mettre mes parents plus qu’à l’aise. À moins d’être aveugle, on ne pouvait ignorer leur mine extrêmement tendue. Quand nous nous sommes assis dans le petit salon, bien que personne n’avait encore prononcé le moindre mot, on sentait de mon côté une atmosphère chargée d’hostilités silencieuses. J’étais terriblement gêné par cette situation, car mes parents et ceux de Perla ont toujours eu de bonnes relations, mais là, c’est comme si mon père et ma mère les voyaient comme leurs pires ennemis. Mais, heureusement, dès que Perla est apparue pour nous souhaiter la bienvenue et se joindre à nous, le sourire qu’elle affichait combiné à son extrême douceur ont tout de suite adouci les traits durs que ma mère affichait.

D’ailleurs, Ruth, Perla et elle, se sont mises toutes les trois à parler de tout sauf… du mariage. En parallèle, Elnathan et moi commencions nous aussi à discuter de choses et d’autres, en évitant soigneusement le sujet du jour.

Plus nous discutions, plus j’avais des raisons de m’inquiéter, car mon père gardait obstinément le silence. Et puis, d’un coup, au bout d’une quinzaine de minutes, quand ma future belle-mère partit chercher le gâteau qu’elle avait confectionné tout exprès pour l’occasion, n’en pouvant plus, mon père se mit à hausser le ton :

– C’est bien gentil cette petite réunion, mais il est temps d’aborder ce STUPIDE projet de mariage ! Je ne suis pas venu pour perdre mon temps, à parler pour ne rien dire ! Je vous préviens que vous n’obtiendrez ni mon argent, ni mon accord ! Ma petite Perla, tu es une charmante jeune femme, ce n’est absolument pas contre toi, mais je trouve que c’est tout bonnement n’importe quoi !

Nous sommes tous un peu abasourdis par le ton catégorique que papa a pris. Le soucis, c’est que cela faisait longtemps que je n’avais pas ressenti une telle colère, et que là, je suis à deux doigts d’exploser. Je n’accepte pas qu’il me manque de respect devant les personnes les plus importantes de ma vie. Qu’il me parle de cette manière en privé, c’est une chose, mais il aurait pu au moins se contenir ! Je m’apprête à lui hurler ce que je pense, mais, contre toute attente, grâce à l’intervention d’une personne que je n’aurais jamais soupçonné être mon alliée, cette situation qui aurait pu franchement dégénérer est sauvée…

La suite mercredi prochain…